Ils sont nés après les accords d'Oslo (1993) et ne s’en sentent pas redevables. Les jeunes Palestiniens partagent avec leurs aînés l’aspiration à la liberté, la dignité et la reconnaissance mais ne veulent plus de l’ancien échiquier politique et se jouent des frontières. Un mouvement se cherche mais n’a pas fini de faire parler de lui.
C’est une caractéristique de la société palestinienne : à chaque vague d’affrontements entre les Palestiniens et Israël dans les dernières années, c’est la jeunesse qui se mobilise.
Les évènements du mois passé ne font pas exception. Sur les checkpoints israéliens en Cisjordanie, la majorité des manifestants et ceux qui dirigeaient les marches étaient des Palestiniens âgés de 18 à 25 ans, des deux sexes.
C’est que des jeunes, la Palestine n’en manque pas. Selon le bureau palestinien des statistiques, entre 40% et 50% des Palestiniens en Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza ont moins de 25 ans. Selon le même bureau, 45% des jeunes sont au chômage, sans aucune protection sociale, alors que 15% sont chargés de famille. Cette génération a grandi dans un contexte politique et social d’exclusion. Or, elle se montre fortement mobilisée, sans direction politique claire, demandant un changement qui reste largement à découvrir et à construire.
L’opportunité perdue des élections
Après l’annonce des élections par le président palestinien, fin de l’année dernière, plusieurs listes de jeunes se sont formées. Une des listes se nommait « Tafah al kail », ce qui veut dire « On en a assez » en arabe. La liste a réussi à rassembler des mouvements sociaux comme celui des personnes handicapées et celui des employés gouvernementaux licenciés. Le porte-parole de la liste, Jihad Abdo a dit dans un entretien avec le site palestiniens « Ultra Palestine » que « la Palestine voit actuellement émerger un nouvel ordre social. Les partis et les élites sont d’un côté et nous nous en sommes dans l’autre ».
Une autre liste intitulée « La génération du changement démocratique » s’est présentée en tant que mouvement alternatif au système politique tout entier. La liste a décidé de faire une campagne symbolique de protestation, sans s’enregistrer aux élections. Pourtant, l’annulation des élections a repoussé la possibilité d’expression politique des jeunes. Les affrontements avec l’occupation israélienne ont en quelque sorte fourni une alternative à cette génération pour se mobiliser sur le terrain.
Mahmoud Khawaja, journaliste palestinien indépendant de 28 ans, basé à Ramallah, note que « ces jeunes ont mis en avant une nouvelle perception de la résistance et une nouvelle forme d’expression de la cause palestinienne. On ne parle plus de « deux États » ni de « conflit international », mais plutôt de « colonialisme de remplacement » et de droits de l’homme ». Et pourtant, l’aspect le plus important de cette nouvelle conscience, comme l’affirme Khawaja : « C’est le sens d’unité inter-palestinienne ». Ce sentiment d’unité a été renforcé par les manifestations des arabes d’Israël, qui se sont transformées très vite en un soulèvement violent de la population arabe.
Au delà des partis et des frontières
« Ce sentiment d’unité à travers les frontières a des conséquences politiques », selon Yahya Abul Rob, 29 ans, chercheur au centre Bissan des études sociales à Ramallah. Pour lui, « quand les jeunes se mobilisent à travers les frontières, en tant que Palestiniens, les leaders politiques et leur discours, confinés aux frontières, perdent leur pertinence ». Yahya Abul Rob signale que « l’autorité palestinienne a pratiquement disparu de la scène pendant près de trois semaines, comme si elle n’existait pas, ainsi que les députés arabes à la Knesset. Ce qui se passait les a dépassés ».
« Ils veulent tous nous avoir de leur côté », dit Nassim Harfouche, lycéen de 19 ans de Kharbatha Al Misbah, un village du nord de Ramallah, en parlant des partis palestiniens. Nassim participe aux manifestations depuis le début de mai, et au moment d’être interviewé il venait tout juste de sortir de détention par l’armée israélienne. Pour lui, « les partis sont toujours là pour récupérer la mouvance des jeunes. Mais quand nous nous mobilisons, ils ne font qu’applaudir. On n’a plus confiance en eux ». Nassim insiste que « même si le Hamas a gagné de la popularité, étant la faction la plus importante dans la coalition qui affronte l’occupation à Gaza, on n’est pas naïfs. Le soutien à la résistance c’est une chose et la récupération partisane en est autre ». Il reconnaît néanmoins: « beaucoup de jeunes restent fidèles aux partis où ils se sont formés politiquement . Mais cette nouvelle conscience est réelle, et elle grandit ».
Le désir d’une nouvelle culture politique
Yahya Abul Rob insiste sur le fait que « au delà des positions bien formulées de certains jeunes, il y a un sentiment, un désir d’une nouvelle culture politique unitaire, et plus large que les partis et les frontières imposées par le conflit ». Yahya donne l’exemple de l’expression artistique, qui « a changé clairement. Dans les intifadas précédentes les chansons qui accompagnaient les mobilisations étaient ou bien celles des partis, ou chargées de discours idéologiques. Cette fois-ci, c’était des rappeurs des quartiers de Jérusalem qui ont marqué les mobilisations avec des paroles de défi, de fierté, et d’identification sociale ». Yahya fait référence à la chanson « Inn Anna » de deux jeunes rappeurs, Chabjedid et Dabbour, qui est devenue le chant du soulèvement, de Ramallah jusqu’à Lod. Même les hommes armés de Gaza ont défilé avec des pancartes illustrant des vers de la chanson hip-hop, à côté de leurs fusils, après le cessez-le-feu.
D’une certaine façon, les jeunes palestiniens cherchent à se réapproprier de la politique, en dépassant les contraintes des périodes passées. « C’est comme si une nouvelle Palestine émergeait », dit Mahmoud Khawaja. « Une nouvelle Palestine qui n’a pas fini de se définir, mais il est évident qu’elle doit le faire dans le cadre d’une cause non résolue, qui est à son tour l’héritage des générations précédentes ».