Investies dans tous les domaines au service de la chrétienté de Terre Sainte, locaux et pèlerins, les communautés religieuses sont la prunelle des yeux du diocèse. Durant la crise de la pandémie, elles ont redoublé de prière pour le monde. Mais ce travail de vigie de la charité ne les a pas empêchés d’être ébranlées elles aussi.
Scherzo et Allegra ont fait une sorte de dépression” dit avec tendresse Sr Telesphora. Sœur Telesphora Pavlou, Franciscaine Missionnaire du Cœur Immaculé de Marie, est la supérieure grecque des cinq sœurs d’autant de nationalités qui veillent sur le sanctuaire du mont des Béatitudes. Ces sœurs apostoliques sont passées du jour au lendemain d’une vie hyper active au service des pèlerins dans le sanctuaire et à l’hôtellerie – d’une capacité de 150 personnes – au silence du désert, en passant aussi par un intense moment de stress quand la nouvelle du virus s’est répandue : “Nous avons reçu des appels du ministère israélien de la santé. Les services sanitaires voulaient immédiatement venir assainir les lieux où séjournaient les pèlerins et nous ne savions pas où envoyer nos groupes. Nous avons décidé de garantir l’hospitalité à ceux qui restaient avec nous, jusqu’à ce qu’ils puissent trouver des avions pour partir.”
De l’anecdote…
Pour la communauté, la brutalité du premier confinement a été adoucie par la splendeur de la création. Dans ce désert verdoyant qui surplombe le lac de Tibériade, la nature a repris ses droits. La faune naturelle est apparue de nouveau dans la propriété : renards, loups, sangliers, cigognes etc. Scherzo et Allegra se remettent. Ce sont les deux chiens dits “de garde” de la communauté, plus souvent habitués à se laisser cajoler et gâter par les pèlerins qu’à montrer les crocs.
“Nous étions entre nous et dans cette densité, le monde était présent”
La plupart des témoignages des religieux commencent ainsi. Religieux et religieuses décrivent l’anecdotique puis le “bénéfice” découvert dans l’arrêt soudain des pèlerinages.
“Notre vie de prière n’a pas changé sur la forme. La liturgie des Heures reste la même” expliquent des moniales d’Abou Gosh, un des sanctuaires qui commémore la rencontre d’Emmaüs. Mais Sr Marie-Judith ajoute : “J’ai senti la différence à la vigile pascale (2020, en plein confinement NDLR). Habituellement nous avons beaucoup de monde. Là, c’était vide. C’était très beau. C’était paisible.” “Nous étions entre nous et dans cette densité, le monde était présent” commente Sr Claude-Mathilde. Sr Marie-Véronique de poursuivre : “Nous étions saisies par l’importance de la prière dans ce moment”. Une prière propice à s’interroger sur “ce que le Seigneur attend de nous et ce qu’il veut nous dire quand surgit une telle crise” renchérit Sr Christine-Marie.
Au “bénéfice” succède le temps de l’interrogation sur la vie communautaire, ses joies et ses frottements, la vie de prière dans la joie d’un rythme moins bousculé mais aussi le côté rugueux du “face à face” sans distraction, le chamboulement des emplois du temps, la remise en question de rythmes ou d’habitudes que l’on croyait bons et nécessaires. “Nous sommes huit frères en communauté et l’accueil des pèlerins mobilise la moitié des effectifs. L’absence de visites nous a permis de nous retrouver et a permis un recentrement sur l’essence de notre vie monastique” explique frère Louis-Marie qui estime à quelque 60 000 le nombre de visiteurs annuels. “Au moins nous avons eu le temps de faire tout ce que nous n’avons jamais le temps de faire habituellement !” se réjouit-il. Un leitmotiv qui revient dans plusieurs témoignages.
Autre monastère, autre réalité. Les cisterciens de Latroun sont moins en contact direct avec les pèlerins. La pandémie, ils l’ont, eux, expérimentée dans leur corps quand plusieurs moines ont contracté le virus, dont le père abbé. Mais Dom René Hascoët ne plaint pas sa communauté. Elle fait partie des très rares dont la vie et la vie économique ne dépendent pas du pèlerinage. Si le magasin qui écoule la production du monastère – du vin, en bons trappistes – a ressenti sur son chiffre d’affaires les 130 jours de fermeture des trois confinements imposés en un an, les finances ont tenu le coup.
“à un moment nous avons eu un peu de mal”, dit timidement le père abbé. C’est que la communauté a maintenu dans l’emploi, à plein temps, ses dix ouvriers tout au long de la crise, quand, sur le mont des Béatitudes, les sœurs se sont trouvées dans l’obligation de licencier leurs quarante employés. “Nous avions fait des travaux et contracté des emprunts, jusqu’à maintenant nous nous débattons avec les banques.” explique Sr Telesphora.
