Tôt dans l’après-midi du vendredi 28 janvier, un groupe de quinze hommes masqués et armés de barres de fer s’en est violemment pris aux chrétiens Palestiniens Daoud et Daher Nassar alors qu’ils étaient sur les terres de leur ferme, la Tente des Nations, dans les hauteurs de Bethléem.
Transportés à l’hôpital Al-Yamamah de Bethléem dans la foulée, les deux frères en sont sortis sains et saufs quelques jours plus tard, et se remettent de leurs blessures chez eux. « Daoud s’en sort bien, avec sept points de suture à la tête après avoir été frappé avec un pied de biche, raconte Donald Binder, chapelain de l’archevêque anglican à Jérusalem, qui est en contact régulier avec les deux hommes. L’un des attaquants avait également un couteau et a essayé de poignarder Daher, mais il s’est débattu et n’a été touché qu’à la jambe gauche, ce qui est bien sûr déjà assez grave. »
Les motivations du groupe d’hommes, des Palestiniens issus de la ville voisine de Nahilin, ne sont à ce jour pas connues. La famille Nassar estime qu’il s’agit des personnes qui se sont subitement mis à revendiquer la propriété du terrain en 2021 et ont depuis multiplié les exactions à leur encontre pour les pousser à partir. Outre les incursions régulières sur leurs terres, ces Palestiniens auraient mis le feu au verger et à l’oliveraie des Nassar en mai dernier.
Dans un bref échange de messages avec terresainte.net, Daoud Nassar s’est dit ébranlé par la violence de l’attaque : « La douleur émotionnelle est pire que la douleur physique », écrit-il sobrement. « Il n’y a pas de colère, la famille reste fidèle à son engagement envers la non-violence, mais le traumatisme émotionnel est bien là », commente Bishara Nassar, le fils de Daher, également contacté par la rédaction.
Soutien de Mahmmoud Abbas
Alors qu’il était à l’hôpital, Daoud a reçu un appel de Mahmoud Abbas. « Le président de l’Autorité Palestinienne a assuré mon oncle qu’il suivait l’affaire et qu’il allait traduire les coupables en justice. A ce jour, aucun des assaillants n’a été arrêté », soupire Bishara Nassar. Et ce alors que la police connaît leur nom. L’Assemblée nationale des activités chrétiennes a dénoncé et condamné cette attaque en appelant les forces nationales chrétiennes et islamiques à prendre des mesures sérieuses et immédiates pour mettre fin à cette affaire.
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Aujourd’hui, la priorité de la famille réside dans sa sécurité. Parce qu’une volontaire hollandaise était présente à la ferme au moment des faits, et qu’alertée par le bruit, elle a couru vers eux, mettant en fuite les assaillants, les Nassar ont demandé à leur réseau d’assurer une présence internationale continue sur leur terre afin d’aider à leur protection. « C’est probablement ce qui leur a sauvé la vie vendredi dernier », lâche Donald Binder.
Depuis 30 ans, les Nassar se battent pour conserver la propriété de leur ferme, acquise en 1916 et enregistrée auprès des Ottomans, puis des Britanniques. Parce qu’elle empêche le raccordement stratégique d’une des plus grosse poche de colonie de Cisjordanie, Israël l’a déclaré, ainsi que les villages voisins, « terre d’Etat ». Une manipulation de la loi ottomane qui permet à l’Etat hébreu de récupérer des terres lorsque les habitants sont dans l’incapacité de prouver qu’elles leur appartiennent. Les Nassar ont les documents mais Israël ne les reconnait pas.
Pressions et intimidations régulières
Avec le temps, la situation s’est transformée en guerre d’usure. Au fardeau mental et financier des années passées devant la justice s’ajoute celui d’un quotidien marqué par la violence et les intimidations : arrachage régulier de leurs arbres par les autorités israéliennes ou par les habitants des colonies voisines, dégradations de leurs réservoirs d’eau, blocage de la route la plus directe pour monter à la ferme… “Ils cherchent à nous rendre la vie dure, à nous isoler, pour que l’on parte”, expliquait le couple à Terre Sainte Magazine au mois d’août. Les exactions récentes commises par des Palestiniens, que les Nassar soupçonnent d’être payés par les Israéliens, s’ajoute donc à une liste déjà longue de pressions, partagés par de nombreux Palestiniens vivant en zone C, cette partie de la Cisjordanie entièrement administrée par Israël.
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Malgré tout, les Nassar ont opté pour le chemin de la non-violence et de la résistance pacifique : « Nous refusons d’être des ennemis« . Un choix enraciné dans leurs croyances et leurs valeurs chrétiennes qui s’incarne dans leur ferme, qu’ils ont ouvert au public, aux pèlerins et aux volontaires en 2002, sous le nom « Tente des Nations ». Daoud en a fait une école de résilience et de construction de la paix, dont le message d’espérance dépasse les frontières. En témoignent la pluie de soutien qu’ils ont reçu par l’intermédiaire des réseaux sociaux quand la nouvelle de leur attaque s’est répandue. Une effusion envers laquelle ils ont exprimé leur immense gratitude.