Sa Béatitude Mgr Ignace Joseph III Younan n’avait pas visité la Terre Sainte depuis onze ans. Terre Sainte Magazine l’avait rencontré à l’époque et a eu cette nouvelle opportunité lorsque le patriarche des syriaques catholiques est venu à Jérusalem pour introniser officiellement un nouvel évêque. L’occasion pour nous de prendre des nouvelles de cette communauté répartie dans tout le Proche-Orient et qui vit avec lui au rythme des soubresauts géopolitiques. Écoutons son point de vue de pasteur.
Votre Béatitude, quelle place les chrétiens syriaques-catholiques ont-ils en Terre Sainte ?
L’Église syriaque orthodoxe est en Terre Sainte depuis bien plus longtemps, mais nous, l’Église syriaque catholique, nous ne sommes ici que depuis une centaine d’années. Notre présence est due en partie à l’installation de réfugiés syriens, turcs et irakiens qui avaient fui les persécutions de leur temps. Nous sommes une toute petite Église avec ses propres traditions et sa langue liturgique, l’araméen, et nous participons à la mosaïque chrétienne de Terre Sainte en essayant de rester fidèles aux évangiles et à l’héritage apostolique. Cependant lors de mes rencontres avec les chefs des autres Églises ici, j’ai pu constater que nous faisons face aux mêmes questions dont celle de l’émigration. L’exode des chrétiens du Moyen-Orient se poursuit.
Quelles sont les nouvelles de votre Église ?
Nous sommes une Église de témoins et de martyrs. Relativement à notre nombre, nous sommes les plus durement touchés de tous les chrétiens. Depuis le début de la terreur,
en 2010 avec l’attaque sur notre église de Bagdad Notre-Dame de Délivrance, les chrétiens ont commencé à émigrer.
Nos communautés (au Moyen-Orient) se sont considérablement réduites. On estime à 60 % le taux d’émigration. L’archevêque de Bagdad me dit que son diocèse comptait au moins 6 000 familles il n’y en a plus que 700… à peine. La plaine de Ninive, dans le nord de l’Irak, a été particulièrement touchée. La majorité des chrétiens catholiques syriens vivaient dans leur plus grande ville, Qaraqosh. Entre-temps, la situation en Irak s’est quelque peu calmée. Environ 60 % des habitants sont retournés à Qaraqosh. Mais la situation n’est pas stable et les jeunes perdent confiance en l’avenir. Bref, notre Église – comme les autres – est dans une situation déplorable.
Et la situation dans les autres pays ?
Au Liban c’est de plus en plus dramatique. Personne ne s’attendait à une telle situation. La monnaie est tombée au douzième de sa valeur : 1 200 £ n’en valent plus que 100. Et le Liban accueille encore un grand nombre de réfugiés irakiens et syriens. En Syrie aussi notre Église a été durement touchée. Dans le nord-est de la Syrie autour de Hassaké, par exemple, les Kurdes, soutenus par les Américains et les Européens, se battent contre les troupes gouvernementales. Les Turcs ont coupé l’eau dans la ville, il n’y a pas eu d’eau potable depuis un mois et personne n’en parle. Des groupes terroristes comme l’État islamique sont toujours présents, ce n’est pas une région sûre. Notre vicaire patriarcal local parle d’une situation très dramatique. La nourriture devient de plus en plus chère, il n’y a pas d’électricité, pas de carburant. Le plus grand défi sera de convaincre les jeunes de rester dans leur pays d’origine.
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Avez-vous idée comment les convaincre de rester ?
Les idées n’ont plus de valeur ! Les jeunes ne croient plus aux mots ni aux idées ni aux programmes. Ils veulent de la sécurité et un avenir. En tant qu’Église nous pouvons bien leur dire que nous prions pour qu’ils restent forts et enracinés. Mas ce dont nos familles ont besoin c’est d’aide humanitaire et c’est ce que nous leur apportons au mieux de nos capacités. Mais quel sera l’avenir de ces chrétiens ? Dieu seul le sait !
D’où tirez-vous votre espoir ?
