Hydrogéologue au département d’enquête géologique du gouvernement israélien, Ittai Gavrieli surveille les évolutions de la mer Morte depuis les années 1980. Il estime que son rétrécissement n’est pas une catastrophe, et que la beauté des paysages lunaires générés par les dolines est au contraire exploitable touristiquement.
Cela fait presque 40 ans que vous étudiez la mer Morte. Voyez-vous un désastre écologique quand vous regardez ces paysages évoluer ?
C’est tout sauf un désastre ou une catastrophe. Ces termes sont trompeurs et participent à la mauvaise réputation de la mer Morte à l’échelle internationale. Notre définition du désastre est subjective et tient au jugement qu’on émet depuis notre perspective humaine. Si vous changez de point de vue, et optez pour celui qui place la mer Morte au centre, vous verrez qu’elle ne souffre pas. La baisse du niveau de l’eau n’affecte pas sa qualité ni sa composition unique. Elle n’a causé la mort de personne. Surtout, un tel phénomène s’est déjà produit dans le passé, sans que cela n’ait de conséquences. Voilà 20 000 ans, la mer Morte s’étendait jusqu’au lac de Tibériade qu’elle englobait. Son niveau était alors 100 à 250 m plus élevé que celui d’aujourd’hui, chiffres qui n’ont cessé d’évoluer au cours du temps. Ainsi il y a 10 000 ans, la mer a rétréci de manière spectaculaire, son niveau chutant entre 50 et 100 m plus bas qu’aujourd’hui. Les mêmes effondrements de berges se sont produits. Alors certes, aujourd’hui, le rétrécissement de la mer Morte a des causes humaines mais il ne représente pas un désastre en soi.
Mais aujourd’hui c’est aussi tout un pan de l’économie locale qui est touché
Je ne le conteste pas. Des plantations et des hôtels ont dû être abandonnés, les rives de la mer se sont éloignées, et y accéder est devenu dangereux. Mais des compensations financières ont été apportées. Dans un sens, la problématique de ces dernières années, c’est la désertion des touristes, qui préfèrent se rendre au bord des bassins d’évaporation, dans la zone sud. Au nord les perspectives de développement sont nulles. Les risques d’effondrement rendent impossible la construction de nouveaux bâtiments. On s’inquiète de la baisse du niveau de la mer Morte parce qu’on a du mal à en supporter les conséquences. Pourtant l’histoire montre que la mer s’en est déjà remise.
Aujourd’hui, il s’agit de rendre cette beauté accessible à tous et d’en faire une opportunité pour que les touristes reviennent. Pourquoi ne pas créer un parc national des dolines ?
Voulez-vous dire qu’il faut accepter la situation et les paysages tels qu’ils sont ?
Si les différentes parties parviennent à se mettre d’accord sur une solution, stabiliser le niveau de la mer Morte en limitant les impacts négatifs prendra des dizaines d’années. Les motivations ne tiennent pas à la mer Morte en tant que telle. Elles sont économiques : il s’agit de la rendre accessible à nouveau pour générer du développement. La question de ce qu’on y perd et ce qu’on y gagne à tenter d’augmenter son niveau reste entière. Les risques sont bien connus : une arrivée d’eau extérieure pourrait modifier l’écosystème et la composition chimique actuelle de la mer Morte, allant jusqu’à altérer la couleur de l’eau. Finalement c’est une question de valeur. Accepter que les dolines ne sont pas un désastre, c’est commencer à en voir la beauté. La mer Morte est unique, et le phénomène géologique qui accompagne la formation des dolines l’est tout autant. Aujourd’hui, il s’agit de rendre cette beauté accessible à tous et d’en faire une opportunité pour que les touristes reviennent. Pourquoi ne pas créer un parc national des dolines ?
Lire aussi >> La mer Morte à la nage
Comment cela serait-il possible sachant que le rivage est par essence instable, et donc dangereux ?
L’idée serait de pouvoir atteindre le rivage en traversant les zones à risque en toute sécurité et sans guide. On pourrait même développer le tourisme autour des dolines avec un parcours fléché. Certaines sont remplies d’eau et offrent un magnifique nuancier de couleurs. Le défi reste entier : les zones les plus belles sont aussi les plus dynamiques. À terme, d’autres devraient devenir moins actives. Pour assurer la sécurité de tous, il faut construire des infrastructures adaptées, effectuer une surveillance continue et alerter en cas de danger. Si on ne peut pas arrêter la nature, la Commission géologique d’Israël a aujourd’hui les moyens techniques et scientifiques de repérer quand un processus d’effondrement est en cours. Se balader dans ce type d’environnement n’est pas sûr à 100 %, mais il en est de même dans le désert de Judée où vous pourriez très bien tomber d’une falaise.
Dernière mise à jour: 29/04/2024 12:41