Après B’Tselem et Human Right Watch, c’est au tour de la célèbre ONG Amnesty International de dénoncer le « système d’apartheid » mis en place par Israël. Mardi 1er février, l’organisation de défense des droits humain a publié une longue analyse juridique, fruit de quatre années d’enquête, dans laquelle elle détaille la manière dont l’État d’Israël a instauré un système où les Palestiniens sont traités comme un groupe inférieur, discriminé sur tous les plans : économique, politique, social, culturel…
L’apartheid, souvent assimilée au régime en vigueur en Afrique du Sud entre 1948 et 1991, est définie comme un crime contre l’humanité par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998. Elle concerne les actes « commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe ethnique sur d’autres dans l’intention de maintenir ce régime. »
Oppression et domination systématisés
Ségrégation territoriale et restrictions de déplacement, saisies massives de biens fonciers et immobiliers, expulsions forcées, détentions arbitraires, tortures, homicides illégaux… Les mécanismes listés par Amnesty International témoignent d’un système d’oppression et de domination institutionnalisé à l’encontre du peuple palestinien. Des faits dénoncés depuis longtemps par les ONG Palestiniennes comme Adalah, qui a recensé les 66 lois discriminantes à l’encontre des Palestiniens, mais qui rencontrent un nouvel écho ces derniers mois.
L’apartheid a une définition bien précise en droit international.
Après 4 ans de recherche, nous affirmons que l’État israélien a mis en place un apartheid à l’encontre des Palestiniens. #StopIsraeliApartheid️ https://t.co/93qi9bk8io
— Amnesty International France (@amnestyfrance) February 1, 2022
« Qu’ils vivent à Gaza, à Jérusalem-Est, dans le reste de la Cisjordanie ou en Israël même, les Palestiniens sont traités comme un groupe racial inférieur et systématiquement privés de leurs droits, a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty, lors d’une conférence de presse le 1er février. Nous avons constaté que les politiques cruelles de ségrégation, de dépossession et d’exclusion menées par Israël dans tous les territoires qu’il contrôle relèvent clairement de l’apartheid. »
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Les efforts visant à définir Israël comme un État d’apartheid sont relativement nouveaux. Menés depuis 2020 par des ONG de défense des droits humains, ils témoignent d’une volonté de renouveler la lecture du conflit israélo-palestinien dans les opinions internationales. « Le fait qu’une organisation telle qu’Amnesty International cimente l’apartheid israélien dans son lexique est significatif, estime Yara Hawari, une chercheuse palestinienne qui analyse les politiques publiques pour Al-Shabaka, un think tank palestinien indépendant. Si ces rapports sont des outils utiles pour dénoncer le régime israélien pour ce qu’il est, des changements sismiques sont encore nécessaires dans les échelons supérieurs des institutions politiques mondiales. »
D’autres voient un glissement dans l’évolution de la rhétorique des OGN. « On passe d’un avertissement à la considération d’une réalité sur le terrain, s’inquiète le politologue Denis Charbit. De plus, le terme apartheid ne s’applique plus seulement au régime exercé par l’autorité militaire dans les territoires occupés, mais à Israël dans son ensemble. La distinction spatiale est purement et simplement abolie, alors que les règles ne sont pas les mêmes lorsque les unes relèvent de la démocratie, et les autres d’un régime d’occupation. »
Alors que les ONG B’Tselem et Human Rights Watch, dans leurs propres enquêtes publiées en 2020, voyaient l’apartheid comme la finalité d’un État discriminatoire, Amnesty va plus loin, argumentant qu’il y aurait une sorte de vice originel dès la création de l’État hébreu : « Les considérations démographiques ont dès le départ guidé la législation et l’élaboration des politiques israéliennes. La démographie de l’État nouvellement créé devait être modifiée au profit des Israéliens juifs« , explique le rapport.
« Diabolisation et antisémitisme »
Côté Israélien, les réactions ne se sont pas faites attendre. Le gouvernement s’est procuré une copie du rapport avant même sa publication. L’opinion internationale est le plus grand atout de la cause palestinienne. Israël en est bien conscient et a organisé la riposte en mettant en branle sa machine de diplomatie publique. Le ministère des affaires étrangères a ainsi qualifié le rapport de « faux« , déclaré qu’il utilisait « deux poids deux mesures et la diabolisation afin de délégitimer Israël« , et brandi l’argument classique, sans répondre aux problématiques de fonds soulevées par le document : « Ce sont les composants exacts à partir desquels l’antisémitisme moderne est fait. »
Le président israélien Isaac Herzog a quant à lui déclaré dans un communiqué que le rapport était « manifestement motivé par l’idéologie, biaisé et rempli de mensonges et d’inexactitudes« , avant d’ajouter : « Israël est une démocratie imparfaite (montrez-moi une démocratie parfaite) et est ouverte à la critique… Tous les citoyens israéliens méritent les droits de l’homme. »
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Les précédents rapports n’avaient pas fait l’objet d’une telle campagne médiatique de la part d’Israël. « Un manque total de proportion« , estime Anshel Pfeffer, éditorialiste de Haaretz, quotidien israélien plutôt orienté à gauche. « Le rapport d’Amnesty ne risque pas d’avoir beaucoup d’impact après ceux parus l’année dernière. Il a été publié par le bureau d’Amnesty au Royaume-Uni dans le but d’amener le gouvernement britannique à réévaluer ses liens avec Israël. Mais cela n’est pas prêt d’arriver. »
Dans un autre article du même journal, des responsables craignent tout de même que le terme « apartheid » ne devienne suffisamment populaire pour être accepté par plusieurs organes d’enquête des Nations unies, ce qui pourrait porter un coup sérieux au statut d’Israël sur la scène internationale. A la fin de son document, Amnesty dresse une liste de recommandations, parmi lesquelles l’inclusion de la question de l’apartheid dans l’enquête de la Cour pénale internationale ouverte en mars 2021 sur les crimes commis dans les territoires palestiniens.