C’est un monastère qui se trouve dans un lieu naturel idyllique. Avec ses vues lointaines sur la Méditerranée et les montagnes d’Anatolie. Situé à Halefka dans la chaîne de montagnes de Kyrenia, le long de la côte nord de l’île de Chypre, dans l’actuelle république turque de Chypre du Nord, le monastère Sourp Magar dresse encore debout des murs datant du XIe siècle. Fondé par l’Eglise copte orthodoxe à la mémoire de Saint Macaire, ermite du IVe siècle originaire d’Alexandrie en Egypte, le monastère a été transféré à la communauté arménienne de Chypre au XVe siècle. Devenant ainsi le seul monastère arménien de Chypre et le lieu de culte et de pèlerinage le plus important pour la communauté arménienne de l’île. Même si depuis la guerre de 1974 qui a divisé l’île en deux, le monastère est resté sans soins et que les pèlerinages ont par définition étaient plus que rares.
Récemment, c’est dans sa cour séculaire que s’est tenue une soirée techno le 20 mars. Les réactions ne se sont pas fait attendre après la mise en ligne de l’événement sur YouTube, le 7 avril.
Les dirigeants religieux de Chypre, toutes confessions confondues se sont dit « profondément attristés » face à l’utilisation abusive du monastère qu’ils ont condamnée dans un communiqué conjoint hier. Ils avaient déjà réagi « fermement » en décembre dernier concernant « l’utilisation abusive » de l’église de l’Archange Michel de Lefkoniko, sous le contrôle de facto de la république turque de Chypre du Nord, pour un bazar de produits faits maison.
Obstacle à la coexistence pacifique
Les dirigeants qui représentent les cinq principales communautés religieuses de Chypre sont l’archevêque grec-orthodoxe Chrysostomos II, l’archevêque de l’Eglise maronite Yousef Soueif, l’archevêque de l’Eglise orthodoxe apostolique arménienne Khoren Doghramadjian et le vicaire patriarcal latin Jerzy Kraj, aux côtés du mufti de l’île, Talip Atalay. Leur déclaration d’hier a été publiée par l’organisation Religious Track of the Cyprus Peace Process (RTCYPP : Suivi religieux du processus de paix à Chypre), qui travaille sous les auspices de l’ambassade de Suède à Nicosie.
Les chefs religieux ont expressément demandé à ce que « que tous les lieux de culte et cimetières, en usage ou non, soient protégés contre le vandalisme, les abus et la profanation ». Ajoutant que « le non-respect des lieux de culte et des cimetières crée de la douleur, nourrit la méfiance et devient un obstacle à la coexistence pacifique ».
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Le RTCYPP a par ailleurs fait savoir que l’archevêque arménien Khoren a salué la solidarité de tous les leaders religieux de Chypre et « en particulier la condamnation publique du Mufti de Chypre ». Ce dernier a condamné sur Facebook l’« insensibilité » et l’« irresponsabilité » des auteurs de tels agissements. « Avec ou sans intention, a-t-il complété, toute activité qui blesse les croyants auxquels appartient le lieu de culte et qui n’est pas conforme au caractère du lieu de culte est laide et doit être condamnée. » Soulignant l’importance de « faire ce qui est nécessaire » et estimant que « les mesures nécessaires seront prises par les autorités. »
Logiquement, dans la même ligne, l’ambassade de Suède à Chypre « déplore l’utilisation irrespectueuse du monastère arménien de Saint-Magar » et a exprimé la même requête quant à la protection des lieux de culte et cimetières. Aussi, l’ambassade américaine à Chypre a condamné les faits rappelant que « la liberté de culte est une valeur fondamentale » et a relayé l’appel des chefs religieux de l’île.
Comme un écho du concert à Nabi Moussa
Ce fait qui touche de près les sensibilités religieuses de Chypre rappelle à s’y méprendre le concert électro de la célèbre DJ palestinienne Sama Abdulhadi, qui s’est déroulé le 26 décembre dernier dans les murs du sanctuaire de Nabi Moussa. Le site abrite, selon la tradition musulmane, la tombe du prophète Moïse, près de Jéricho, en Cisjordanie occupée. Sama Abdulhadi a été arrêtée le lendemain pour profanation d’un lieu religieux et non-respect du protocole sanitaire à cause de la pandémie.
Sa famille et la Commission indépendante des droits de l’Homme de Cisjordanie, soutiennent que l’événement aurait été approuvée par le ministère du tourisme palestinien. Sur demande du Premier ministre palestinien, une commission d’enquête a été créée. La DJ attend actuellement son jugement pour lequel elle encourt une peine de deux ans de prison. D’ici là, elle ne peut quitter le pays.
Egalement des actes anti-musulmans…
Retour à Chypre. Les sites chrétiens ne sont pas les seuls à faire l’objet de mauvais usage ou de vandalisme. Ce fut encore le cas dernièrement avec la mosquée Episkopi connue sous le nom de mosquée Muslu Çavuş, dans le district de Limassol (République de Chypre). A l’origine, ce lieu de culte était une église byzantine, dédiée à Saint-Georges. Elle a été transformée en mosquée par les Ottomans au début du XVIe siècle. Des fresques chrétiennes ont été trouvées lors de travaux de restauration effectués par le Département des Antiquités après 1974. Le 25 mars dernier, la mosquée a été recouverte de tags bleus dont certains représentaient des croix chrétiennes, des drapeaux grecs quand d’autres graffitis faisaient référence à la révolution grecque de 1821 contre les Ottomans.
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Le maire du village, a déclaré à Politis Radio que c’était la troisième fois qu’un tel incident se produisait contre cette même mosquée. Le porte-parole du gouvernement chypriote Kyriacos Koushos, dans une déclaration écrite, a condamné l’action des « personnes sans cervelle qui, sous prétexte de soi-disant patriotisme, insultent les lieux de culte religieux, mais aussi le sens même du patriotisme tel que nous l’ont enseigné nos glorieux héros ». Et le maire d’avoir souligné que : « des actions malveillantes comme celles-ci ne contribuent en aucune manière à la création du climat propice que nous recherchons dans nos efforts pour trouver une solution au problème chypriote et à la réunification de notre patrie ».
… et des tags racistes anti-migrants
Le ministère turc des Affaires étrangères a également réagi : « Nous nous joignons à l’appel du Président de la République turque de Chypre du Nord, Ersin Tatar, pour déterminer au plus vite les auteurs de cette attaque afin qu’ils soient traduits en justice. Nous espérons que la question sera traitée avec tout le sérieux et la sensibilité nécessaires afin d’éviter la répétition de tels actes inacceptables. »
De leur côté, les leaders religieux ont condamné ce qu’ils considèrent comme une « profanation claire d’un lieu de culte » et ont salué chaleureusement « le nettoyage rapide de la mosquée par les autorités compétentes du gouvernement chypriote. »
Ils avaient réagi dans un communiqué similaire le 1er juin 2020 après que des graffitis racistes – « Immigrants, islam, not welcome » – aient été tagués la veille sur la mosquée Köprülû, de Limassol. Des bombes à pétrole avaient aussi été lancées à l’intérieur du lieu de culte. « Nous sommes horrifiés de voir de tels actes de violence et d’expression de l’islamophobie, de la xénophobie et de la discrimination », avaient-ils alors déclaré. S’élevant contre « toutes les actions qui tentent de nuire au caractère multiculturel de Chypre que nous nous efforçons tous de maintenir ». Rappelant que pour pour eux « les lieux de culte sont des espaces sacrés où une culture de paix, de pardon et de réconciliation est nourrie et cultivée. »