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Sauver la mer Morte, entre utopies et réalités

Cécile Lemoine
15 janvier 2022
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Hostile et belle à la fois, fragile mais abandonnée, la mer Morte est source de contradiction. ©Mila Aviv/Flash90

Ce ne sont pas les projets qui manquent pour tenter de stabiliser et protéger la mer Morte. De la plus concrète à la plus folle en passant par la plus poétique, panorama de ces idées dont aucune n’a pour le moment porté ses fruits.


L’idée la plus folle : le canal mer Rouge-mer Morte

Tout dans ce projet était hors-norme. Son principe : faire remonter le niveau de la mer Morte grâce à un canal long de 180 km acheminant l’eau de la mer Rouge et la saumure issue d’une nouvelle usine de dessalement à Aqaba, tout en alimentant les Jordaniens en eau douce.

  • Ses parties prenantes : Israël, la Jordanie et l’Autorité palestinienne, ennemies et pourtant signataires d’un accord tripartite inédit en 2013.
  • Son coût : soutenu par la Banque Mondiale : 10 milliards de dollars sur 20 ans.
  • Ses conséquences : des chercheurs de l’université Ben Gourion à Beer Sheva en Israël ont montré que la composition chimique unique de la mer Morte pourrait être altérée par l’arrivée d’une eau extérieure, allant jusqu’à la rendre rouge ou blanchâtre dans les pires des scénarios.
  • L’ampleur de son infaisabilité : imaginé en 2003, le projet est tombé à l’eau 18 ans plus tard, sans qu’aucune construction n’ait été amorcée, quand les Jordaniens ont annoncé leur retrait au printemps 2021.

Ce qui devait être le “canal de la paix” s’est transformé en une impasse politique, minée par le naufrage des relations israélo-jordaniennes, l’impossibilité du financement et les objections environnementales. “Dès le départ, le projet ne s’annonçait pas viable, souligne Oded Eran, chercheur émérite à l’Institut israélien des études de sécurité nationale.

Israël se retrouvait à acheter de l’eau dont il n’avait pas besoin dans la zone Aqaba-Eilat, la Jordanie, avec une installation de dessalement qui ne couvrait pas ses besoins en eau dans le nord du pays, tandis que l’Autorité palestinienne continuait de se faire l’illusion que l’accord renforcerait son affirmation territoriale le long de la mer Morte.”

 

L’idée la plus enterrée : le classement à l’Unesco

Aussi curieux que cela puisse paraître, la mer Morte n’a jamais été classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Cette inscription aurait pourtant permis, par son aspect légal et normatif, la préservation de ses rives et une réduction de la production industrielle de potasse.

Si la Palestine plaide pour la protection du site, ni Israël, ni la Jordanie n’y ont intérêt. “Personne ne veut voir disparaître les revenus générés par les activités touristiques et industrielles aux abords de la mer Morte, ce qu’impliquerait une classification du site”, explique Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques et auteur de Sauver la mer Morte, un enjeu pour la paix au Proche-Orient (1)1.

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Israël préfère miser sur des concours internationaux moins contraignants, comme celui des Next7Wonders, qui élit les sept merveilles du monde contemporaines, pour donner du prestige à la mer Morte. En 2011 le Premier ministre Benjamin Netanyahou s’était même personnellement investi dans la candidature et la campagne de ce concours, allant jusqu’à appeler les Israéliens à voter pour la mer Morte lors d’une allocution télévisée.

Le site a finalement été éliminé en finale de la compétition. “Le sujet reste sensible : une partie de la mer Morte est en Cisjordanie occupée, analyse Sébastien Boussois. Faire gagner la mer Morte à un concours de ce type, c’est effacer cette réalité.”

Sur le site du baptême du Christ, à Qasr el Yahud, l’eau du Jourdain est particulièrement boueuse et sale, suite au rejet en amont d’eaux usées.

L’idée la plus durable : renflouer le débit du Jourdain

Parce que son débit a diminué de 96 % en l’espace de 60 ans, le Jourdain n’est aujourd’hui plus capable d’alimenter suffisamment la mer Morte, contribuant à son assèchement. Depuis les années 2000 l’ONG israélo-jordanienne EcoPeace Middle East milite pour renflouer le débit du Jourdain, seule solution qu’elle estime “durable” sur le long terme. Et c’est peut-être la seule vraiment réaliste à ce jour.

Concrètement, l’organisation demande à l’État israélien d’ouvrir les vannes du lac de Tibériade. Ses eaux sont actuellement pompées pour alimenter le désert du Néguev grâce à un aqueduc national. “En 2014 nous avions convaincu le gouvernement de faire passer le débit d’eau vers le Jourdain de 9 millions de m3 à 30 millions. Il faut l’augmenter à nouveau et cela devrait être possible car grâce aux belles précipitations hivernales de 2019 et 2020, le lac de Tibériade n’a jamais été aussi haut depuis 30 ans”, indique Gidon Bromberg, directeur de la branche israélienne d’EcoPeaceME.