Jésus est notre espérance et Marie notre protectrice. Nous invitons nos croyants, en particulier les jeunes, contra spem speravi, à espérer contre toute espérance. Ce n’est pas facile. J’ai toujours dit, proclamé, annoncé comme saint Jean dans le désert, que nous, chrétiens d’Orient nous avons été abandonnés par l’Occident, et même trahis. Parce que nous ne sommes pas aussi nombreux que les musulmans parmi lesquels nous vivons, parce que nous n’avons pas de ressources financières, parce que nous ne représentons aucune menace, donc nous sommes négligés. L’Occident toujours prêt à protéger les espèces (animales) menacées nous délaisse, nous abandonne, nous trahit nous, les héritiers des premières communautés chrétiennes.
Nous sommes une Église de témoins et de martyrs. Relativement à notre nombre, nous sommes les plus durement touchés de tous les chrétiens.
Comment l’Occident peut-il aider ?
L’Europe tient le président Bachar al-Assad pour un terroriste, un monstre. C’est très facile de dire qu’il s’agit d’un régime totalitaire et despotique. Je dis : l’Occident n’a pas le droit d’exporter ce qu’il appelle sa démocratie dans une région où il n’y a pas de séparation entre la religion et l’État. Les Américains réclament des sanctions sur la base de photos montrant des scènes de torture par l’armée syrienne. Que pouvez-vous faire dans une guerre comme celle-ci avec tant d’atrocités en cours ? Dans les guerres que vous avez eues en Europe, toutes les atrocités n’ont juste pas été couvertes par l’actualité comme elles peuvent l’être aujourd’hui. Vous venez avec quelques photos et jugez d’après elles. Que les pays occidentaux cessent de parler un langage politiquement correct. Vous devez dire la vérité ! Vous devez aider ces peuples à se réconcilier véritablement, surtout les musulmans entre eux, sunnites et chiites, afin qu’ils puissent arriver à une stabilité et une paix durable.
Avec une telle réconciliation sunnite-chiite, l’islam laisserait-il encore de la place aux chrétiens ?
Oui s’il y a une réconciliation avec la volonté de dire à nos frères musulmans que nous vivons au XXIe siècle, pas au VIIe siècle. Vous êtes invités à interpréter les Écritures que vous considérez comme sacrées d’une manière plus humaine et à ne pas discriminer les non-musulmans. Plus important encore, n’apprenez pas à vos jeunes à avoir une lecture littérale. Il y a des versets dans le Coran qui sont tolérants. Pourquoi ne pas enseigner ces versets et laisser de côté ceux qui parlent de violence ? Pourquoi ne pas enseigner aux jeunes la vertu qui les conduira à accepter l’autre tel qu’il est ?
VISITE APOSTOLIQUE
La joie d’une visitation
Ce n’est pas de gaîté de cœur qu’un patriarche met 10 ans à revenir visiter une communauté située à seulement 235 kilomètres au sud de sa résidence. Mais quand on est de nationalité syrienne et que l’on réside au Liban, il faut une raison de poids pour mettre en branle toute la diplomatie vaticane afin d’obtenir d’Israël qu’il ouvre ses frontières.
C’est à l’occasion de l’installation officielle de Mgr Éphrem Samaan, le 3 juillet dernier, que Sa Béatitude Mgr Ignace Joseph III Younan a pu entrer en Terre Promise. Il y a séjourné huit jours, du 2 au 9 juillet, accompagné de Mgr Éphrem Youssef Aba, archevêque de Bagdad et du père Habib Murad, secrétaire général du patriarcat.
Cette visite fut l’occasion pour lui de rencontrer tous les chefs des Églises, de visiter les paroissiens de Jérusalem et de Bethléem et de faire un pèlerinage avec quelques-uns d’entre eux en Galilée. Les très nombreuses photos publiées sur la page Facebook du patriarcat montrent combien Mgr Younan a été accueilli partout
à bras ouverts.
Comme en 2010, les temps de rencontres avec les religieux de la communauté syriaque orthodoxe ont été particulièrement chaleureux et un exemple d’œcuménisme.
Dernière mise à jour: 22/04/2024 11:15