« Il s’agit d’une mesure brutale qui constitue une attaque directe et préméditée contre les chrétiens de Terre Sainte, contre les Eglises et leurs vieux droits internationalement garantis dans la Ville Sainte. » Telle a été la réaction du patriarche grec-orthodoxe de Jérusalem, Théophilos III, du Custode de Terre Sainte, le frère Francesco Patton et du patriarche arménien de Jérusalem, Nourhan Manougian, adressée le 18 février à la ministre israélienne de la protection de l’environnement, Tamar Zandberg. Une lettre obtenue puis relayée le 20 février par le quotidien israélien en ligne, le Times of Israel.
Les trois Eglises chrétiennes ont appris que l’Autorité israélienne pour la Nature et les Parcs (INPA), supervisée par le bureau du ministère de la protection de l’environnement se préparait à présenter un plan controversé. Un plan qui devrait être soumis au comité local de planification et de construction de la municipalité israélienne de Jérusalem pour approbation préliminaire le 2 mars, visant à étendre les limites du parc national des murs de Jérusalem sur des terres appartenant aux Eglises chrétiennes à Jérusalem-Est occupée. Et ce, en incorporant une grande partie du mont des Oliviers qui surplombe le côté oriental de la vieille ville de Jérusalem.
Le mont des Oliviers : un parc national israélien ?
Il s’y trouve un cimetière juif en usage depuis plus de 3 000 ans. Mais le mont est également l’un des sites les plus sacrés du christianisme. Beaucoup d’événements importants de la vie de Jésus y ont eu lieu. Et aujourd’hui, certaines parties du mont des Oliviers appartiennent aux Eglises grecque-orthodoxe, catholique et arménienne. Par ailleurs, s’échelonnent sur le mont une douzaine de sanctuaires parmi les plus importants pour les chrétiens qui, « en dehors des restrictions pandémiques nécessaires, sont visités par des millions de pèlerins chaque année », rappellent les chefs d’Eglise. D’autres parties du mont visées par le plan de l’INPA appartiennent à des propriétaires privés palestiniens. A noter que le plan d’extension comprendrait également des parties de la vallée du Cédron et de la vallée de Ben Hinnom (la Géhenne).
D’après le Times of Israel, l’INPA a déclaré que son projet visait à préserver les paysages historiques des sites concernés, et a annoncé qu’elle ne nuira pas aux propriétés des Eglises qui seraient intégrées dans le parc national. Selon l’INPA encore, indique le media israélien, « cette mesure ne priverait pas les propriétaires fonciers de leur propriété, mais elle donnerait au gouvernement une certaine autorité sur les propriétés palestiniennes et ecclésiales ainsi que sur les sites religieux ». Autrement dit, cela donnerait à l’INPA « la capacité de mener une longue liste d’actions, dont la réalisation d’inspections, l’octroi de permis de travail et la conduite de projets d’aménagement, de restauration et de préservation ». L’expansion du parc national des murs de Jérusalem donnerait également aux autorités israéliennes, fait remarquer le quotidien israélien en ligne, la possibilité de réaliser des projets au-dessus des propriétés des Eglises sur le mont des Oliviers, comme le projet controversé de téléphérique. Même s’il est pour l’heure suspendu, la municipalité de Jérusalem soutient toujours le projet…
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« Objection sans équivoque » de la part des Eglises
Dans leur courrier conjoint, les Eglises avec leur « plus vive inquiétude » ont exprimé leur « objection sans équivoque » au plan d’extension du parc national des murs de Jérusalem proposé par l’INPA et « implorent » la ministre de la protection de l’environnement de le « retirer » et de « cesser son avancement ». Et en guise de demande de soutien international pour relayer leur forte opposition, les prélats ont envoyé leur lettre aux consuls généraux en place à Jérusalem (France, Turquie, Italie, Grèce, Espagne, Royaume-Uni, Belgique, Suède), ainsi qu’au représentant du Saint-Siège à Jérusalem, Mgr Adolfo Tito Yllana.
Pour les Eglises, « l’INPA joue un rôle hostile contre les Eglises et la présence chrétienne en Terre Sainte ». Elles expliquent la raison clairement : « Sous couvert de protection des espaces verts, le plan semble servir un programme idéologique qui nie le statut et les droits des chrétiens à Jérusalem ». Selon elles, « bien que le plan soit officiellement présenté par l’INPA, il semble qu’il ait été proposé et qu’il soit orchestré, avancé et promu par des entités dont le seul but apparent est de confisquer et de nationaliser l’un des sites les plus sacrés pour le christianisme et d’en modifier la nature ». Et les Eglises de dire leur tristesse de « voir une Autorité aussi importante être détournée de cette manière ». Soulignant que ce n’est pas la première fois que cela arrive.
Les stratégies des groupes radicaux juifs dénoncées
« Ces dernières années, nous ne pouvons pas nous empêcher de penser que diverses entités cherchent à minimiser, pour ne pas dire à éliminer, toutes les caractéristiques non juives de la Ville sainte en tentant de modifier le statu quo », écrivent encore les prélats.
Une référence directe aux groupes nationalistes qui s’efforcent d’accroître la présence de colons dans les zones de Jérusalem-Est et notamment dans les zones chrétiennes de la vieille ville de Jérusalem. Pour mémoire, les Eglises de Terre Sainte en décembre dernier ont dénoncé les agissements de ces groupes radicaux juifs, les considérant comme « la véritable menace, car entre leurs mains, la communauté chrétienne de Jérusalem souffre de crimes haineux ainsi que de tactiques sournoises, d’intimidation et de tentatives systématiques visant à diminuer la capacité des chrétiens à rester dans leurs maisons et quartiers historiques ».
Plus généralement, ces groupes visent à réduire la présence des non-juifs à Jérusalem-Est. Comme c’est le cas dans les quartiers de Sheikh Jarrah et Silwan au nord et au sud de la vieille ville. Dans une déclaration conjointe au Times of Israel, les organisations de défense des droits de l’Homme de Bimkom, Emek Shaveh, Ir Amim et Peace Now n’ont pas hésité à souligner qu’ : « il existait un lien direct entre ce qui se passe à Sheikh Jarrah et ce plan d’expansion [de l’INPA] ». Pour rappel, plus de 200 familles palestiniennes risquent d’être expulsées de Jérusalem-Est par les autorités israéliennes.
Ainsi, « les groupes de défense des droits pensent que l’expansion prévue du parc fait partie d’une stratégie nationaliste plus large visant à « encercler » la vieille ville de Jérusalem en prenant le contrôle des zones adjacentes de Jérusalem-Est », résume le Times of Israel.
Le parc national des murs de Jérusalem a ouvert ses portes dans les années 1970. Lorsque l’Etat a décidé de tracer ses limites, « il a soigneusement évité d’inclure une grande partie du mont des Oliviers », fait savoir le Times of Israel. Une « phase deux » pour agrandir le parc national avait été envisagée par les autorités de l’époque, mais abandonnée en raison de la sensibilité des terres qu’ils cherchaient à incorporer. Plus de 50 ans après, c’est cette « phase deux » qui revient à l’ordre du jour.
Un porte-parole de l’INPA a déclaré au Times of Israel que l’autorité espérait contacter les Eglises avant le comité de planification le mois prochain afin de discuter du projet.