« Terre Sainte Magazine est un peu comme notre Bible à emporter ». C’est par ces mots que le père Jean-Philippe Fabre, professeur au Collège des Bernardins à Paris, a conclu le colloque des 100 ans de Terre Sainte Magazine, qu’il a animé samedi dernier et qui fut selon lui « un très grand moment, vraiment réjouissant avec que de bons échos ». Pour lui, le journal est « l’une des multiples paroles que la Bible permet. A la fois la Bible est parole fondatrice, parole unique, et en même temps elle est parole déployée. »
Et le bibliste de développer : « ce que réussit Terre Sainte Magazine, c’est précisément à tenir de façon assez admirable, à la fois l’aspect de l’histoire, l’aspect de la terre, des peuples, des hommes qui vivent sur cette terre [ndlr : sainte], l’aspect de ce dieu vivant et tout cela dans une littérature qui continue à actualiser ce qui est la complexité de la vie des hommes menée par Dieu sur cette terre (…) bien difficile à comprendre ».
Ce n’est pas pour rien que Terre Sainte Magazine, TSM pour les habitués, est reconnu par le milieu de la presse comme veut le souligner Philippe Agret, directeur du bureau de l’AFP de Jérusalem de 2009 à 2014 et présent au colloque : « Pour un grand média d’information généraliste et internationale, comme l’AFP, TSM est un instrument très utile, pédagogique, pour appréhender la richesse et l’immense complexité du fait religieux en ‘‘Terre sainte’’. Indispensable ».
Pour revivre en ligne le colloque >> 1921-2021 : Terre Sainte Magazine, témoin d’un siècle d’histoire
TSM relève le défi depuis 100 ans. Une prouesse pour la presse. Parmi les cinq publications françaises qui sont centenaires et plus, trois sont chrétiennes : la revue Etudes, La Croix, Le Pèlerin. Au regard de ce trio gagnant qu’a recensé le journaliste Luc Balbont, qui vit entre la France et le Liban et qui intervenait au colloque, ce dernier a voulu souligner la pérennité de la revue francophone des franciscains de Jérusalem, dirigée depuis 2008 par la première journaliste professionnelle de son histoire, Marie-Armelle Beaulieu qui s’est dite à la fin du colloque consciente de « l’héritage » qu’elle porte, avec « toujours en filigrane » la profondeur de la foi.
Esprit de famille, esprit franciscain
L’événement, intitulé « 1921-2021 : Terre Sainte Magazine, témoin d’un siècle d’histoire », a été orchestré par l’équipe parisienne de la revue avec le soutien du commissariat de Terre Sainte à Paris pour la France et la Belgique. Et ce fut un succès.
En chiffres d’abord car plus de 150 personnes ont répondu « présent » et une vingtaine de personnes ont pu suivre en ligne. Le tout dans un vrai esprit de famille. Et même, selon l’historien Vincent Lemire qui a ouvert le bal des interventions, dans « un esprit très franciscain ». Le directeur du Centre de Recherche Français à Jérusalem entendant par là, « un esprit de simplicité, de bienveillance et de sérieux dans les échanges ».
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Mgr Celestino Migliore, nonce apostolique en France, l’archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit, se sont rendus sur place ainsi que Mgr Emmanuel Tois, vicaire général de l’archidiocèse de Paris. Le colloque s’est tenu sous le haut patronage du Custode de Terre Sainte, Francesco Patton, accompagné du fr. Stéphane Milovitch, directeur des biens culturels de la Custodie de Terre Sainte à Jérusalem, et du fr. David Grenier, commissaire pour la Terre Sainte à Washington.
Le succès du colloque est aussi à mesurer à l’aune d’une programmation riche : dix interventions de 20 minutes. Un défi vu l’étendue des sujets. Mais tous les orateurs auront réussi à faire plonger les auditeurs dans cent ans d’histoire – celle d’hier et d’aujourd’hui -, celle d’une terre et de ses peuples, aussi celle de l’archéologie, des pèlerinages, des ancêtres de la revue comme l’a expliqué Marie-Alix de Varax, conférencière et Dame de l’Ordre équestre du Saint-Sépulcre en France. Ce fut également l’occasion de voir comment la spiritualité et l’esprit franciscains irriguaient la revue. Sans compter la contribution des franciscains de France à l’œuvre de la Custodie que fr. Roger Marchal, commissaire de Terre Sainte pour la France et la Belgique a explicité dans un exposé à travers plusieurs figures.
Un enjeu de mémoire
« Le colloque a confirmé encore une fois la volonté de la Custodie franciscaine de Terre Sainte d’ouvrir ses archives, à Jérusalem et dans les commissariats répartis dans le monde entier, pour raconter une histoire si complexe et passionnante comme celle de l’imprimerie franciscaine de Terre Sainte et de ses revues dans plusieurs langues, et, à travers les pages sorties du couvent Saint Sauveur, retracer l’histoire plurielle de cette région multiculturelle », a déclaré l’historienne Maria Chiara Rioli, de l’Université Ca’ Foscari (Venise) qui est intervenue en ligne depuis l’Italie.
La mémoire est un concept important pour les peuples qui habitent la Terre Sainte. C’est d’ailleurs « ce qui est sorti très clairement du colloque », a fait remarquer fr. David Grenier. Pour lui, TSM joue ce rôle de mémoire. « Mémoire de ce qui s’est passé bien sûr il y a 2 000 ans à travers toute l’histoire sainte de cette terre que le Christ a sanctifiée par la suite, mais aussi parce qu’écrire aujourd’hui laisse un témoignage pour les générations à venir, comme ceux qui ont écrit le premier numéro de la revue en 1921 qui ont été témoins d’une époque et qui a beaucoup à nous apprendre, comme d’ailleurs toutes les époques ». Et le frère franciscain d’ajouter : « si TSM nous informe sur les événements actuels qui se passent en Terre Sainte, elle nous permet aussi de développer des perspectives pour l’avenir, pour essayer de comprendre ce qui va se passer dans le futur ».
