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Les Patriarcats d’Alexandrie et de Moscou à couteaux tirés

Christophe Lafontaine
31 janvier 2022
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Iconostase de la cathédrale orthodoxe grecque de l’Annonciation à Alexandrie (Egypte), siège du patriarcat orthodoxe d'Alexandrie © Roland Unger / Wikimedia Commons

Le Patriarcat d'Alexandrie et de toute l’Afrique a reconnu l'autocéphalie de l'Eglise orthodoxe d'Ukraine en 2019. L’Eglise russe a riposté en créant un exarchat en Afrique fin 2021. Un conflit à communiqués interposés.


Depuis deux ans, les relations entre le Patriarcat orthodoxe de Moscou et le Patriarcat grec-orthodoxe d’Alexandrie se sont gravement détériorées. En toile de fond la question de la reconnaissance par le patriarche orthodoxe d’Alexandrie de la nouvelle Eglise orthodoxe d’Ukraine. Cette dernière est devenue la 15e Eglise autocéphale orthodoxe le 5 janvier 2019, après que le patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée Ier, lui a accordé le « tomos », c’est-à-dire l’indépendance canonique.

Dans une déclaration publiée le 28 janvier dernier, le Patriarcat de Moscou a solennellement appelé le Patriarche Théodore II d’Alexandrie et son Eglise « à renoncer à leur soutien au schisme ukrainien et à reprendre la voie canonique afin de préserver l’unité de la Sainte Orthodoxie ».

Pour bien comprendre, il faut remonter au 8 novembre 2019 quand le patriarche grec-orthodoxe d’Alexandrie et de toute l’Afrique a décidé de reconnaître la nouvelle Eglise orthodoxe autocéphale d’Ukraine. Au grand dam de l’Eglise orthodoxe russe, jusque-là seule Eglise canonique en Ukraine. La nouvelle Eglise est le fruit d’un concile qui a eu lieu le 15 décembre 2018, qui a réuni en Ukraine deux Eglises non canoniques c’est-à-dire en non-communion avec le reste du monde orthodoxe, et qui se sont séparées au cours du XXe siècle de l’Eglise orthodoxe ukrainienne. Cette dernière dite « loyale » est restée rattachée canoniquement au Patriarcat de Moscou qui ne reconnaît pas la nouvelle Eglise autocéphale, la voyant échapper à son contrôle.

Un exarchat russe en Afrique

La reconnaissance par le patriarche d’Alexandrie de la nouvelle Eglise d’Ukraine est intervenue après celle de l’Eglise orthodoxe de Grèce et un an avant celle de Chypre, les plus étroitement liées à Constantinople. L’Eglise de Moscou n’a guère apprécié, c’est un euphémisme,le ralliementà ceux qu’elle appelle « les schismatiques ukrainiens » du patriarche orthodoxe d’Alexandrie. « Pendant deux ans, l’Eglise russe (…) a patiemment attendu que Sa Béatitude le Patriarche Théodoros change sa décision», peut-on lire dans la déclaration de vendredi dernier, du Patriarcat de Moscou qui confirme les dispositions qu’il a prises ces derniers mois.

En effet, face à l’attitude du patriarche Théodore II, certains hiérarques de l’Eglise orthodoxe russe avaient demandé la création d’une « Métropole d’Afrique du Patriarcat russe ». Cette atteinte à la légitimité du patriarche d’Alexandrie et de toute l’Afrique pouvait être considérée comme un avertissement de la part de Moscou aux autres Eglises orthodoxes qui souhaiteraient à leur tour reconnaître l’Eglise orthodoxe d’Ukraine.De fait, le 29 décembre dernier, le Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe russe, sous la présidence du patriarche de Moscou Cyrille, est passé à l’action et a décidé de créer un exarchat patriarcal en Afrique, divisé en deux diocèses, l’un pour l’Afrique du Nord et l’autre pour l’Afrique du Sud.

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L’Eglise orthodoxe russe a dans le même temps déclaré recevoir sous sa juridiction 102 membres du clergé du Patriarcat d’Alexandrie, ne soutenant pas la position de leur patriarche Theodore II. En septembre 2019, le Saint-Synode du Patriarcat de Moscou avait en effet annoncé qu’il étudierait en profondeur « les nombreux appels du clergé de l’Eglise orthodoxe d’Alexandrie à Sa Sainteté le Patriarche Cyrille de Moscou et toutes les Russies avec une demande de les accepter sous l’omophorion [ndlr : sous la juridiction] du Patriarcat de Moscou ». Le communiqué synodal du 29 décembre a motivé la décision par « le constat de l’impossibilité de refuser davantage la demande de ces clercs alexandrins ».

