La nouvelle est tombée lundi en fin de journée. Bien qu’elle ne soit pas confirmée, elle remue le landernau des journalistes qui suivent l’actualité chrétienne en Terre Sainte. Une visite papale : est-ce bien le bon endroit au bon moment ? L’Eglise en Terre Sainte pourrait bien désirer passer son tour !
C’est le genre de nouvelle qui réveille en début de soirée le journaliste chrétien qui récupère du dimanche des Rameaux et recharge les batteries avant le reste de la Semaine sainte habituellement bien occupée à Jérusalem.
L’agence Reuters sous la plume de son correspondant au Vatican publie l’information : « Le Vatican étudie la possibilité de prolonger le voyage du pape François au Liban en juin afin qu’il puisse se rendre à Jérusalem pour y rencontrer le patriarche orthodoxe russe Kirill ».
La date du voyage au Liban, les 12 et 13 juin, n’est pas même encore finalisée, mais cela augurerait d’une visite le 14 juin. D’après la dépêche, du Liban, le pape se rendrait à Amman en Jordanie pour prendre un hélicoptère pour Jérusalem à 70 kilomètres de là.
L’auteur du scoop, Philip Pullella, est un vaticaniste généralement bien informé. Il tempère toutefois l’information en soufflant le chaud et le froid : « Une source a déclaré que le voyage semblait presque certain, tandis que l’autre a déclaré que c’était une possibilité. » Il rappelle également que « De retour de son voyage à Malte la semaine dernière, Francis a déclaré qu’il espérait rencontrer Kirill quelque part au Moyen-Orient cette année, mais n’a pas précisé où. »
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Les autorités catholiques de Terre Sainte restent silencieuses, sans que l’on sache si elles ont été informées à ce stade. On sait que le pape François peut avoir des idées aussi soudaines que personnelles. Les évêques de Terre Sainte, présents en Italie en février dernier l’ont appris à leurs dépends qui attendaient le pape pour la conclusion du colloque de Florence des maires et évêques catholiques de 60 villes en février 2022 dont le thème était pourtant cher au pape : « Méditerranée, frontière de paix ».
Le pape leur avait fait faux bond arguant des douleurs aiguës au genou dont il souffre depuis plusieurs mois. On annonçait alors la venue du Cardinal Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège, pour lire le discours du pape. Lui aussi fit faux bond. Les quelque 120 participants à ce colloque de cinq jours auraient accepté cette excuse de santé du pape de 85 ans, si en lieu et place de Florence, le pape ne s’était rendu à l’ambassade de Russie près le Saint-Siège. Certes, l’urgence de la situation a pu presser François en dépit de ses douleurs, mais l’assemblée de Florence n’a pas caché sa déception quand leurs travaux portaient sur des problématiques dont le souverain pontif fait souvent état.
Jérusalem pourrait souhaiter passer son tour
La rencontre de Florence qui s’est déroulée du 23 au 27 février, avait été marquée par l’invasion par la Russie de l’Ukraine le 24, au point que le communiqué final en faisait état.
Comme l’écrivait Loup Besmond de Senneville dans La Croix « L’attaque en Ukraine est aussi venue douloureusement résonner avec les tensions en cours dans la région méditerranéenne. Certains, comme le patriarche de l’Église catholique chaldéenne, le cardinal Louis Raphaël Ier Sako, y voient aussi un rappel de situations vécues il y a quelques années. « Nous sommes dans une région où les conflits sont partout : en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen… Cela nous montre que le conflit peut s’étendre très vite. J’observe en Ukraine le même scénario que celui qui s’est produit en Irak, quand les Américains sont intervenus pour changer le gouvernement en place par un régime encore pire ! »
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Malgré les distances, le conflit russo-ukrainien s’est invité au Proche-Orient et singulièrement à Jérusalem. Quand Israël qui compte un demi-million de binationaux russo-israéliens et un demi-million de binationaux ukraino-israéliens ne savait pas trop où se mettre devant les tensions grandissantes, quand les Palestiniens se sont étonnés de la prompte réaction des Européens à voter des sanctions quand ils sont interdits de boycotter Israël qui occupe les Territoires palestiniens depuis 74 ans, quand le Premier ministre israélien Naftali Bennett a proposé ses bons offices de médiateur, quand le président ukrainien Zelensky s’est dit favorable à une rencontre de Poutine à Jérusalem, quand le patriarche grec-orthodoxe de Jérusalem Theophilos fait de la haute voltige entre Ukraine et Russie.
Mais le Proche-Orient a assez de ses problématiques propres pour ne pas désirer gérer le conflit des autres. Sur le sujet, c’est Mgr Pizzaballa patriarche des Latins de Jérusalem qui est monté au créneau début mars regrettant : « Une manipulation incompréhensible, ainsi qu’une tentative d’impliquer le Moyen-Orient » avant de constater amèrement « Les gens essaient d’impliquer le Moyen-Orient pratiquement dans tout, directement ou indirectement ».
Pressions contre les chrétiens à Jérusalem
Une rencontre du pape François avec le patriarche russe Kirill, n’impliquerait pas que les catholiques de Terre Sainte, mais aussi les grecs-orthodoxes qui se débattent comme toute l’orthodoxie dans leur rapport avec Moscou et le nouveau patriarcat ukrainien, mais aussi avec les autorités israéliennes sur un certain nombre de dossiers. Les Israéliens quant à eux, dont le gouvernement a perdu la majorité augurant de nouvelles élections législatives, pourraient déplorer l’agenda pontifical. Les finances des Eglises après deux ans sans revenu faute de pèlerinage – un voyage papal entraîne toujours son lot de dépenses – pourraient préférer surseoir (longtemps) à l’événement.
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Certes, la source d’espérance et du Salut est à Jérusalem. Et on n’est jamais à l’abri d’un miracle. Qui sait : « Il pourrait revenir, il pourrait renoncer au châtiment, et laisser derrière lui sa bénédiction » (Joel 2,2). Et une venue du pape pourrait aussi servir les Eglises quand les chefs des Eglises se plaignent de voir les pressions qui s’exercent contre les chrétiens à Jérusalem.
Après avoir évoqué avec force ce dernier point dans son message délivré le dimanche des Rameaux, le patriarche des Latins Mgr Pizzaballa concluait : « Jérusalem doit devenir un lieu de guérison pour toutes les nations, un lieu où tous prient et louent le Seigneur pour les merveilles qu’il a faites ici. D’ici, nous prierons et travaillerons pour que, de cette ville, du lieu qui a connu le salut du monde, surgisse un désir sincère de paix pour tous ! »
Il y a donc quand même un peu de place pour accueillir le pape François et le patriarche Kirill et s’en réjouir.