Son geste est naturel, rapide, maîtrisé. Dayroyo (frère en syriaque) Boulus trace les lettres de l’araméen biblique avec une aisance déconcertante. Sur le cuir, son feutre noir à pointe carrée dessine la prière du Notre Père telle qu’elle a probablement été écrite au temps de Jésus. Un talent que le jeune moine syriaque orthodoxe est l’un des rares à posséder et qu’il cultive depuis désormais sept ans.
Il chantonne. C’est presque trop facile pour lui, comparé au travail titanesque qu’il vient d’achever : la transcription des quatre Évangiles en araméen classique, celui retrouvé dans les livres bibliques de Daniel et d’Esdras. Le tout à la main. Et quatre fois.
Avril 2020. L’épidémie de coronavirus confine tout le monde chez soi et Dayroyo Boulus dans sa petite chambre du couvent Saint-Marc à Jérusalem. Un brin hyperactif, ce grand barbu natif de Jérusalem mène mille projets de front pour promouvoir l’araméen. Langue de la liturgie syriaque orthodoxe, elle était l’équivalent de l’anglais à l’époque de Jésus, avant de décliner au profit de l’arabe. Alors quand il se retrouve prisonnier avec une énergie débordante et un temps libre infini, il se tourne vers le Christ : «Que dois-je faire ?»
4 fois 400 pages
«J’ai écrit plus de 4 000 textes en araméen classique, dont beaucoup de Notre Père, explique le moine de 33 ans. Je voulais essayer autre chose, sans savoir vraiment quoi.» Le jour d’après et les trois qui suivent, une colombe se pose sur le bord de sa fenêtre. «Un signe de Dieu, s’émerveille-t-il, encore surpris. J’ai senti que l’Esprit saint me guidait vers l’écriture du Nouveau Testament.» Ni une, ni deux. Pour se mettre en jambes, il transcrit l’Évangile selon Marc —le plus court— au rythme d’un chapitre par jour. Soit 16.
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Il s’attaque ensuite à Matthieu (28 jours), à Luc (24 jours) et enfin à Jean (21 jours). La première version est prête quatre mois plus tard. Aussi perfectionniste que volubile, Dayroyo Boulus ne s’en satisfait pas. «Il y avait des erreurs, mon écriture n’était pas identique partout, alors j’ai recommencé.» Une deuxième, une troisième, une quatrième version s’enchaînent. Près de 400 pages à chaque fois.
Au fil de ses essais, son geste gagne en fluidité. En rapidité. Il achève sa quatrième copie en seulement deux mois. Elle est stupéfiante d’uniformité. Parfaitement régulières, les lettres sont comme tapées à la machine. Dayroyo Boulus, est au summum de son art. Car c’est bien le coup de maître qu’il a réussi : transformer une écriture désuète en œuvre artistique à la limite du produit marketing. Ce qui l’anime ? Un appel divin, entendu sept ans plus tôt.
Disciple de l’araméen
Septembre 2014. De retour au couvent Saint-Marc à Jérusalem après un séjour de deux ans en Suède, Dayroyo Boulus est soudainement tiré de sa sieste méridionale. «J’ai entendu comme une voix me dire de me rendre à la bibliothèque et d’écrire le Notre Père sur les morceaux de cuir que j’y trouverai», se remémore-t-il en lissant sa barbe touffue.
Ils y sont bien. C’est un signe. Le religieux s’exécute. «J’ai trouvé un modèle de lettres d’araméen classique. Et j’ai écrit, encore et encore. Je n’avais jamais fait ça avant.» Comme tous les moines syriaques orthodoxes, Dayroyo Boulus a appris à écrire l’araméen dans sa forme simplifiée. Quelques jours plus tard, il trace son premier Notre Père en lettres anciennes accentuée en rouge pour être plus compréhensibles, sur du cuir. «C’était un appel de Dieu. Un appel à être le disciple de l’araméen, à faire revivre cette langue en montrant à tous comment les contemporains de Jésus l’écrivaient», relit-il aujourd’hui.
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Depuis, sa calligraphie s’est métamorphosée. De simples traits tracés au marqueur, son écriture a pris du volume, du caractère. Courbes et ramassées, ses lettres sont stylisées grâce à un savant mouvement de feutre mille fois répété. Aujourd’hui, les corrections sont presque finies. Neuf mois et 115 feutres plus tard, le religieux s’apprête à imprimer son Nouveau Testament en 500 exemplaires.
Fidèle à la vision œcuménique de l’Église syriaque orthodoxe, Dayroyo Boulus entend offrir ces ouvrages aux chefs des différentes Églises orientales et latines. Et peut-être vendre le reste. Ils devraient partir comme des petits pains. Le travail du religieux, star des réseaux sociaux, est suivi par 20 000 personnes sur Facebook et 10 000 sur Instagram, séduits par cette trace revivifiée d’un passé millénaire. On nous dit à l’oreille que d’autres projets sont en préparation. Pas sûr que l’araméen ait dit son dernier mot.
Cet article est extrait du dossier « Ecrire la parole » du n°674 de Terre Sainte Magazine (Juillet-Août 2021, à paraître)
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