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Elles encaissent en silence, mais de nombreuses communautés sont largement éprouvées financièrement par la crise. Des monastères n’ont plus la moindre entrée d’argent mais les dépenses fixes demeurent.
Il faut bien manger, payer eau et électricité, assurances sanitaires et autres cotisations. Les moniales d’Abou Gosh ne vont plus à Jérusalem faire les courses que tous les 15 jours et prennent plus souvent les transports en commun. Les potagers ont repris du service dans nombre de jardins. Les voitures qui flanchent ne sont pas remplacées. Une moniale a pris un emploi pour aider sa communauté. Certaines hôtelleries en ont profité pour faire des travaux “prévus et toujours repoussés mais devenus d’autant plus nécessaires qu’une hôtellerie qui n’est pas en service se détériore” explique frère Carlos de la Casa Nova de Nazareth.
Au Carmel de Haïfa, qui vit des scapulaires vendus par les pères carmes du sanctuaire de Stella Maris et de la fabrication d’hosties, Sr Veronica de Jésus explique que les sœurs ont fait preuve d’encore plus de “sobriété” personnelle et communautaire pour affronter la situation. On n’ose pas imaginer à quel dénuement elles sont rendues. Sur le conseil de leur évêque, elles sont entrées en contact avec la Mission pontificale qui devrait leur apporter une aide d’urgence. Les maigres pensions de retraite perçues par quelques sœurs anciennes ne suffisent pas aux 20 moniales. Dans ce contexte, Sr Veronica de Jésus veut surtout témoigner de la solidarité de leurs voisins. “Ils ont compris que nous pouvions être en difficulté et ont fait preuve d’une incroyable inventivité pour nous venir en aide.” Sur le mont des Oliviers, ce sont des amis juifs du monastère des bénédictines qui ont organisé une journée d’entraide à leur intention. Début juin, à l’initiative d’expatriés, c’est une grande journée de solidarité avec plusieurs communautés qui sera vécue à Abou Gosh.
… à l’essentiel
Cette initiative elle-même souligne la singularité pour ces communautés religieuses à vivre dans un pays où le christianisme est très largement minoritaire expliquant leur dépendance économique aux pèlerinages et à la solidarité internationale.
“Nous prions continuellement pour eux, pour ceux qui sont malades et pour ceux qui sont décédés. Pour ceux qui ont dû renoncer à venir. Nous continuons à les confier, ainsi que leurs familles, au Seigneur, afin qu’il leur apporte du réconfort.”
Mais ce sujet économique, aussi sensible soit-il, n’est pas celui sur lequel les communautés veulent s’étendre le plus. Toutes ont ressenti le besoin d’ajouter des prières à celles habituelles de la liturgie, religieux comme religieuses, parfois à l’appel du Saint-Père, ou spontanément. Ce sont les femmes qui le plus facilement s’expriment sur l’intime de cette prière. “Au Carmel, nous vivons dans la sobriété la relation aux moyens de communication. Une sœur est chargée de suivre les nouvelles et d’en résumer l’essentiel qui est lu lors du repas du soir. Et puis, comme nous sommes de quatorze nationalités. Il suffit de se donner les unes aux autres des nouvelles de nos familles pour avoir une idée de la pandémie dans le monde. Pas besoin d’être connectées en permanence pour sentir battre le cœur du monde. En communauté nous avons multiplié les prières, rénovations, processions, chemins de croix, chapelets et jusqu’à maintenant nous disons tous les jours une prière spéciale lors de l’office de sexte pour manifester notre communion.” La voix de Sr Veronica de Jésus se serre : “Vous vous rendez compte du poids de douleurs qui traverse le monde en ce moment ? Combien de personnes ont perdu une mère, un père, un frère, une sœur ?” Elle déglutit avec peine. “Je me sens responsable de porter cette souffrance du monde. Je voudrais consoler mon peuple.”
Sur le mont des Béatitudes, tous les jours à midi, une sœur descend à l’église du sanctuaire sonner la cloche pour l’Angélus, comme si les pèlerins étaient là. “Nous prions continuellement pour eux, pour ceux qui sont malades et pour ceux qui sont décédés. Pour ceux qui ont dû renoncer à venir. Nous continuons à les confier, ainsi que leurs familles, au Seigneur, afin qu’il leur apporte du réconfort.”
Les religieuses sont des mères comme les autres, la souffrance du monde se loge au creux de leurs entrailles et ne leur laisse pas de repos. Alors comme la Vierge Marie, fille de cette Terre Sainte, elles s’abandonnent à la prière et à la confiance. C’est là aussi qu’elles trouvent le moyen, comme l’exprime encore Sr Veronica de Jésus, de faire de cette année suspendue “un temps pour expérimenter l’amour du Seigneur” qu’elles entendent partager avec le monde… dans la prière toujours !
Dernière mise à jour: 08/04/2024 11:24