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Ukraine-Russie : appels et émois des Eglises de Terre Sainte

Christophe Lafontaine
28 février 2022
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« Ici à Jérusalem, nous élevons nos prières à l'endroit de la crucifixion et de la résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ afin que Dieu accorde sagesse et courage à tous les dirigeants et parties concernés », a déclaré Theopilos III, au sujet de la guerre russo-ukrainienne © Nati Shohat/FLASH90

L’offensive russe sur l’Ukraine est au centre des préoccupations et des prières des autorités orthodoxes et catholiques de Jérusalem, qui connaissent trop la tragédie des conflits. Dénonciation, appels à la prière et au jeûne.


« Avec une profonde considération, nous suivons la crise angoissante en Ukraine ces derniers jours et nous sommes profondément préoccupés par la souffrance humaine de tous nos frères et sœurs en Christ. » Le patriarche grec-orthodoxe de Jérusalem, Theophilos III, s’est exprimé via un communiqué le 27 février, sur la guerre en Europe de l’Est, sans mentionner explicitement ni la Russie, ni son invasion de l’Ukraine, le jeudi 24 février. Le mot guerre n’apparaît pas. Ne politisant absolument pas son propos, le Patriarche grec-orthodoxe reste officiellement neutre et cela n’est pas sans rapport avec certaines demandes de soutien à la Russie ces années passées, mais aussi eu égard au grand nombre de pèlerins ukrainiens qui se rendent en pèlerinage en Terre Sainte.

Il faut y voir aussi en filigrane sa non prise de position-en tous les cas jusqu’à maintenant – quant à la reconnaissance de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine qui est devenue la 15e Eglise autocéphale orthodoxe en janvier 2019, après que le Patriarche œcuménique de Constantinople l’a reconnue. L’Eglise orthodoxe ukrainienne, elle, est restée loyale au Patriarcat de Moscou qui ne reconnaît pas la nouvelle Eglise.. Plusieurs Eglises orthodoxes, le Patriarcat d’Alexandrie, l’Eglise orthodoxe de Grèce et celle de Chypre ont reconnu la nouvelle Eglise orthodoxe d’Ukraine, créant des divisions énormes dans le monde orthodoxe, quand le patriarche Cyrille de Moscou, qui se présente comme le « patriarche de toutes les Russies » [ndlr : pour rappel, l’Ukraine est surnommée la petite Russie], et qui a des liens très étroits avec le Kremlin, voit une perte d’influence considérable.

Prières sur les lieux de la crucifixion et de la résurrection

On comprend mieux le ton neutre employé par Théophilos III, nettement axé sur le plan de la compassion chrétienne et de la prière. « Ici à Jérusalem, nous élevons nos prières à l’endroit de la crucifixion et de la résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ afin que Dieu accorde sagesse et courage à tous les dirigeants et parties concernés. Puisse-t-il éclairer leurs esprits afin que le dialogue et l’unité soient recherchés et qu’une paix durable prévale », a-t-il de fait déclaré. Se joignant aux voix d’autres dirigeants chrétiens du monde entier, dont le Pape, il a appelé « tous les chrétiens à se joindre à la prière pour notre monde et pour le peuple ukrainien ».

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Pour mémoire, lors de l’audience générale du 23 février, le souverain pontife a appelé – les croyants mais aussi les non-croyants – à une journée de prière et de jeûne pour la paix, le 2 mars prochain, qui correspond au Mercredi des Cendres pour les catholiques, marquant leur entrée en carême. Le Saint Père a lancé son appel après avoir demandé « à toutes les parties concernées de s’abstenir de toute action qui cause encore plus de souffrances parmi les populations, déstabilise la coexistence entre les nations et discrédite le droit international ». Il a renouvelé son exhortation hier au terme de l’Angelus dominical, Place Saint-Pierre au Vatican.

