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Au commencement était l’imprimerie de la Custodie

Entretien avec Arianna Leonetti, (Creleb), propos recueillis par Amy Rodighiero
24 novembre 2021
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L’imprimerie fut ouverte en 1847 dans les locaux du couvent Saint-Sauveur, à la Porte neuve de la Vieille ville de Jérusalem. Ici l’atelier de reliure vers 1920. © Archives de la Custodie de Terre Sainte

Alors que s’achève l’année du premier centenaire de la revue Terre Sainte, il faut revenir sur celle sans qui l’aventure n’aurait certainement pas été la même : l’imprimerie des franciscains, connue à Jérusalem sous le sigle FPP, la Franciscan Printing Press. Arianna Leonetti, maître de conférences au Centre de Recherche Européen Livres, Édition et Bibliothèque de Milan et rédactrice de plusieurs articles (et bientôt une thèse) sur l’imprimerie nous éclaire sur la genèse d’une imprimerie toujours en activité à Jérusalem.


Arianna, la Franciscan Printing Press naît très tard par rapport à l’invention de l’imprimerie, pourquoi ?

En réalité, les frères auraient voulu plus tôt un outil leur permettant d’imprimer des livres pour leurs propres paroisses, leurs étudiants et leur séminaire, mais à Jérusalem, ils étaient des étrangers en territoire étranger, sous la domination des Ottomans. Les musulmans ont longtemps été opposés à l’impression en caractères mobiles. La raison est simple : l’arabe s’écrit en omettant les voyelles, et dans l’imprimerie à caractères mobiles, si vous déplacez un caractère, ce qui peut arriver lorsque la forme est imprimée, vous changez la prononciation du mot et risquez le blasphème.

Cependant en 1833, un sultan éclairé et inspiré par les théories de la Révolution française, décide de garantir l’égalité et la liberté à tous ses sujets, indépendamment de leur religion, de leur nationalité ou de leur appartenance ethnique. En conséquence, la presse a été libéralisée mais les frères, qui étaient prêts à ouvrir une imprimerie, manquaient de fonds. Le hasard a voulu que le Commissariat de Terre Sainte, récemment rouvert à Vienne en Autriche, ait une très grosse somme d’argent à investir. Les frères de Saint-Sauveur ont réussi à convaincre l’intendance d’envoyer à Jérusalem un frère formé dans les meilleures imprimeries autrichiennes, ainsi que des polices de caractères, de l’encre, du papier et une presse. Le frère imprimeur a pu mettre en place l’imprimerie en un rien de temps.

le premier véritable livre imprimé était le Petit catéchisme de saint Robert Bellarmin en arabe et en italien. Ce volume de quelques pages est le premier livre imprimé en arabe en Palestine.

Mais l’impression est un processus complexe, alors comment un religieux pouvait-il gérer seul un atelier entier ?

De juillet 1846, date de son arrivée, à janvier 1847, date à laquelle l’atelier commence à produire des imprimés, le frère imprimeur forme les adultes mais surtout les jeunes de l’orphelinat – lui aussi tenu par les frères et situé dans le couvent Saint-Sauveur – à l’art de la typographie. C’est comme si une formation à deux niveaux avait été créée : l’imprimeur imprimait des volumes pour la paroisse tels que des hymnes et des prières, des bréviaires et des livres de théologie pour les frères et des livres scolaires tandis que dans l’atelier, les enfants apprenaient un métier. Dans une ville comme Jérusalem, où l’imprimerie était une nouvelle discipline et où la liberté de la presse venait d’être donnée, cela signifiait garantir à ces enfants la possibilité de trouver un emploi. L’impact éducatif a été impressionnant : peu à peu, l’Empire ottoman s’est ouvert à la nouveauté et a permis aux franciscains de tripler le nombre d’écoles dans la région. Il s’agissait également d’augmenter le nombre de livres dont les étudiants avaient besoin : syllabaires, livres de calligraphie, livres pour apprendre à écrire et à compter, livres de doctrine tels que des recueils d’histoire biblique enrichis de splendides illustrations pour les enfants. C’était vraiment un cercle vertueux !

C’est en mai 2007 que l’imprimerie est installée à Bethphagé sur les pentes orientales du Mont des Oliviers. D’anciens locaux ont été réaménagés en vue d’accueillir une imprimante 5 couleurs en CTP (du computer à la plaque). © Nadim Asfour/CTS

L’imprimerie franciscaine était une imprimerie très active. Peut-on dire qu’elle devint un point de référence dans le monde des affaires de Jérusalem ?

