La Jordanie n’est pas peu fière des récentes fouilles archéologiques qui ont été faites sur son sol. Mardi, sous la houlette du ministre jordanien du Tourisme et des Antiquités, Nayef Hamidi Al-Fayez, le Département des Antiquités de Jordanie a présenté lors d’une conférence de presse la découverte en octobre 2021 d’une « installation rituelle unique » dédiée à la chasse au Néolithique. Une découverte vieille de 9 000 ans que le ministère a qualifiée, dans un communiqué publié sur Facebook, d’ «importante » et de « distinctive ».
Depuis une dizaine d’années, une équipe d’archéologues franco-jordanienne, de l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo) et de l’Université jordanienne Al-Hussein Bin Talal étudie dans le cadre du « South Eastern Badia Archaeological Project » (Sebap), le peuplement des zones désertiques reculées du sud-est de la Jordanie au cours de la Préhistoire récente.
« Les cerfs-volants du désert »
Leurs dernières recherches issues de la campagne de fouilles de 2021, effectuées à l’est du bassin d’al-Jafr dans les montagnes d’Al-Khashabiya, sont venues s’ajouter aux résultats d’une dizaine d’années d’excavations durant lesquelles les équipes de chercheurs ont mis la main sur un ancien système de chasse à la gazelle, correspondant à de gigantesques pièges et ressemblant à des couloirs de pierres sèches pouvant courir sur plusieurs kilomètres. Ils sont connus sous le nom de « cerfs-volants du désert » en raison de leur forme aperçue pour la première fois depuis les airs par des pilotes des années 1920.
De tels pièges, dispersés dans les déserts du Moyen-Orient et de l’Asie du sud-ouest, principalement du centre de l’Arabie saoudite, en passant par la Jordanie, la Syrie, l’Arménie, la Turquie et jusqu’au Kazakhstan, étaient formés de deux ou plusieurs longs murs qui convergeaient en forme d’entonnoir. Le but était de rabattre puis d’encercler les gazelles sauvages dans des enclos semi-circulaires ou de les faire tomber dans de gros trous, pour être tuées. Ces pièges étaient parfois organisés en chaînes de structures continues et ininterrompues, maximisant ainsi le potentiel de la capture du gibier sauvage.
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L’équipe archéologique a déclaré lors du point presse de mardi dernier que le site comprenait huit « cerfs-volants » et qu’ils s’étendaient sur 20 kilomètres du nord au sud. Et alors que la plupart des recherches récentes sur de telles structures avait tendance à les faire remonter aux IVe-IIIe millénaires av. J.C., les co-directeurs du Sebap, Wael Abu Azizeh de l’Ifpo et Mohammad B. Tarawneh de l’Université Al-Hussein Bin Talal, ont fait savoir dans un communiqué, avoir pu dater ces « cerfs-volants » dès la période néolithique, c’est-à-dire vers environ 7 000 av. J.-C.
Ce qui signifie que déjà à cette époque existait nécessairement « une organisation collaborative des groupes humains » et qu’aussi ces « cerfs-volants du désert » dans les montagnes d’Al-Khashabiya, sont, selon eux « les plus anciennes structures construites [ndlr : de mains d’hommes] à grande échelle connues à l’heure actuelle au monde. » Pour eux, « ces résultats ont des implications considérables pour [la] compréhension des développements humains dans ces régions, puisqu’ils attestent de l’émergence de stratégies de chasse de masse sophistiquées, insoupçonnées dans un contexte chronologique aussi précoce ».
Une organisation culturelle « spécifique »
A proximité des pièges, les archéologues ont aussi trouvé ces dernières années des campements d’habitations circulaires, vestiges de huttes semi-enterrées avec un grand nombre d’ossements de gazelles provenant du traitement des produits de ces chasses. A cet endroit, les fouilles ont montré « une culture matérielle extrêmement riche et diversifiée, avec notamment une industrie lithique spécifique ».
Ce qui a conduit l’équipe de chercheurs à définir cette forme d’occupation comme une « entité culturelle spécifique » appelée le « Ghassanien », en référence à un toponyme local. « Alors que dans les régions voisines du ‘‘Croissant fertile’’ les communautés sédentaires villageoises pratiquaient à cette période l’agriculture et l’élevage, il apparaît clairement à travers ces nouveaux résultats que les ‘‘Ghassaniens’’ étaient des chasseurs spécialisés ». Par ailleurs, les grandes quantités d’os de gazelles montrent que les habitants ne chassaient pas seulement pour leurs propres besoins, mais échangeaient également avec leurs voisins.
Un aménagement rituel complexe
Au sein de l’un des campements ghassaniens, les archéologues ont découvert une « installation rituelle complexe », autrement dit un sanctuaire, « dans un état de conservation exceptionnel », écrivent les chercheurs dans leur communiqué. L’installation était constituée de deux stèles, dressées debout, à silhouette humaine, nommées Abu Ghassan et Ghassan. Peu fréquentes dans le contexte du Néolithique proche-oriental, la plus grande des deux mesure 1,12 m de haut. A côté du visage qui est y est sculpté, est gravée une représentation d’un « cerf-volant du désert ». Le second menhir anthropomorphe, haut d’environ 70 cm, présente, quant à lui, seulement un visage humain.
Derrière ces deux pierres, un dépôt organisé a également été mis au jour avec à l’intérieur près de 150 fossiles marins, dont beaucoup étaient soigneusement placés, à la verticale. S’y trouvaient également une variété de pierres de forme naturelle inhabituelle, ainsi qu’un certain nombre d’artefacts travaillés peu communs, notamment des figurines d’animaux et des objets en silex, peut-être des outils. Toutes ces différentes trouvailles, en plus d’une pierre d’autel rituel, associée à un foyer, étaient arrangées au sein d’une sorte de maquette miniature de « cerf-volant du désert », construite avec des pierres.
La Jordanie, « berceau de civilisations »
« La nature rituelle du dépôt est évidente, intégrant une utilisation inattendue de fossiles marins dans la sphère symbolique et spirituelle Néolithique. L’autel et son foyer associé suggèrent que certaines formes d’offrandes sacrificielles ont pu être impliquées dans les pratiques rituelles », ont déclaré les archéologues. Le symbolisme faisant référence aux « cerfs-volants du désert », mis en évidence par la représentation sur la plus grande des deux stèles et aussi à travers le petit modèle en trois dimensions au cœur de l’installation, indiquent fortement que la chasse de masse à l’aide des « cerfs-volants du désert » était enracinée dans des pratiques rituelles. Le tout étant vraisemblablement destiné à solliciter les forces surnaturelles pour une chasse fructueuse, expliquent les chercheurs. A ce titre, les statuettes animales ont très bien pu être utilisées.
La proximité du sanctuaire avec les pièges suggère clairement que les habitants de cette zone désertique isolée, étaient des chasseurs spécialisés dont les pièges installés étaient au cœur de leur vie culturelle, économique et symbolique pour ne pas dire spirituelle. Ce qui n’était pas connu jusque-là. Ce qui a fait dire au ministère jordanien du Tourisme et des Antiquités que cette découverte mettait en avant la Jordanie comme un « berceau de civilisations ».