Pierre Bürcher, évêque émérite de Reykjavik (Islande), est délégué des Conférences épiscopales de Suisse et d’Europe du Nord auprès de la Coordination Terre Sainte. Le groupe composé d’évêques d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Afrique du Sud visite Israël et la Palestine une fois par an. Le prélat valaisan est actuellement en Terre Sainte pour la visite annuelle, qui s’est achevé le 26 mai à Jérusalem.
Quel moment de la visite vous a pour l’instant le plus marqué?
J’ai été choqué par la mort de la journaliste grecque-melkite-catholique palestinienne Shireen Abu Akleh, à Jénine [le 11 mai 2022, ndrl.]. La force disproportionnée déployée par la police israélienne, son intrusion violente dans le cortège funèbre lors de l’enterrement de la journaliste est une violation des normes internationales et du droit fondamental à la liberté de culte. La journaliste n’est malheureusement pas la dernière victime de la violence en Terre sainte. En effet, des faits similaires se sont déjà reproduits depuis.
«La nature de Jérusalem est d’inclure, pas d’exclure»
La Commission Justice et Paix de Jérusalem, a écrit le 16 mai 2022: «Nous tenons à exprimer notre inquiétude face à l’avenir. Les autorités politiques qui décident du futur en Israël-Palestine, ainsi que les principaux responsables de la communauté internationale, ne semblent pas prêts à réfléchir de manière véridique et courageuse à ce qui se passe en Terre Sainte. Ils ne se donnent donc pas les moyens d’éradiquer les causes de cette violence». Selon les chiffres officiels, 45 Palestiniens, 16 Israéliens et deux travailleurs immigrés ont été tués au cours des deux derniers mois dans ce qui a été qualifié de «nouveau cycle de violence». Les médias ont ignoré la plupart d’entre eux. Et la violence se poursuit.
Vous avez discuté du futur statut de Jérusalem. Pensez-vous que la ville puisse devenir la capitale de deux États?
Cette question est l’un des principaux thèmes de notre réunion. Si Jérusalem devait devenir la capitale de deux États, Israël et la Palestine, je pense qu’il faudrait d’abord clarifier son statut-même. Le Saint-Siège a souligné à plusieurs reprises la nécessité de conférer à Jérusalem un statut particulier, reconnu au niveau international, afin de garantir le respect des trois religions monothéistes qui confèrent à la ville son caractère sacré.
Bien qu’ils soient une minorité au sein de la population, de plus en plus de chrétiens, de toutes les Eglises, tentent d’y construire non pas des murs, mais des ponts de compréhension et de fraternité. Nous les avons rencontrés. Nous avons parlé avec eux, prié avec eux. J’en ai été très édifié.
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Pourquoi est-ce que ce statut international vous paraît spécialement important?
Jérusalem doit rester le lieu où juifs, chrétiens et musulmans continuent à se rencontrer, dans les rues de la Ville sainte, avec leurs propres buts et traditions, si singulièrement liés. Il ne suffit pas de préserver le caractère historique de la ville seulement à travers ses pierres. Il est également nécessaire de préserver et de promouvoir le tissu unique de relations entre les croyances, les peuples et les cultures, sans exclusivité.
La nature de Jérusalem est d’inclure, pas d’exclure. C’est son statut en droit international, à la lumière de la résolution ES-10/19 de l’Assemblée générale des Nations unies du 21 décembre 2017. C’est aussi sa vocation prophétique et sa force d’attraction universelle. Tout cela va aussi dans le sens de mon opinion personnelle sur cette question importante, non seulement pour Israël et la Palestine, mais aussi pour le monde entier.
Que pensez-vous d’une solution à deux États?
Je ne vois pas bien comment cela pourrait être faisable actuellement, principalement à cause de la situation du territoire israélo-palestinien. La construction illégale de colonies dans les territoires occupés par Israël a commencé dès 1967. Ce territoire a été illégalement morcelé et continue de l’être. Il est ainsi troué «comme un emmental». Peut-on maintenant faire de ces territoires deux États, surtout si l’on ne peut ou ne veut pas revenir à la situation de 1967?
«Il faut maintenant des actes!»
Je suis également choqué de voir comment Israël s’approprie des terrains et des maisons, même dans la vieille ville de Jérusalem, où flottent désormais de plus en plus de drapeaux israéliens. La Commission Justice et Paix de Jérusalem écrit: «Il faut le répéter avec une clarté sans équivoque: la cause profonde et le contexte primaire de la violence est l’occupation de la Palestine, qui dure depuis 55 ans».
Verriez-vous une façon de pacifier cet «emmental troué»?
Ne pourrait-on pas imaginer, par exemple, une confédération d’États qui comprendrait Israël, la Palestine et la Jordanie? Est-ce une vision utopique? Il a fallu plus de 700 ans à la Suisse pour en arriver à la Confédération helvétique, composée de 26 cantons et États, eux aussi caractérisés par une grande diversité de cultures, de traditions et de religions.
Avec quel message reviendrez-vous en Suisse?
Je reviendrai avec un triple appel: à une aide d’urgence, à l’espoir et à la prière pour la paix et la justice. Pour moi, l’aide d’urgence signifie en particulier ne pas ignorer les cris des veuves, des orphelins, des mères et des pères endeuillés ainsi que de tous les opprimés qui veulent continuer à vivre en Terre Sainte. Les mots seuls ne suffisent plus. Il faut maintenant des actes! Ici, tous ont urgemment besoin de notre aide concrète!
Pour moi, l’espoir signifie en particulier que les autorités politiques en Israël, comme en Palestine et dans le monde entier, aient le courage de rechercher les véritables causes de la violence et ne se dérobent pas à leurs responsabilités. La guerre est laide! Le Christ est notre paix! La prière pour la paix et la justice dans le monde entier est plus nécessaire que jamais.
Avec l’aimable autorisation de cath.ch