Absolument ! Alors que les franciscains attendaient les fonds nécessaires pour ouvrir leur imprimerie, les arméniens, les grecs et les juifs avaient déjà ouvert la leur à Jérusalem. Ils faisaient venir des travailleurs d’Europe, mais les franciscains furent les premiers à employer des travailleurs arabo-chrétiens. Alors que leurs concurrents tardaient à travailler en raison d’un manque chronique d’ouvriers qualifiés, les franciscains, qui avaient formé leurs employés à l’école et à l’atelier, n’ont jamais arrêté la production. L’imprimerie franciscaine était une imprimerie que l’on pourrait qualifier de “révolutionnaire” : le premier véritable livre qu’elle a imprimé était le Petit catéchisme de saint Robert Bellarmin en arabe et en italien. Ce volume de quelques pages est le premier livre imprimé en arabe en Palestine. Non seulement les frères étaient les seuls à imprimer en arabe, mais ils ont également réussi à mettre en place une fonderie pour fabriquer des caractères. Ils ont acheté une presse en creux pour faire des images, ils ont appris à faire des lithographies… De ce qui n’était au départ qu’une petite expérience, ils ont progressivement réussi à avoir un atelier d’impression de moyen-haut niveau. À tel point que lorsque les Britanniques sont arrivés en 1917, ont renvoyé les jeunes Turcs et ont commencé leur mandat, ils se sont adressés à la meilleure imprimerie de Jérusalem, les franciscains, pour faire imprimer des proclamations à placarder dans toute la ville.

Les franciscains ont eux-mêmes fondu leurs propres caractères en arabe. Aujourd’hui, certains jeux de caractères servent encore à l’atelier de reliure. Ils sont, à l’ancienne, installés sur un composteur et permettent de “graver” les titres au dos de livres. © Photos Nadim Asfour/CTS

 

Vous nous avez parlé de volumes, de manifestes, de presses et de caractères. Où se trouve aujourd’hui cet immense patrimoine ? Est-il visible par le public ?

Presque toute la production de l’imprimerie franciscaine est conservée au couvent Saint-Sauveur, à la Porte Neuve, le siège de la Custodie. Les imprimeries ou maison d’édition qui possèdent de telles archives – tous les volumes depuis 1847 à nos jours – sont rares. Jusque dans les années 1950-60, cette collection de livres était quelque peu oubliée, mais grâce à l’opération “Livres, Ponts de paix”, ce patrimoine est devenu accessible à tous. Le tournant a été la création d’un catalogue numérique en ligne. Les spécialistes de la Terre Sainte du monde entier sont très reconnaissants de pouvoir consulter à distance le catalogue des franciscains de Jérusalem. Mais nous ne parlons pas seulement de livres : dans les réserves nous avons trouvé des presses d’imprimerie des années 50 qui venaient d’Italie, de Turin. Il y a aussi une belle presse en fonte de Vienne, construite en 1860, qui est conservée dans l’entrée de la Curie. On m’a dit qu’elle était restée là parce que, lors de son déplacement, elle était si lourde qu’elle est tombée et s’est démontée. Au moins maintenant tout le monde peut la voir. Une dernière curiosité : l’imprimerie franciscaine est en fait toujours en activité, elle a simplement été déplacée à Bethphagé, à quelques kilomètres de Jérusalem. Dans l’imprimerie d’aujourd’hui, on utilise encore des machines des années 1950, des Heidelberg fabriquées à Berlin quand la ville était divisée par le mur entre l’Est et l’Ouest. En bref, l’imprimerie franciscaine témoigne des liens qui existent entre la Terre Sainte et le monde, et ses livres, les premiers à être imprimés en arabe en Palestine, ont véritablement été des ponts de la paix !

RELOCALISATION

Pourquoi imprimer Terre Sainte Magazine en France ?

En septembre 2013, la revue Terre Sainte en langue française quittait les presses de Jérusalem pour rejoindre celles de Combourg dans les Côtes-d’Armor. “Ce sont les coûts d’expédition des revues vers la France où se trouvent 90 % des lecteurs qui nous ont contraint à ne plus imprimer à Jérusalem”, explique Marie-Armelle Beaulieu la rédactrice en chef. “En mars 2013, la revue s’est rapprochée d’une filiale du groupe Bayard qui accompagne des journaux paroissiaux, diocésains et de mouvements d’Église ou congrégations religieuses. Je la connaissais bien pour y avoir travaillé durant 10 ans et dirigé son établissement en Bretagne. Nous sommes totalement indépendants du groupe de presse des assomptionnistes, mais son offre de service nous a ouvert l’accès à la reconnaissance comme magazine par la Commission paritaire des publications et agences de presse et ipso facto le droit à bénéficier des tarifs postaux préférentiels pour la presse. L’économie était considérable pour un déficit alors abyssal. Il a fallu se résoudre à quitter la FPP.”

Dernière mise à jour: 24/04/2024 13:40

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