Au Studium Biblicum Franciscanum de Jérusalem, plusieurs semaines après la mort du père Frédéric Manns, l’émotion reste intense. La veille de sa mort, frère Frédéric avait réjoui de sa présence et de son humour la communauté dont il partageait la vie depuis près de 50 ans.
Du père Manns, on peut retenir ce que son curriculum vitae en dit et que vous retrouverez pour partie sur wikipédia ou sur le site du SBF (1). Retenons que docteur en Sciences bibliques, il avait appris toutes les langues de la Bible l’hébreu, le syriaque, l’araméen, le grec pour mieux la lire. Puis il s’était spécialisé dans le judaïsme pour une raison simple de son point de vue : “Si nous pensons au christianisme non pas comme une idée mais comme la rencontre vivante avec une personne, nous devons connaître cette personne de près, où elle a vécu, comment elle a vécu”.
Et pour mieux connaître Jésus, il étudia le Midrash et la Mishna avant d’en restituer, dans deux ouvrages, la substantifique moelle aux lecteurs chrétiens. C’est à la lumière du judaïsme aussi qu’il a offert de (re)découvrir l’Évangile de Jean.
“J’insiste sur les racines juives de l’Écriture car la Parole s’est incarnée dans une terre, dans un peuple précis”, déclarait-il en 2020 sur Radio Maria. Vivant à Jérusalem nous avons la chance de voir que le peuple d’Israël est toujours vivant, qu’il a ses fêtes, ses traditions, des fêtes et des traditions présentes dans le Nouveau Testament. Rappelons-le : Jésus est juif, Marie est juive, et les apôtres aussi qui s’expriment dans des catégories juives. Si on veut un dialogue profond avec Israël, c’est par là qu’il faut passer”.
Mais ce n’est pas la cinquantaine de livres à son actif, et les centaines et centaines d’articles publiés ici ou là (dont près de 130 articles parus dans Terre Sainte pour l’essentiel dans les années 1980 à 2000, mais jusqu’en 2021) qu’il est pleuré mais pour le frère qu’il était, le père spirituel de certains, l’accompagnateur, le confesseur, le guide de pèlerinage comme aussi le maître dans les recherches intellectuelles.
Dans son hommage lors de ses funérailles, le patriarche Pizzaballa a parlé du père Manns comme d’un homme “contagieux”. Et ce qu’il aimait par-dessus tout transmettre, c’était l’amour de la Parole de Dieu. Lui-même estimait que nombre des maux de notre société aujourd’hui peuvent trouver un remède dans les valeurs bibliques et évangéliques. Il croyait possible une nouvelle évangélisation puisée au cœur du texte biblique. Mais, ce grand intellectuel était avant tout un croyant. Comme l’a écrit le doyen de la Faculté du SBF, le frère Rosario Pierri, : “Il avait reçu du bon Dieu de nombreux talents qu’il savait faire fructifier dans une activité inlassable. Il a vécu ce qu’il prêchait. S’il a répété que la sainte Écriture doit être étudiée à genoux, c’est-à-dire que l’étude de la Bible est basée sur la foi et la prière, c’est parce qu’il le vivait.”
Roberto Cetera de l’Osservatore Romano qui publiait depuis un an ses “Contes du dimanche”, s’était entretenu avec le père Frédéric en novembre dernier, une discussion durant laquelle le franciscain lui confia son attachement à Jérusalem.
Lié à Jérusalem
“Vous savez, j’ai beau essayer d’être rationnel, Jérusalem fait vivre des expériences supplémentaires et inexplicables. Des choses incroyables se passent par ici. Combien de conversions soudaines, combien de coïncidences inexplicables, combien d’événements surprenants et providentiels j’ai vus au cours de ces 50 années passées ici. C’est comme s’il y avait un magnétisme, une énergie inconnue sous ces pierres blanches. C’est comme si cette terre avait conservé une partie de l’énergie régénératrice du Ressuscité qui l’a parcourue. Il existe une ligne directe vers la Jérusalem céleste. C’est pourquoi je dis toujours que Jérusalem ne doit pas seulement être vue et foulée, mais surtout “ressentie”. Je la “ressens” à chaque instant de la journée. Cela me donne une joie
incroyable de vivre ici. Je ne pouvais pas m’imaginer ailleurs. Prier et célébrer l’eucharistie ici est vraiment un avant-goût de la rencontre sponsale”.
Et cet amour de la Terre Sainte, il l’a transmise aux pèlerins qui ont eu la chance de l’avoir pour guide et dont il avait l’humilité de dire qu’il leur devait tant.
“J’ai accompagné des milliers de pèlerins en Terre Sainte, pour moi c’était une activité essentielle à ma vocation. Je me suis nourri de leurs observations, simples et intuitives. Et ensemble, nous nous sommes nourris de la Parole de Dieu. Avec beaucoup d’entre eux, je suis en correspondance même après des années ; combien d’histoires surprenantes je pourrais vous raconter sur les pèlerins… Le voyage en Terre Sainte est toujours une occasion de repenser toute sa vie, un point de suspension dans son existence. Je vous ai déjà dit qu’il y a quelque chose de magnétique sous ces pierres, des choses incroyables se produisent dans cet endroit. Ici l’Esprit parle plus qu’ailleurs”.
1. In memoriam. Padre Frédéric Manns, ofm