Massada, « Et plus dure sera la chute »
À70 km au sud de Jéricho, face à la mer Morte au niveau de la presqu’île de Lisan, le lieu est mentionné par le seul “reporter” de l’Antiquité Flavius Josèphe qui avait autant à cœur de magnifier le dernier roi des juifs et la résistance de son peuple, que de justifier sa propre volte-face quand il comprit que Rome serait forcément la puissance dominante. Il en fait une large description dans les chapitres III et VII de son livre La Guerre. Identifié en 1838 par Edward Robinson, fouillé par les Israéliens Avi Yonah en 1955-1956, puis Yigaël Yadin en 1963-1965 et enfin Ehud Netzer en 1989-2000, Massada a livré tous ses secrets.
L’histoire juive des lieux
C’est un plateau de 600 m de long orienté sud-nord et de 300 m au plus large, à 440 m au-dessus de la mer Morte mais seulement 50 m au-dessus du niveau de la mer. Sa particularité est de ne pas faire partie d’un massif et, entouré de profonds ravins, d’être totalement isolé. Ce qui lui vaut d’être naturellement défendable, qualité qui n’échappa pas à Jonathan Macchabée qui y fit construire un fortin au milieu du IIe siècle av. J.-C. sur une ligne de relais de feux le long des deux rives de la mer et du Jourdain. À son heure Hérode entreprit là de gigantesques travaux en trois phases.
Dès 35, la deuxième année de son règne, il fit élever le palais occidental, un complexe de 3500 m2 avec pièces de réception et logements, un ensemble résidentiel et un columbarium destiné à recueillir des urnes funéraires. En 25 il transforma la pointe nord, déjà naturellement étagée en trois niveaux, pour obtenir trois terrasses d’un luxe inouï pour la région. Le palais supérieur regarde vers la mer de sel et les montagnes sèches qui vont jusqu’à Jéricho ; il est constitué de logements privés en arrière et en avant d’un balcon en demi-cercle et colonnade ; l’étage intermédiaire est une salle ronde de 10 m de diamètre dont la partie adossée au mur est creusée de cinq niches qui devaient abriter des statues ; la terrasse inférieure est un carré de 17,6 m de côté comprenant une salle de bains privée et une belle salle de 9 m x 10 m encadrée de colonnes à chapiteaux corinthiens, aux murs peints à la pompéienne et au sol mosaïqué de noir et blanc. Les décors visibles actuellement ont été largement reconstitués à partir de restes fragmentaires des richesses hérodiennes. Cette position septentrionale garantissait des vents chauds du sud et du soleil accablant. Un escalier taillé dans le roc et dissimulé aux regards reliait les trois étages.
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On accédait à ces trois salles d’apparat après avoir profité des thermes : 2 000 m2 répartis en quatre salles selon l’usage : un apodytérium pour se dévêtir, au sol dallé de faïences en triangles ; un caldarium chauffé grâce à la vapeur circulant entre 200 hypocaustes d’argile et dans des canalisations fixées aux murs sur trois côtés ; le tépidarium, salle tiède, et enfin le frigidarium qui n’est qu’un bassin d’eau froide. À proximité, mais aussi au sud, ont été prévus de vastes magasins où l’on pouvait stocker pour une année farine, huile, vins, sel, dattes et autres denrées ; on a retrouvé des jarres de vin italien estampillées “au roi Hérode de Judée”. Afin de pourvoir aux énormes besoins en eau le tyran, grâce à des ingénieurs nabatéens, organisa un réseau de barrages et digues sur les wadis, d’aqueducs dans la montagne et de canalisations qui aboutissaient à douze citernes entièrement taillées dans la roche côté ouest dont la capacité totale est de 40 000 m3, de quoi soutenir un siège ! et d’offrir la jouissance de bains dans ce désert. D’autres citernes recueillaient les eaux de pluie.
La dernière phase de travaux, à partir de l’an 15, fut l’édification d’un mur tout autour du piton qui devint ainsi une forteresse ; long de 1 400 m, épais de 4 m, il comprenait 70 casemates et quelque 40 tours d’observation ; quatre portes s’ouvraient aux quatre points cardinaux, mais la plus utilisée était celle de l’est au débouché du sentier du serpent, seul accès depuis la basse plaine.
Après avoir incendié Jérusalem, Rome s’occupa de mater le reste du pays et ce fut la Xe légion qui mit le siège autour de ce dernier îlot de résistance. Pour en venir à bout l’armée romaine entoura Massada d’un mur long de 3 500 m et de huit camps dont on distingue encore les tracés depuis la hauteur.
L’histoire romaine
A la mort d’Hérode le Grand son fils aîné Archélaos hérita de Massada sur le territoire de Judée, mais Rome le démit en 6 ap. J.-C. et installa sur place une petite garnison. Dès le début de la guerre juive en 66 celle-ci fut chassée par un groupe de zélotes ; lequel fut rejoint par des familles et des combattants fuyant la chute de Jérusalem en 70. Ce millier d’habitants transforma les sites princiers en logements, utilisant aussi les casemates de la muraille, creusa des mikvaot, bains rituels, et agrandit la petite synagogue d’origine qui reste cependant de taille modeste, 14 m x 11 m, adossée aux alvéoles de la muraille nord-ouest.