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Pour sa part, Karène Summerer-Sanchez, historienne de l’Université de Leiden aux Pays-Bas, qui est intervenue, s’est dite ravie « de la richesse et de la diversité des approches, des méthodologies, des profils des intervenants lors du colloque. Des points de vue qui ont proposé différentes portes d’entrée pour tenter de cerner le contexte historique, les enjeux locaux, nationaux, transnationaux et la multiplicité des acteurs impliqués dans les processus décrits ». Sensible à « la mine que constitue pour les historiens ce type d’archives locales qu’est TSM depuis ses débuts », la chercheuse s’est réjouie de « la complémentarité voire de la complicité entre orateurs, sans même se connaître pour certains ».
Des intervenants et des sujets de haut niveau
« Tous les intervenants étaient de haut niveau », commente sur le même ton, Dominique Neckebroeck, Chevalier de l’Ordre équestre du Saint-Sépulcre, abonné comme les 700 autres membres de l’Ordre à TSM et qui considère la revue comme « faisant partie de la formation permanente des membres de l’Ordre » et qui « place dans notre prière la vie des chrétiens de Terre Sainte », soutient-il. Sans aucun doute, il retiendra plus particulièrement l’intervention de l’historien Vincent Lemire.
Notamment, dit-il « en réalisant que 2021, comme en 1921, annonce les prémices d’un basculement pour les chrétiens de Terre Sainte ». L’historien a en effet analysé que ce qui réunissait les deux dates, 1921 et 2021, était « l’impression d’un moment de bascule, avec la certitude que l’équilibre précédent était terminé mais que le schéma suivant n’était pas encore stabilisé ». Pour un lecteur en 1921, il s’agissait de la fin de l’empire ottoman et de ce qui dessinera le conflit israélo-palestinien. Pour les lecteurs de TSM d’aujourd’hui, le point de bascule est « sans doute que le statu quo issu de la guerre des Six jours de 1967 est en train de se terminer », a énoncé Vincent Lemire.
Pour sa part, Marie-Claire Rouquet, abonnée à la revue et volontaire pendant un an chez les assomptionnistes de St Pierre en Gallicante, à Jérusalem, il y a une quinzaine d’années, a tout suivi en ligne car « les sujets avaient l’air passionnants ». Contente d’avoir vu les intervenants tenir leurs promesses, elle avoue – même si dire une préférence était difficile – « avoir beaucoup apprécié l’intervention de Maria Chiara Rioli, qui s’est exprimée sur quelque chose de tout à fait nouveau pour [elle] à savoir l’histoire de l’imprimerie de la Custodie, et notamment quand en 1921 des musulmans comme des juifs venaient faire imprimer des documents, signe d’un dialogue interreligieux vivant ».
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L’ancienne volontaire pour qui la revue permet de garder un lien avec la Terre Sainte a été aussi très touchée par le témoignage de Marie-Armelle Beaulieu, « elle qui a l’habitude de faire parler les locaux dans son journal, s’est livrée sur son rapport avec ce pays qui sur la carte d’identité n’est pas le sien mais qu’elle a fait sien ». Elle se dit reconnaissante pour tout ce qu’elle découvre dans la revue. Car « en venant en pèlerinage ou en voyage, nous passons souvent à côté des gens qui vivent et travaillent sur cette terre. De la fabrication des keffiehs à la verrerie en passant par les tatouages, nous sommes invités à découvrir dans les pages de TSM une actualité vivante faite d’hommes et de femmes ».
« Durer et persister »
La revue est aussi vivement appréciée par Alain Rémy, ancien ambassadeur, consul général de France à Jérusalem de 2005 à 2009. « Honnêtement, Terre Sainte Magazine, publiée en français, est une très bonne revue, tant par la diversité des auteurs, que par la mise en page, la liberté de ton, et la multiplicité de sujets. » Le diplomate s’est réjoui de participer au colloque consacré à TSM ; un événement « très réussi, dans la forme comme dans le fond sur une thématique variée, et des interventions de très bon niveau, dans un climat simple et convivial ».
Intéressé par l’intervention sur les pèlerinages de Claire Burkel, bibliste, enseignante au Collège des Bernardins et guide en Terre Sainte, Alain Rémy a également été sensible à celle donnée sur 100 années d’archéologie en Terre Sainte par le père Philippe Cazala, archéologue au Collège des Bernardins et ancien étudiant à l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem (2019-2020), ou encore par l’exposé de Vincent Lemire.
De son côté, l’ancien consul général a été heureux d’intervenir en tant qu’ancien chef de poste à Jérusalem, pour exprimer un point de vue diplomatique français, tant l’histoire à rebondissements de l’installation des consuls français dans la ville sainte, depuis Louis XIII, a été liée aux relations plus ou moins faciles, selon les époques, avec les frères de la Custodie de Terre Sainte.
Le mot de la fin ? : Longue vie à TSM ! « L’un des mandats de la Custodie est de durer, de persister et ce n’est pas si facile de se projeter dans l’avenir quand on a une si longue durée de vie derrière soi », rappelle Vincent Lemire, pour qui, « ce colloque sur le centenaire de la revue symbolisait bien ce double effort ».