Jour d’élection à Bethléem. Comme dans 50 autres localités de Cisjordanie, les habitants élisent, en ce samedi 26 mars qui sent enfin bon le printemps, leur nouveau conseil municipal. C’est la deuxième phase d’un processus qui avait vu les petites villes rurales se rendre aux urnes le 11 décembre dernier.
L’effervescence est palpable à l’entrée du bureau de vote situé dans le centre de l’Action Catholique. Les candidats de la liste 7, celle du maire sortant, sont sur le pont depuis 7h. Le thermos de café n’est pas loin alors qu’ils lâchent de grands « 7, votez pour la liste 7 ». Des drapeaux estampillés au numéro des listes soutenues flottent aux carreaux des voitures. Certaines sont mêmes entières recouvertes d’affiches. Rien n’est de trop pour soutenir sa liste.
A Bethléem, ville de 30 000 habitants, elles sont particulièrement nombreuses cette année : 11. « On n’a jamais vu ça », s’étonne Fadi qui ne sait toujours pas pour qui il va voter alors qu’il se dirige vers son bureau de vote. Si certains y voit l’éclatement et les divisions du monde politique palestinien, la Commission centrale des élections estime qu’elles sont le signe encourageant et positif d’un réveil citoyen.
« Le scrutin local est le seul qui reste »
Ces conseils, qui constituent le premier échelon institutionnel du pays, gèrent de nombreux aspects de la vie quotidienne : attribution de permis de construire, distribution d’eau, d’électricité… Ce qui les rend particulièrement populaire auprès de la population. En décembre, le taux de participation est monté à 66% dans les petites villes. Il sera de 53,7% dans les grandes villes, selon les chiffres publiés par la Commission centrale des élections le dimanche 27 mars.
« Les chiffres sont hauts parce que les Palestiniens ont envie de pratiquer leurs droits démocratiques. Le scrutin local est le seul qui leur reste », explique Fareed Taamallah, le porte-parole de la Commission centrale des élections à terresainte.net, en faisant référence à l’annulation des élections générales à l’origine prévues en mai et juillet 2021. Elles ont officiellement été « reportées » à une date inconnue par le président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, effrayé des mauvais résultats annoncés pour son parti, le Fatah.
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Cela fait plus de 15 ans qu’il n’y a pas eu d’élections présidentielles en territoires Palestinien. Les élections municipales sont ainsi uniques par leur régularité. C’est la quatrième fois qu’elles se tiennent depuis la création de l’Autorité palestinienne après les accords d’Oslo de 1993. « Ce n’est qu’un substrat de démocratie », dénonce Aref Jaffal, directeur de l’Arab World Democracy and Electoral Monitor (Al-Marsad), basé à Ramallah.
Daniel a 20 ans. Barbe rasée de près et l’air encore juvénile, c’est la première fois qu’il vote. « C’est important pour le pays qu’on se mobilise. Les gens veulent du changement. Ça passe déjà par le vote à l’échelle locale », appuie celui qui s’est engagé dans la campagne de la liste 8, une liste indépendante menée par un syriaque.
« Une compétition entre élites »
C’est l’autre nouveauté de ce scrutin. « En plus d’un nombre élevé de listes, 4,5 en moyenne par ville, on constate que la majorité d’entre elles ne sont plus officiellement affiliées ni au Fatah, ni au Hamas », souligne Fareed Taamallah. Le Hamas, parti islamique au pouvoir à Gaza, boycotte les élections municipales en Cisjordanie. C’était déjà le cas en décembre, où les candidats indépendants ont remporté plus de 70 % des sièges en lice. Ces listes indépendantes sont souvent celles de familles ou de tribus importantes, parfois en lien indirect avec le Fatah. Elles ont remporté 64,4% des 632 sièges en jeu dans les grandes villes, contre 35,6M pour les listes partisanes, selon le communiqué de la Commission centrale des élections publié le dimanche 27 mars
« Ce qu’on observe, ce n’est plus une compétition politique entre deux partis qui ont déçu et échoué à défendre leurs citoyens, mais une compétition entre élites, entre grandes familles », analyse Aref Jaffal, avant d’ajouter : « Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour la culture démocratique. » Dans 23 des 50 municipalités où se tient un vote aujourd’hui, les factions politiques et les principaux clans se sont entendues à l’avance et présentent une liste unique : vainqueurs d’office.
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Dernier phénomène, plutôt atypique de l’édition 2022 de ce scrutin local : dans 7 localités, le Fatah soutient plus d’une seule liste. À Bethléem, le logo du parti est apposé sur 3 des 11 listes en compétition. « Ils se tirent une balle dans le pied, reconnaît Aref Jaffel en souriant. C’est la conséquence de leur manque d’unité. Le Fatah est un parti en pleine division. Dans certains cas, ils n’ont pas réussi à trancher pour une seule liste et ont préféré ne pas froisser leurs chefs de communauté. »
Le système électoral des collectivités locales fonctionne sur le modèle de la représentation proportionnelle en fonction de la taille du conseil. Les nominations se font au moyen de listes électorales fermées où les noms des candidats ne figurent pas sur le bulletin de vote. Dans certaines villes comme Ramallah ou Bethléem, il y a une particularité : le maire doit être chrétien. « La loi relative aux élections prévoit des quotas à Bethléem : sur les 15 sièges disponibles et en fonction des résultats obtenus par chaque liste, 7 seront attribués à des musulmans et 8, dont celui du maire, à des chrétiens », explique Nasser Abu Laban, coordinateur de la commission centrale des élections à Bethléem.
Si ces élections ne vont pas fondamentalement changer le jeu politique palestinien, elles sont une photographie intéressante de l’état d’esprit actuel des Palestiniens, entre lassitude et rejet des deux partis politiques traditionnels.