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L’ONG pousse également à la construction de stations d’épuration des eaux usées pour limiter la pollution du Jourdain, et appuie l’inversion de l’aqueduc national israélien, pour qu’il amène l’eau dessalée de la Méditerranée vers le lac de Tibériade.

La vraie problématique reste le rétablissement des relations israélo-jordaniennes, sans lequel aucune action de long terme ne pourra être entreprise. Au plus glacial sous le gouvernement de Benjamin Netanyahou, elles ont commencé à se réchauffer avec l’actuel Premier ministre, Naftali Bennett : le 22 novembre dernier un accord “eau-énergie” a été signé entre les deux pays. Pionnier, le texte prévoit que la Jordanie exportera de l’énergie électrique issue d’une nouvelle ferme solaire à Israël, qui, en retour, fournira les Jordaniens en eau dessalée.

“Cette initiative, si elle reste critiquée par les Jordaniens, pose les bases d’une coopération régionale renouvelée qui permettra de se focaliser sur la préservation de la vallée du Jourdain, et donc de la mer Morte”, se réjouit Gidon Bromberg, dont l’ONG a largement inspiré l’accord. Il souligne toutefois que les efforts faits sur le fleuve doivent s’accompagner d’une réduction du pompage de la mer Morte par l’industrie de la potasse : “Si elles remplaçaient leurs bassins d’évaporation par une technologie dite “à membrane”, les usines seraient moins gourmandes en eau.”

Le photographe américain Spencer Tunick fait poser des milliers de gens nus partout dans le monde. Des “installations” qui ont gagné les rives de la mer Morte en 2011, 2016 et 2021. © Photos Miriam Alster/Flash90 2011

L’idée la plus poétique : l’art pour sensibiliser

1 200 personnes, entièrement nues, dans la lumière du soleil couchant et l’eau huileuse de la mer Morte. L’image, prise en 2011 par le photographe Spencer Tunick, a fait le tour du monde. Objectif : sensibiliser sur la baisse du niveau de la mer Morte qu’il est nécessaire de préserver. Une idée de l’entrepreneur américano-israélien Ari Leon Fruchter, qui tente aussi de mettre sur pied un musée de la mer Morte à Arad. Faute de financement l’établissement est pour l’instant uniquement virtuel.

D’un clic de souris on peut se promener au milieu d’une exposition de 40 photos, lauréates d’un concours international organisé par ce même Ari Fruchter en 2021. L’initiative a connu un franc succès : plus de 15 000 soumissions issues de 40 pays ont été enregistrées.

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Même s’il a été ralenti à cause de la pandémie de Covid-19, le projet de musée physique reste d’actualité. La municipalité d’Arad a prévu d’allouer 22 000 m2 pour la construction de l’édifice, imaginé comme un cristal de sel par le cabinet d’architectes Neuman-Hayner Associates. Pour montrer son soutien au projet et à l’occasion de l’inauguration d’une nouvelle exposition dédiée à ses œuvres sur la mer Morte, Spencer Tunick a réalisé une nouvelle “installation” à la mi-octobre : 2 000 personnes dénudées et peintes en blanc debout dans le désert d’Arad.

“Je tente de créer une réaction poétique et visuelle à la perte d’une merveille naturelle du monde, expliquait l’artiste américain aux médias israéliens lors de sa venue. Le changement ne se produit pas si on n’agit pas : l’art aide parfois à faire passer un message.” Une manière aussi de garder une trace de ces paysages si mouvants.


FOCUS


Sauver la mer Morte ? Une question de priorité


Dans une région de plus en plus aride, l’accès à l’eau, son contrôle et son utilisation sont stratégiques. Comme l’attestent tous nos interlocuteurs, sauver la mer Morte en y injectant une ressource rare ne fait pas partie des priorités des différents États qui la bordent. Tandis qu’Israël tente de rendre habitable le désert en y acheminant l’eau du lac de Tibériade pour le “faire fleurir”, la Jordanie, qui fait partie des 10 pays les plus secs au monde, peine à alimenter en eau sa population et son nombre grandissant de réfugiés. Les Palestiniens restent quant à eux les parents pauvres de cette guerre de l’eau. Leur territoire recouvre deux nappes phréatiques qui leur permettraient de disposer de deux fois plus d’eau qu’Israël, si les pluies ne ruisselaient pas en direction de celle située à l’Ouest, sous contrôle israélien. En matière de partage équitable de l’eau dans la région, tout reste encore à construire.


  1. Sébastien Boussois, Sauver la mer Morte, un enjeu pour la paix au Proche-Orient, Armand Colin, 2012. ↩︎

Dernière mise à jour: 15/05/2024 12:16

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