Contre l’instrumentalisation des conflits entre les Eglises orthodoxes

Le patriarche latin de Jérusalem, Pierbattista Pizzaballa, s’est plusieurs fois exprimé dans les médias ces derniers jours. Il a confié au micro de Radio Vatican qu’il avait envoyé des messages de proximité aux communautés chrétiennes et catholiques d’Ukraine. Déplorant l’escalade du conflit, qui, a-t-il dit, est une « conséquence du nationalisme idéologique alimenté également par un certain contenu religieux ». Une référence à la crise précitée que traverse le monde orthodoxe. « Ces divisions, a-t-il explicité auprès d’Asia News, sont conséquentes, car les conflits entre les Eglises accompagnent les divisions politiques et sont instrumentalisés à des fins politiques », et cela « nous devons malheureusement le reconnaître ».

Asia News, qui a relayé l’« amertume » et la « profonde déception » du chef de l’Eglise catholique en Terre Sainte sur le conflit en Ukraine, a rapporté que le prélat n’avait pas caché également son « inquiétude » car Moscou « a un rôle très important en Méditerranée et au Moyen-Orient ». C’est« une épreuve de force qui pourrait avoir des répercussions dans notre région », a-t-il fait remarquer.

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A l’agence italienne Sir, Mgr Pierbattista Pizzaballa a également réaffirmé l’engagement de « l’Eglise mère de Jérusalem à prier pour la paix et pour la fin des tensions ». Même son de cloche de la part du Custode de Terre Sainte, le frère Francesco Patton qui a rappelé à l’agence de presse italienne une autre journée de jeûne et de prière, qui avait eu lieu le 7 septembre 2013 pour la Syrie. Pour lui, ce genre d’appel est « une proposition profondément chrétienne, un acte pénitentiel à accomplir quand on est au bord du précipice. Il est important d’y adhérer profondément et sincèrement tant au niveau personnel qu’au niveau des Eglises et Institutions que nous représentons. Le jeûne est une forme de prière capable d’éviter le désastre ».

Ayant dans sa mémoire les images des bombardements en Syrie, le Custode a souligné à Radio Vatican que « dans tous les actes de guerre et de violence de ces dernières années, la plus grande souffrance est toujours la population civile, en particulier celle qui vit dans la ville ».

500 000 civils déplacés, plus de 350 tués

Le Patriarche latin de Jérusalem et le Custode de Terre Sainte ont été interviewés lors de la rencontre intitulée « la Méditerranée, frontière de paix », qui a réuni évêques et maires des principales villes du pourtour méditerranéen, du 23 au 27 février en Italie, à Florence. Il se trouve que la ville toscane est jumelée depuis 1977 avec Kiev, la capitale ukrainienne.

Initialement, cette réunion, organisée dans le sillage d’une première rencontre du même genre à Bari en février 2020, visait pendant cinq jours à resserrer des liens entre les villes et l’Eglise sur enjeux communs tels que la préservation de la justice, le renforcement de la fraternité, le respect des citoyens et des religions… Mais l’attaque de la Russie contre l’Ukraine est intervenue quelques heures après le début des échanges, et s’est invitée dans la charte commune signée le 26 février par les participants. Tous ont déclaré espérer « ensemble que la violence et l’utilisation des armes puissent cesser, que les grandes souffrances du peuple ukrainien puissent être évitées et que les négociations pour reconstruire la paix puissent commencer immédiatement ».

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Selon l’Onu, le 27 février, au moins un demi-million de civils ukrainiens avaient fui leur foyer dont les deux tiers ont franchi les frontières internationales pour se réfugier dans les pays voisins. Et Reuters a relayé que le ministère ukrainien de la Santé avait annoncé dimanche que 352 civils, dont 14 enfants, étaient morts depuis le début de l’invasion russe. Hier, l’armée russe a reconnu pour la première fois enregistrer des pertes humaines.

Les 193 membres de l’Assemblée générale des Nations unies doivent se réunir ce lundi en « session extraordinaire d’urgence ».

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