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Une autre Gaza : celle d’une archéologie en mouvement

Christophe Lafontaine
18 mai 2021
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Le pavement du chœur de l’église primitive après sa dépose et en cours de restauration, avril 2021. © R. Elter

Avant le nouveau conflit, trois tombes byzantines ont été retrouvées au monastère de Saint Hilarion à Gaza. Surtout, un pavement de mosaïque du Ve siècle ap. J.-C., en cours de restauration, promet un très beau résultat.


C’était entre mars et avril 2021, loin des violents feux de l’actualité brûlante. Trois tombes tardives de la période byzantine ont été mises au jour sur le site archéologique du monastère Saint-Hilarion dans la bande de Gaza. Ce monastère est le plus ancien et le plus grand monastère de toute la Terre Sainte (15 000 m²). Il pouvait accueillir une centaine de moines et loger en ses murs autant de pèlerins affluant sur la route du monastère Sainte Catherine au Sinaï. Et ce, sans compter les voyageurs qui pouvaient camper à proximité du puits à l’extérieur du monastère.

Situé à plus de 10 kilomètres au sud de Gaza, le long du cordon de dunes littorales, à Nusseirat, le monastère tire son nom de Saint Hilarion, ermite et moine du IVe siècle ap. J.-C. Hilarion est considéré comme le fondateur du monachisme en Palestine. Ces dernières années, les archéologues ont retrouvé sur les lieux, l’ensemble primitif dans lequel il a vécu.

Le complexe ecclésiastique a été développé en plusieurs étapes. Au moins trois églises s’y sont succédé entre le début du Ve siècle ap. J.-C. et le courant du VIIe siècle ap. J.-C. Le site comprend également un complexe pour accueillir les pèlerins composé d’une grande hôtellerie et d’un bain. Sous l’église tardive, se développe une crypte dédiée à Hilarion, la plus grande de tout le bassin méditerranéen oriental.

« Une tombe privilégiée »

Les tombes récemment découvertes, sans inscription, « sont toutes les trois chrétiennes », affirme René Elter, archéologue, chercheur associé à l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem, et directeur depuis 2001 du programme scientifique et de restauration du site. Sans avoir été fouillées, les tombes ont révélé des squelettes. Les défunts furent vraisemblablement enterrés emmaillotés dans un linceul, qui était soit constitué de gaze (tissu de coton utilisé assez couramment à Gaza), soit dans un tissu de lin. La décomposition des corps a complètement détruit l’enveloppe textile.

La tombe mise au jour dans la chapelle baptismale. © R. Elter/PUI/EBAF

La première tombale se trouve dans la chapelle baptismale du monastère. Elle a été réutilisée en continu entre la fin du VIe siècle et la fin du VIIe siècle. La tombe contenait au moins cinq individus. Pour René Elter, il s’agit donc probablement d’une tombe familiale. Vu son emplacement, il s’agissait d’une « tombe privilégiée » réservée aux personnes qui ont soutenu et aidé le monastère par des dons et qui en échange ont pu continuer à inhumer leurs défunts au plus près de la tombe d’Hilarion ou ce qui fut la cellule du saint.

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Les deux autres tombes remontent au VIIe siècle ap. J.-C. et ont été retrouvées dans un espace qui pouvait être une cour. Il s’agit de tombes à inhumation unique, c’est-à-dire qu’il n’y a eu qu’une seule utilisation de la sépulture.

Un pavement éclatant en cours de restauration…

Pour René Elter, le fait le plus important de ces derniers mois est sans conteste la mise en chantier de la restauration, d’un pavement « éclatant » de mosaïque, qui est celui du chœur de l’église primitive du monastère. Il date du premier quart de Ve siècle ap. J.-C. Au pied de ce pavement, donc au pied du chœur, au-dessus du cénotaphe de Hilarion se développe un deuxième pavement sur lequel on peut lire une inscription en grec citant le saint.

Découvert en 2003, le pavement polychrome du chœur, aux motifs géométriques, de cercles, de losanges et d’entrelacs « fait apparaître des croix », décrit le chercheur. Mais il s’est en partie effondré dans le cénotaphe d’Hilarion.

