L’Arabah, vallée située entre la mer Morte au nord et le golfe d’Aqaba au sud, est bien connue pour avoir été dans l’Antiquité un centre d’extraction de cuivre. Elle serait même devenue il y a environ 3 000 ans, d’après une nouvelle étude de l’Université de Tel Aviv, le centre de fusion le plus grand et le plus avancé technologiquement dans le monde antique. Et ce, grâce « à des compétences de gestion avancées et à une créativité technologique impressionnante » de la part de la population de l’Arabah, a annoncé l’université dans un communiqué hier.
Dans l’Antiquité, le cuivre était important car considéré comme un composant majeur du bronze qui s’obtient par la fusion complexe du cuivre et de l’étain. Le nouveau métal est vite apparu plus malléable que le cuivre pur mais avec les mêmes propriétés quant à sa solidité. La fabrication du bronze a naturellement conduit au développement de toutes sortes d’outils et d’armes.
L’étude a été menée et rédigée par David Luria, étudiant diplômé de l’Université de Tel Aviv, rattaché en son sein au département Jacob M. Alkow d’archéologie et des cultures anciennes du Proche-Orient et à l’institut d’archéologie Sonia & Marco Nadler. Son travail a été publié le 20 décembre dans la revue Plos One.
Une région minière convoitée…
Le travail de David Luria s’est concentré sur les deux principales zones minières, où se laissent apercevoir encore parfois des roches bleues-vertes, qui ont fait la réputation industrielle de l’antique vallée, d’ailleurs évoquée dans la première phrase du premier chapitre du Livre du Deutéronome. Il y a d’abord Timna, au nord d’Eilat dans l’actuel Israël, et ensuite à 130 km au nord, Feynan aujourd’hui en Jordanie. Les mines de Timna ont longtemps été associées au roi Salomon et au royaume d’Israël. Des fouilles à la fin des années 1960 ont cependant révélé un petit temple égyptien, dédié à Hathor, la déesse de l’amour et de la beauté. Ce temple fut vite considéré comme la preuve que l’activité minière était plutôt liée à l’Egypte et remontait au XIIIe siècle avant J.-C., soit quelque 200 ans avant le roi David.
Des recherches antérieures à l’étude de David Luria ont longtemps soutenu que le haut niveau de technologie utilisé dans la vallée de l’Arabah a été rendu possible grâce aux savoirs et aux technologies que les Egyptiens avaient apportés dans la région lors de l’expédition du pharaon égyptien Sheshonq Ier en 925 av. J.-C., cinq-six ans après la mort du roi Salomon.
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Cette théorie avait été renforcée en 2014 non seulement après la découverte d’un artéfact en forme de scarabée portant la figure de Sheshonq à Feynan, mais aussi grâce au développement d’une nouvelle modélisation scientifique en 2019 qui estimait qu’un saut technologique inopiné avait eu lieu à l’époque du séjour du pharaon.
Il est cité comme « roi d’Egypte » dans la Bible sous le nom de Shishaq. « La cinquième année du règne de Roboam, Shishaq, roi d’Égypte, monta contre Jérusalem. Il s’empara des trésors de la maison du Seigneur et des trésors de la maison du roi ; il s’empara de tout ; il s’empara aussi de tous les boucliers d’or qu’avait faits Salomon », peut-on lire au chapitre XIV du Premier Livre des Rois.
Cependant pour David Luria, l’expédition de Sheshonq dans la vallée minière « n’avait pas pour but de s’emparer physiquement des mines de cuivre de l’Arabah, mais plutôt de formuler un accord à long terme avec le peuple de l’Arabah afin de renforcer la production locale et ainsi augmenter les exportations de cuivre vers l’Egypte, qui souffrait de difficultés dans sa production locale à l’époque », a-t-il déclaré. En écho, le Jerusalem Post explique que des archéologues de l’université de Tel Aviv avaient recommencé à creuser à Timna en 2013 ; et le journal d’expliquer que « la datation au radiocarbone de la matière organique a prouvé que l’activité la plus intense du site s’est produite vers 1 000 avant notre ère, à l’époque de David et Salomon, lorsque l’Égypte n’était plus puissante ».
… et fer de lance d’une industrie high-tech
David Luria qui soutient que le grand succès économique et technologique de l’industrie du cuivre dans l’Arabah n’a pas été lié aux compétences et connaissances d’une Egypte à l’époque dans le besoin de cuivre et moins robuste, mais plutôt au talent de la population autochtone. « Il apparaît, dit-il, que le secret du succès de l’ancienne industrie du cuivre dans l’Arabah réside dans les compétences et les capacités de gestionnaires efficaces, qui ont été assistés à chaque étape de leur prise de décision par des experts technologiques talentueux. »
La réflexion du chercheur a pu être nourrie grâce une analyse minutieuse des dépôts laissés dans les zones minières. « Ces découvertes sont les résidus de production de cuivre qui se sont accumulés sous forme de tas de déchets qui peuvent être datés, et dont la taille permet d’évaluer le volume de production à un instant donné. De plus, en procédant à une analyse chimique de la teneur en cuivre restant dans les déchets, nous pouvons déterminer la qualité de la production ; lorsque la quantité de cuivre dans les déchets diminue, nous pouvons conclure que le processus est devenu plus efficace. »
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David Luria affirme également que les traces détectées sur ces sites montrent que tout au long de la période de production, l’équipe de gestion a pu fermer des mines peu opérantes et en ouvrir de plus efficaces. Il a dans ce sens fait remarquer que les déchets d’une période antérieure produits avec des procédés moins efficaces ont été réutilisés pour extraire les grandes quantités de cuivre qu’ils contenaient encore, plutôt que d’utiliser le minerai brut. Ce qui montre un haut niveau de compétences technologiques et la capacité de vérifier la quantité de cuivre présente dans le matériau.
Cela n’aurait pas pu être mis en place et étudié, dit l’auteur de l’étude, « sans une excellente équipe technique qui a soutenu les décisions de gestion par des tests technologiques réguliers ».
Pour lui, « la leçon importante à tirer de ce succès technologique est que les individus avertis en matière de haute technologie – des personnes instruites et énergiques qui ont vécu ici au premier millénaire avant notre ère – ont réussi, tout comme aujourd’hui, à provoquer une énorme révolution dans l’économie locale ». Un clin d’œil à la start-up nation qu’est l’Israël d’aujourd’hui. Autrement dit, « il n’y a rien de nouveau sous le soleil », conclut, espiègle, David Luria.