Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Le père Michel Remaud est parti vers la Jérusalem Céleste

Christophe Lafontaine
25 mai 2021
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Brillante figure du dialogue judéo-chrétien à Jérusalem et en France, le père Remaud a consacré sa vie à faire mieux comprendre l’importance du judaïsme et des Juifs pour la foi chrétienne. C’est là son plus bel héritage.


Passionné par la Bible et par le judaïsme. Docteur en théologie, spécialiste de l’exégèse rabbinique et de ses liens avec le Nouveau Testament. Aussi expert du christianisme vu à travers les relations judéo-chrétiennes, le père Michel Remaud a eu à cœur, une très large partie de sa vie, de transmettre.

D’une grande intelligence spirituelle, ami du peuple juif, c’est dans le souffle de la Pentecôte qu’il a été rappelé à Dieu à l’âge de 80 ans, le 23 mai. Un virus d’hôpital a eu raison de sa santé fragilisée par le covid dont il s’était pourtant remis. Ses obsèques ont été célébrées ce matin dans sa Vendée natale qu’il avait retrouvée en 2016, après avoir vécu plus de 30 ans à Jérusalem.

Français, membre de la congrégation vendéenne des Pères de Chavagnes, également nommés Fils de Marie Immaculée, il a été un pilier de la communauté catholique hébréophone de Jérusalem. Beaucoup se souviennent de ses sermons courts où il avait l’habitude de ne relever qu’un point sur lequel se concentrer pour le garder en mémoire et/ou en retirer une mise en pratique.

Ordonné en 1966, à l’âge de 26 ans, il est nommé en 1970, professeur au grand séminaire de Bordeaux, devient aumônier des étudiants et fait à cette époque peu à peu connaissance avec le monde du judaïsme dans la ville du vin, de son rabbin, de la communauté synagogale et de l’amitié judéo-chrétienne. De fil en aiguille, il est « rentré dans le circuit » comme il le confia. C’est dans ces années qu’il fut le correspondant du comité épiscopal français des relations avec le judaïsme. Mais ce n’est qu’en 1979 qu’il posa le pied pour la première fois sur la terre du Salut. Il s’agissait d’abord d’approfondir ses études d’hébreu et sur le judaïsme.

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Puis, après quelques allers et retours en France, il occupa diverses responsabilités paroissiales et devint délégué des relations avec le judaïsme. En 1986, il s’installe à Jérusalem et enseigne au sein du Centre d’études juives de l’Institut Ratisbonne, projet affilié à l’Institut catholique de Paris, qui reçut en 1998 le patronage du Pape, devenant ainsi un institut pontifical. Pour des raisons entre autres financières et administratives, l’Institut Ratisbonne a fermé assez brutalement ses portes en 2001.

Théologie de haute volée et pédagogie

Avec quelques collègues, il a relancé un centre d’études pour combler ce manque à Jérusalem : l’Institut Chrétien d’Etudes Juives et de Littérature Hébraïque, connu comme l’Institut Albert-Decourtray, du nom de l’ancien archevêque de Lyon, qui fut très engagé dans les relations judéo-chrétiennes. Fondé en 2003, le père Remaud l’a dirigé jusqu’en juin 2016, date de sa fermeture. Le but était de permettre aux chrétiens francophones d’accéder à une connaissance du judaïsme par les sources, en se familiarisant avec la Mishna, le Talmud, les commentaires exégétiques de la Bible aussi bien de l’Antiquité que du Moyen-Age. Il s’est agi aussi d’enseigner une histoire de la tradition juive des origines jusqu’à nos jours. Cela incluant naturellement une familiarisation avec la liturgie synagogale. L’Institut offrait également une réflexion théologique sur le sens du rapport entre l’Eglise et le peuple juif, et entre la foi chrétienne et le judaïsme.

Depuis son retour en France, le père Michel Remaud enseignait à la Faculté de Théologie de l’Université catholique de l’Ouest à Angers. Et parcourait la France pour donner des conférences notamment sur le Nouveau testament et la tradition rabbinique.

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« Il était un grand théologien. Un excellent enseignant qui savait transmettre ce qu’il avait étudié et appris des Juifs en les respectant profondément. Quelqu’un qui avait fait le choix d’écrire simplement des choses profondes et difficiles et ce, y compris dans sa thèse de doctorat de théologie (*). Il avait l’humilité du vrai chercheur. En même temps, il était un prêtre qui célébrait chaque jour l’eucharistie, priait l’office, priait personnellement, aimait l’Eglise et aimait Marie », confie Eliane Ketterer, qui a enseigné à ses côtés et fut une collaboratrice proche. Ils ont notamment co-écrit dans les « Cahiers Evangile » un numéro consacré au « Midrash », commentaire rabbinique de la Bible.