Dans la foulée, le Patriarcat d’Alexandrie avait exprimé sa plus profonde tristesse face à la décision synodale du Patriarcat russe et avait déclaré que « le Patriarcat d’Alexandrie continuer[ait] à s’acquitter de ses devoirs pastoraux envers le troupeau qui lui a été confié par le Seigneur ». Dans l’orthodoxie, chaque patriarcat a autorité sur son propre territoire canonique, dans lequel aucun autre patriarcat ne peut s’immiscer, et l’Afrique appartient par tradition ancienne au Patriarcat d’Alexandrie. Moscou a donc rompu avec cette tradition.

Une intrusion vue comme un chantage

Le feuilleton n’a repris que de plus belle courant janvier. Le Saint-Synode du Patriarcat d’Alexandrie, s’est réuni du 10 au 12 janvier pour condamner officiellement « l’intrusion » de l’Eglise de Russie dans la juridiction du Patriarcat d’Alexandrie. « Au cours des deux dernières années (…) nous avons subi l’invasion et l’intrusion non canonique et indécente de l’Eglise russe, par des méthodes contraires à la pratique et à la tradition ecclésiastiques, qui ont été respectées par tous les prédécesseurs de bienheureuse mémoire du patriarche de Russie Cyrille, et ce en recrutant des clercs appartenant à notre Patriarcat, en application de représailles directes et, par extension, de marques de chantage ou de vengeance contre nous ».

En conséquence, Alexandrie a pris deux décisions. Premièrement, informer le Patriarcat œcuménique de Constantinople et les autres Eglises orthodoxes de la « confusion ‘‘pestilentielle’’ » qui règne chez les fidèles du Patriarcat grec-orthodoxe d’Alexandrie et de toute l’Afrique. Deuxièmement, « demander l’application fidèle et immédiate des sanctions ecclésiastiques, prescrites par les divins et saints canons, aux transgresseurs ». Le 13 janvier, le patriarche d’Alexandrie Théodore II a également publié une encyclique dans laquelle il revendique l’appartenance canonique de toute l’Afrique à son Patriarcat et dénonce l’intrusion du Patriarcat russe comme « anticanonique » et « anti-ecclésiastique » et condamne le rejet manifeste de la part de Moscou de l’autorité primatiale du patriarche œcuménique de Constantinople.

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« Primus inter pares » (premier parmi les pairs), ce dernier bénéficie d’une primauté d’honneur, héritée du statut de capitale de l’Empire romain d’Orient dont jouissait autrefois Constantinople. L’accusant d’user de son titre de « primus inter pares » pour décider seul pour tous, sans accepter un système de contrôle conciliaire, Moscou considère Bartholomée Ier comme coupable du nouveau schisme que traverse le monde orthodoxe confronté à nouveau à différentes visions de la « primauté ».

Des antécédents qui ne trompent pas Alexandrie

Dans sa déclaration du 28 janvier, le Patriarcat russe de Moscou explique pour autant qu’« une décision aussi difficile, prise dans la situation où le patriarche d’Alexandrie a reconnu les schismatiques ukrainiens, n’est en aucun cas un signe de revendications sur le territoire canonique de l’ancienne Église d’Alexandrie. Il ne poursuit qu’un seul objectif : accorder une protection canonique aux clercs orthodoxes d’Afrique qui ne souhaitent pas être impliqués dans la légitimation illégale du schisme ».

Un argument sans doute loin d’apaiser Alexandrie, étant donné que le Saint-Synode russe, avait déjà décidé le 26 décembre 2019, de retirer de la juridiction du Patriarcat d’Alexandrie les six paroisses de l’Eglise orthodoxe russe situées sur le continent africain, créées certes à l’initiative de l’Eglise orthodoxe russe et orientées vers la pastorale des croyants russophones vivant sur le continent. Moscou ayant décidé de les placer sous la juridiction personnelle du patriarche Cyrille.

A la même époque, le synode de l’Église orthodoxe russe avait adopté une résolution concernant « l’impossibilité de commémorer le nom du patriarche Théodore d’Alexandrie dans des diptyques, ainsi que la communion priante et eucharistique avec lui ».Les Eglises orthodoxes canoniques autocéphales, indépendantes sur le plan juridique et administratif, sont unies les unes aux autres par la confession d’une foi commune et une reconnaissance réciproque. Pour manifester cette unité dans la foi, lorsque le primat d’une Eglise autocéphale célèbre la Divine Liturgie, il mentionne dans les diptyques les noms des primats des autres Eglises autocéphales. L’inverse signifiant une rupture.

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