La Jordanie est réputée être l’un des pays les plus stables du Proche-Orient depuis un demi-siècle. Et le 11 avril, le royaume hachémite fêtera ses 100 ans d’existence. C’était sans compter la grande ombre venue contrarier cet anniversaire. Le week-end dernier, un prince de la famille royale a été accusé de vouloir mener un coup d’Etat contre le roi Abdallah II. Il s’agit du demi-frère du souverain. Mais pas n’importe lequel car le prince Hamza, fils aîné du défunt roi Hussein et de sa quatrième épouse, la reine Noor, selon les volontés de son père, avait été nommé prince héritier lorsque Abdallah II est monté sur le trône. Mais, en 2004, le nouveau souverain lui a ôté ce titre au profit de son propre fils aîné, le prince Hussein.
Le 3 avril, la presse internationale a vu de nouveau le prince Hamza, peu connu à l’extérieur du royaume, faire la une. En même temps qu’a été annoncé l’arrestation d’une quinzaine de personnalités proches du roi Abdallah II, le prince Hamza de Jordanie a pour sa part, annoncé lui-même dans une vidéo adressée à la BBC, avoir été « assigné à résidence » dans son palais d’Amman. Tous ont été accusés par l’armée d’implication dans un complot « maléfique » contre « la sécurité du royaume ». Et les autorités ont reproché au prince d’avoir accusé le pouvoir en place de « corruption » et d’« incompétence ».
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Dans un enregistrement audio réalisé lors d’un échange houleux avec le chef d’état-major de l’armée Youssef Huneiti, samedi au domicile princier, largement diffusé sur Facebook hier mardi, le prince Hamza se présentait comme un homme « libre » désireux de tenir la promesse faite à son père de servir son pays. « La mauvaise gestion dans ce pays, disait-il, nous détruira tous et détruira l’héritage de mes pères et grands-pères. Et je n’en suis pas responsable et vous savez qui en est responsable », a-t-il ajouté.
Médiation familiale
Selon le ministre jordanien des Affaires étrangères, ces mesures sont le résultat d’une surveillance des services de sécurité « durant une longue période », qui a permis de mettre au jour « [des] interventions et [des] contacts avec des parties étrangères visant à remettre en cause la sécurité de la Jordanie ».
48h après, par la médiation du frère du défunt roi Hussein, l’ex-prince héritier Hamza qui a farouchement nié les accusations, a réaffirmé, le 5 avril, son allégeance au roi. Un dénouement rapide et étonnant. La veille encore, le prince avait déclaré qu’il ne respecterait pas son assignation à résidence ni l’interdiction de s’exprimer ou d’entrer en contact avec certaines personnalités du royaume.
Toujours est-il que s’il y a eu « une solution au sein de la famille royale », il n’y a pas pour autant de « solution à la crise politique », estime Ahmed Awad, qui dirige le Phenix Center for Economics & Informatics Studies. De fait, le pays a encore vu récemment à l’occasion du 10e anniversaire des Printemps arabes, des Jordaniens descendre dans la rue officiellement pour dénoncer les lois d’urgence introduites par l’exécutif pour contrer la propagation du coronavirus. Mais derrière se cachait aussi une vague de mécontentement contre la situation économique et politique du pays. Ce dernier doit faire face à un taux de chômage de 25%, à des dettes colossales, au népotisme, à la corruption, au grand nombre de réfugiés de Syrie ou d’Irak, à des relations tendues avec Israël et à une activité touristique au point mort à cause de la pandémie.
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L’agence de presse AsiaNews de l’Institut pontifical catholique romain pour les missions étrangères estime que « le roi et la dynastie hachémite bénéficient toujours – du moins pour le moment – du soutien public de la majorité de la population et le monarque reste une figure unificatrice entre les tribus locales et les Jordaniens palestiniens, mais le risque de nouvelles révoltes et protestations reste élevé. »
Contestation de la gestion du pays
Vu le contexte, plus qu’une potentielle rancœur fratricide de la part du prince Hamza, depuis sa mise à l’écart il y a 17 ans, l’une des causes principales serait la contestation de la gestion du pays. Le prince Hamza est populaire en Jordanie, et entretient des liens privilégiés avec les tribus jordaniennes, appuis structurels de la monarchie hachémite. Interrogé par l’AFP, un analyste jordanien ne souhaitant pas être identifié pour des raisons de sécurité, explique que le prince Hamza a ces derniers temps « multiplié devant son cercle d’amis les critiques contre ce qu’il qualifiait de corruption au sein du pouvoir ». Peut-être que le pouvoir actuel a eu peur pour son avenir et que le roi a voulu éloigner le prince Hamza qui pourrait devenir une alternative de choix si l’occasion se présentait.
Pour la Jordanie, cette crise familiale peut révéler deux choses. D’une part, la volonté du roi de décourager toute tentative de rébellion contre lui en exagérant peut-être la menace à l’égard de son trône. A l’opposé, cette crise montre à la fois à la société jordanienne et aux yeux de la communauté internationale des fragilités au sein de la famille royale et donc du cercle premier du pouvoir. Ce dont le régime se serait bien passé dans le contexte interne et régional.
Prémices d’un crise politique jordanienne ?
Si la justice a interdit aux médias et réseaux sociaux d’aborder le sujet dès ce jour, comme pour mieux étouffer les tensions apparues le week-end dernier, il n’est pas sûr qu’on assiste à la fin de la crise. « Cela montre qu’il faut des réformes tant politiques, qu’économiques et démocratiques », assure à l’AFP Ahmad Awad, du Phenix Center cité plus haut. Parce que les critiques formulées par le prince Hamza sont partagées par de nombreux Jordaniens mais aussi parce que, lundi, le ministre saoudien des Affaires étrangères s’est rendu à Amman et que sa présence a nourri les soupçons d’ingérences saoudiennes en Jordanie…
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