Après avoir incendié Jérusalem, Rome s’occupa de mater le reste du pays et ce fut la Xe légion qui mit le siège autour de ce dernier îlot de résistance. Pour en venir à bout l’armée romaine entoura Massada d’un mur long de 3 500 m et de huit camps dont on distingue encore les tracés depuis la hauteur. Aucun mouvement de l’extérieur vers Massada et vice-versa n’était possible. Des centaines de prisonniers de guerre furent employés à élever une rampe de 80 m de haut sur 200 m de long depuis l’ouest. L’ouvrage achevé permit à des machines d’être hissées jusqu’au rempart, de catapulter des blocs de pierre et de faire une brèche. Lorsque le 2 mai 73 les soldats purent entrer dans le réduit zélote, ils ne trouvèrent que des morts, toute la population s’étant suicidée pour ne pas subir la captivité. Seuls trois femmes et cinq enfants qui s’étaient cachés de leurs compatriotes avaient échappé à la désolation. Flavius Josèphe donne un récit poignant de ce triste épisode et reprend un discours attribué au chef de la communauté, Eléazar, qui convainc les siens de ne pas tomber vivants aux mains de l’ennemi impie.
La dernière occupation fut byzantine ; aux Ve et VIe siècles des moines ont édifié une petite chapelle bien orientée vers le soleil levant, tournant donc le dos à Jérusalem, puisque la liturgie chrétienne n’est pas dirigée vers un point géographique, mais vers l’espérance du Salut qui est le Christ relevé d’entre les morts.
Notre visite matinale
Une visite de deux heures permet de comprendre l’essentiel du site. Il est bon de parvenir au sommet en empruntant la rampe romaine, tôt le matin, depuis la petite route sinueuse qui vient du désert d’Arad. On parvient sur le plateau par la porte occidentale et l’on se dirige à main droite vers le palais le plus grand. Un escalier fait gagner l’étage et permet d’admirer la magnifique mosaïque aux couleurs encore vives rouge, noir, brun et blanc qui tapisse le sol d’une salle de réception ou de conseil, en tous cas somptueuse. Dans le coin nord-ouest de cette salle on est frappé par l’existence d’un mikveh creusé dans le sol qui a complètement dénaturé cette partie. On mesure le fossé culturel qui séparait la richesse orgueilleuse et ostentatoire d’Hérode et la pauvreté de moyens mais l’intransigeance religieuse des zélotes qui lui ont succédé.
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Il est difficile d’abandonner la partie sud du site, qui si l’on veut tout voir nécessite plusieurs heures, et l’on se dirige vers le centre nord pour se recueillir dans l’église byzantine : une nef simple terminée en abside semi-circulaire avec une fenêtre à l’orient. Les murs sont ornés de tessons et galets insérés dans le plâtre de revêtement, décor modeste mais harmonieux ; à gauche du seuil une petite sacristie a gardé sa mosaïque d’origine avec 16 médaillons de fleurs, fruits, grappes de raisin et pains. Il n’existe aucun bâtiment conventuel, les religieux ont dû occuper les bâtiments déjà en place.
Plus au nord on passe à côté du columbarium, on longe le mur à casemates jusqu’à la synagogue, rectangle à ciel ouvert muni de gradins reconstitués en ciment ; cinq piliers attestent de la présence d’une toiture ; depuis quelques années on a arrangé une minuscule pièce fermée où officie parfois un rabbin. Les archéologues ont trouvé dans le sol de cette “plus ancienne salle de prière du pays” des manuscrits du Deutéronome et d’Ézéchiel et dans une casemate proche servant de resserre des rouleaux de Psaumes, du Lévitique et de la Genèse ainsi que quelques manuscrits non-bibliques qui offrent une parenté avec ceux de Qumran. Le plus étonnant fut un fragment du Siracide en hébreu [Si 39, 27 à 44, 17], alors que l’on n’en connaissait que des exemplaires en grec ; ce livre, qui n’a pas été introduit dans le corpus hébraïque est donc bien un original hébreu du Ier siècle av. J.-C. qui fut très vite traduit pour les non-hébréophones.
Les archéologues ont trouvé dans le sol de cette “plus ancienne salle de prière du pays” des manuscrits du Deutéronome et d’Ézéchiel et dans une casemate proche servant de resserre des rouleaux de Psaumes, du Lévitique et de la Genèse ainsi que quelques manuscrits non-bibliques qui offrent une parenté avec ceux de Qumran.
En sortant de la synagogue on ira sur une des terrasses à l’ouest où est expliqué, grâce à une maquette en métal, le “chemin de l’eau”. La montagne est représentée avec ses reliefs et tous les canaux qui endiguaient les eaux de ruissellement jusqu’aux citernes cachées dans les rochers. Un sentier muletier permettait d’aller puiser dans ces citernes pour remonter l’eau jusqu’aux niveaux d’habitation. On poursuit vers le nord pour traverser le complexe thermal ; malheureusement le trajet est proposé à l’envers, il se termine par le caldarium. Mais les fresques restaurées des premières salles, les hypocaustes et les moyens de chauffage révèlent clairement le luxe que représentaient ces bains.
Enfin on gagne tout au nord les trois palais en terrasse dont on a vu la silhouette depuis la route d’arrivée. C’est un escalier en bois et métal qui permet aujourd’hui d’atteindre les niveaux médian et inférieur. Des travaux récents ont rendu aux fresques leur fraîcheur, ont remis en place la plupart des colonnes et parfaitement dégagé les espaces plantés au-dessus du vide.
Après cette visite et la remontée on traverse une partie des structures d’approvisionnement, vastes entrepôts qu’il faut imaginer plein de vases, paniers et amphores. Et par un chemin descendant on se dirige soit vers la rampe occidentale, soit à l’est pour prendre le téléphérique qui surplombera le sentier du serpent et regagner “la civilisation”, ses magasins et cafétérias.