Les causes de cet effondrement sont multiples : manque d’entretien sur le site faute de moyens humains et financiers entre 2006 et 2010, situation politique complexe empêchant l’accès des archéologues à Gaza, pluies torrentielles et dévastatrices en hiver. De plus, le pavement faiblement fondé et posé sur du sable n’a pas résisté. « Les vibrations liées aux bombardements de l’opération israélienne ‘‘Plomb durci’’ (décembre 2008 – janvier 2009) ont certainement accéléré son effondrement en agissant indirectement sur la stabilité du sable de la dune », estime René Elter.

… remis à sa place à l’automne après des fouilles à l’été

L’effondrement a été stoppé en 2010 par la mise en place de protections d’urgence. Depuis 2018, une opération de pérennisation a été mise en œuvre. Actuellement, les archéologues et restaurateurs travaillent à la restitution des parties effondrées. Cette opération fait suite à la dépose complète de toutes les parties du pavement : effondrées et non-effondrées.

« Nous avons bon espoir de le repositionner – à l’automne – à sa place d’origine, dans le chœur de l’église primitive. Avant, en juin et juillet prochains, nous allons fouiller le chœur de l’église pour dégager l’entrée de la tombe. La tombe et sa périphérie seront étudiées. Cela permettra de mieux comprendre le contexte dans lequel elle a été installée », se réjouit l’archéologue.

De la pérennité du lieu

Le site est loin d’avoir fini de livrer son histoire et l’idée forte des chercheurs est de vouloir le pérenniser. Un vœu qui a commencé à être réalisable grâce au financement du British Council’s Cultural Protection Fund pour les années 2018-2021 et actuellement avec un budget alloué par la fondation Aliph. Cette fondation créée au milieu des années 2010 est financée entre autres par des fonds provenant des pays du Golfe en vue de pallier le manque de soutien financier pour la préservation du patrimoine en zone de conflits, comme en Syrie et en Irak.

« Nous sommes par ailleurs en train de travailler sur un projet de financement avec l’Agence française de Développement (AFD). Il ne faut pas oublier que depuis l’origine, en 2001, ce projet est soutenu par le Consulat général de France à Jérusalem », confie René Elter. Sur le terrain, le programme est mené par l’ONG Première Urgence Internationale soutenue scientifiquement par l’Ecole biblique et archéologique française à Jérusalem et sous le contrôle du service du Ministère palestinien des Antiquités et du Tourisme. Il est étonnant de retrouver dans ce cadre une ONG plutôt réputée pour ses actions humanitaires pures et dures, ce qui est habituel à Gaza. Mais en réalité, le patrimoine et la culture sont « des éléments forts de la structuration des individus, de leur épanouissement », déclare le chercheur.

En ligne de mire, une inscription au patrimoine de l’Unesco

La finalité dans les années à venir serait, pour René Elter, une inscription au patrimoine mondial de l’Unesco (l’organisation est déjà partenaire du projet). « Une telle inscription serait très bien pour Gaza, la Palestine et la communauté internationale. C’est un lieu exceptionnel dans sa diversité et son caractère patrimonial, scientifique et humain », avance-t-il.

En effet, tous les jours 35 jeunes, garçons et filles étudiants et ouvriers travaillent sur le site. L’une des composantes importantes du projet est la formation. A saint Hilarion, ils sont formés à l’archéologie, à la taille des pierres, à la restauration de maçonneries anciennes, de pavements de mosaïques, des enduits peints… Deux étudiants ont été formés à l’accueil des visiteurs et au guidage. Un circuit de passerelles permet aux visiteurs de découvrir les vestiges, les restaurations en cours et de poser si nécessaire des questions aux ouvriers, aux restaurateurs ou aux archéologues.

Ainsi, il est possible de mieux comprendre le lieu. Le public peut découvrir église, baptistère, atrium, crypte, bain et hôtellerie, mais également l’histoire de Gaza des romains aux premiers siècles de l’Islam.

Avant la pandémie de coronavirus, entre 2018 et 2020, 1 000 visiteurs, dont 900 enfants de Gaza, étaient accueillis tous les mois sur ces lieux au riche passé chrétien. Ce qui est important, la population étant majoritairement musulmane à Gaza. « Le site profite d’une bienveillance générale et se révèle être un lieu d’appropriation, d’histoire, de culture, de tolérance et de transmission » conclut René Elter.

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