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Rejet de 15 pétitions contre la loi sur l’Etat-nation juif

Christophe Lafontaine
14 juillet 2021
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Dans l'enceinte de la cour suprême ©Hadas Parush/Flash90

Le 8 juillet, la Haute Cour israélienne a rejeté 15 pétitions visant à invalider la loi controversée de 2018 sur l’État-nation juif, accusée d’être discriminatoire et de marginaliser les non-juifs. Des issues possibles ?


Sur 11 juges, le seul juge arabe, George Kara, s’est prononcé contre. Un panel de juges de la Haute Cour de Justice israélienne a donc statué à la grande majorité que la loi sur l’Etat-nation juif « est un chapitre de notre constitution émergente, qui vise à ancrer les composantes de l’identité de l’Etat en tant qu’Etat juif ».

Dans son arrêt, la Haute Cour a déclaré que la loi ne portait pas atteinte « aux composantes de l’identité démocratique » de l’Etat, décrits et consacrés dans d’autres lois et principes constitutionnels.

La loi sur l’Etat-nation juif définissant Israël comme « l’Etat-nation du peuple juif » a été adoptée le 19 juillet 2018 en tant que « loi fondamentale », un type de législation protégée, difficilement modifiable au Parlement, destinée à former un jour la base d’une constitution pour Israël.

La loi ne reconnaît le droit à l’autodétermination (ou droit des peuples à disposer d’eux-mêmes) qu’aux juifs et le dénie donc aux Palestiniens, citoyens d’Israël (les descendants des Palestiniens restés sur leurs terres à la création d’Israël en 1948). Le texte stipule que : « Israël est l’Etat-nation du peuple juif dans lequel il réalise son droit naturel, culturel, historique et religieux à l’autodétermination ». Le texte rétrograde en outre l’arabe d’une langue officielle de l’État à une langue ayant un « statut spécial ». D’autre part, Jérusalem est définie exclusivement comme la capitale d’Israël « capitale complète et unie », incluant la partie orientale de la ville annexée. Aussi, la loi prévoit que le calendrier lunaire juif soit le calendrier officiel du pays.

Comme le rapporte Associated Press, dans son arrêt récent, la Cour a déclaré que le droit à l’autodétermination nationale « ne nie pas les droits personnels ou culturels reconnus ». Elle a également déclaré que la loi ne portait pas atteinte au statut de la langue arabe et n’empêchait pas « la promotion de son statut ». Le juge George Kara, seul opposant au texte, a affirmé que la loi ne faisait « qu’intensifier la violation du principe d’égalité » contre les citoyens arabes et druzes. Pour mémoire 20% des habitants en Israël sont arabes.

Quoi qu’il en soit, par sa décision, la Haute Cour a rejeté 15 pétitions émanant de différents acteurs opposés à la loi et qui visaient à la faire annuler. Parmi eux, a recensé le Times of Israël, les partis politiques du Meretz (gauche laïque) et la Liste arabe unie, ainsi que des groupes de pression comme Adalah – une association arabe de défense des droits juridiques -, ou encore l’Association pour les droits civils en Israël.

Opposition farouche de l’Eglise

Le Patriarcat latin avait très vite et vivement réagi après le vote de la loi en 2018. L’institution avait lancé un appel général au-delà des seuls citoyens chrétiens d’Israël pour que l’ensemble des citoyens de l’Etat d’Israël « qui croient encore au concept fondamental de l’égalité entre les citoyens d’une même nation » manifestassent leur « opposition » à cette loi et alertassent sur « les dangers » d’un tel texte pour l’avenir d’Israël. « Cela va au-delà de l’entendement, pouvait-on lire dans un communiqué, qu’une loi ayant un effet constitutionnel ignore tout un segment de la population, comme si ses membres n’avaient jamais existé ». La plus haute juridiction catholique en Terre Sainte n’avait pas hésité à qualifier le texte de loi de « discriminatoire » pointant le fait que « la loi ne fourni[ssait] aucune garantie constitutionnelle pour les droits des autochtones et autres minorités vivant dans le pays ».

Trois mois après la déclaration patriarcale, les Ordinaires catholiques de Terre Sainte (AOCTS), c’est-à-dire les évêques et vicaires épiscopaux catholiques de rites latins et orientaux, avaient appelé les autorités israéliennes dès le 31 octobre 2018 à abroger la loi. « La loi ignore totalement le fait qu’il existe un autre peuple, les Arabes palestiniens (ndlr : les descendants des Palestiniens restés sur leurs terres à la création d’Israël en 1948) et d’autres grandes communautés religieuses, chrétiens et musulmans, ainsi que les druzes et les baha’is, profondément enracinés dans ce pays [ndlr : Israël] », avaient-ils écrit. « Nos fidèles, les chrétiens, nos concitoyens musulmans, druzes et baha’is, nous tous qui sommes arabes, ne sommes pas moins citoyens de ce pays que nos frères et sœurs juifs », s’émouvaient-ils.

Des recours à l’international ou au Parlement ?

Suite à la décision de la semaine dernière, le ministre de la Justice, Gideon Saar, chef du parti nationaliste Nouvel espoir, s’est dit satisfait. Il a déclaré que la loi « ancr[ait] l’essence et le caractère d’Israël en tant qu’Etat-nation du peuple juif » et qu’elle « n’empiét[ait] pas sur les droits individuels des citoyens d’Israël ».

Le chef de la Liste arabe unie, le député Ayman Odeh, a quant à lui dénoncé la décision comme étant « raciste et antidémocratique. » Il a déclaré qu’il « continuer[ait] à se battre pour l’égalité des droits pour tous les citoyens du pays, au nom de la vraie justice et de la vraie démocratie ».

Le député travailliste Gilad Kariv, qui dirige la commission de la Constitution, du droit et de la justice de la Knesset, a quant à lui estimé sur Twitter que « la Haute Cour a eu raison de ne pas annuler la loi sur l’État-nation ». Avant d’ajouter que : « c’[était] le travail de la Knesset (ndlr : le parlement) que d’ancrer explicitement les valeurs d’égalité à côté de la reconnaissance que l’État d’Israël est aussi la maison de ses citoyens non-juifs. » « C’est exactement ce que nous allons essayer de faire », a-t-il d’ores et déjà annoncé.

Quant à l’organisation pour les droits de la minorité arabe en Israël, Adalah, elle a déclaré qu’elle « continuerait à travailler au niveau international pour dénoncer la nature discriminatoire et raciste de cette loi ».

 

Terre Sainte magazine a publié un décryptage complet pour comprendre les tenants et aboutissants de la loi dans son numéro de septembre-octobre 2018 : « Le vote d’une loi interroge sur le devenir démocratique de l’Etat juif ».


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