Deux influences : le père Roger Le Déaut et le père Jacques Fontaine

Eliane Ketterer se souvient qu’il lisait tous les jours l’Ancien Testament en hébreu de manière continue et quand il avait fini, recommençait sa lecture depuis le début. « En cela, dit-elle, il avait été marqué par Jacques Fontaine, le fondateur de la Bible sur le terrain, qu’il avait continué de visiter jusqu’à la mort de ce-dernier ». Ils s’étaient connus à la Maison Saint-Isaïe, centre d’études de la Bible des frères prêcheurs à Jérusalem de 1960 à 1997.

Tous ses travaux, enseignements et son quotidien immergé dans le monde juif, privilégiant la rencontre mutuelle d’individu à individu, sont marqués par ce désir de faire découvrir combien la connaissance du judaïsme peut enrichir et renouveler la connaissance des origines des chrétiens et nourrir le dialogue interreligieux avec le judaïsme. « J’ai eu une chance, confiait-il dans une interview pour Pax Christi en 2010, que je n’ai vraiment mesurée qu’a posteriori, de fréquenter pendant quatre ans un homme, Roger Le Déaut, qui était un puits de science et un spécialiste du targum (ndlr : traduction araméenne de la bible hébraïque qui comporte de nombreux ajouts et commentaires interprétatifs). Il était Spiritain et habitait le Séminaire français de Rome. Pour lui, il était impossible de passer du Nouveau testament à l’Ancien sans faire une étape par la tradition rabbinique. C’est une idée très importante dans ma démarche et je la lui dois. Il répétait souvent : ‘‘Les chrétiens ont reçu des juifs une Bible interprétée’’ ».

22e lauréat de l’amitié judéo-chrétienne

Pour montrer comment l’Evangile s’enracine dans le monde juif, Michel Remaud a écrit beaucoup d’ouvrages. Pour n’en citer que deux : « Paroles d’Evangile, paroles d’Israël » en 2012, « Du neuf et de l’ancien en 2017 ». Il a aussi beaucoup publié sur l’histoire des relations entre juifs et chrétiens et sur la vie des communautés chrétiennes aujourd’hui en Israël : « Chrétiens et Juifs entre le passé et l’avenir » en 2000, « L’Eglise au pied du mur : Juifs et Chrétiens, du mépris à la reconnaissance » en 2007. Ce dernier lui a valu en 2010 le prix de l’amitié judéo-chrétienne de France, qui lui a été remis en présence notamment de l’ancien Grand Rabbin de France René-Samuel Sirat.

Une récompense qu’il accueillit avec modestie et comme un encouragement à continuer son travail. En octobre dernier lors d’une interview télévisée, il confiait travailler sur un opuscule consacré à la lecture de l’épisode des disciples d’Emmaüs (Chapitre XXIV de St Luc) vu à travers la tradition juive « car il y a beaucoup d’allusions, de thèmes dans cette scène qui prennent un tout autre relief quand on les replonge dans la tradition juive y compris le vocabulaire qui est employé par l’évangéliste ou par Jésus lui-même qui évoque des harmonies auxquelles les chrétiens ne peuvent pas penser, pas deviner s’ils n’ont pas fait le détour par la tradition juive ».

Son regard espiègle caché derrière une barbe taillée au cordeau, disait que le père Remaud aimait l’humour. Fraternel, il était aussi quelqu’un qui « avait un grand sens de la justice » et qui « était profondément révolté contre toute forme d’injustice », relève Eliane Ketterer. En outre, poursuit-elle « il avait quelque chose de Nathanaël. ‘‘Que ton oui soit oui que ton non soit non’’. Un homme sans compromis face à la vérité. Le courage de la vérité même si elle pouvait lui faire des ennemis. La fidélité dans ses amitiés mais aussi dans ce qui lui tenait à cœur ».

Il a passionnément aimé la Terre Sainte et ses lieux saints, le Sud d’Israël, le désert, et les découvertes archéologiques du pays. « Jusqu’au bout alors qu’il était à l’hôpital et qu’il n’avait qu’un accès limité à Internet il voulait savoir ce qui se passait en Israël suite à ce qui s’est passé à Meron », confie Eliane Ketterer. Un fidèle à la terre qu’il a aimée, au peuple juif, à ses amis et à sa foi de chrétien.

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(*) Michel Remaud a soutenu sa thèse de doctorat en 1992 « A cause des pères. Le « mérite des pères » dans la tradition juive et dans la liturgie synagogale », Louvain, Peeters, 1997.

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