Il protège sa tête des coups de matraque. Le jeune palestinien en T-shirt gris en recevra pas moins de dix, assénés par la police israélienne, avant de lâcher le coin du cercueil qu’il tenait à bout de bras. Celui-ci manque de s’écraser au sol. Ces images, filmées dans la cour de l’hôpital Saint-Joseph à Jérusalem vendredi 13 mai, le jour des funérailles de la journaliste Shireen Abu Akleh, ont fait le tour du monde.
D’autres images, d’une brutalité toute aussi choquante ont été révélées lors d’une conférence de presse à l’hôpital Saint-Joseph, lundi 16 mai. Les chefs des Eglises de Jérusalem et les dirigeants de l’établissement de santé, connu comme « l’hôpital français » y étaient réunis pour exprimer leur consternation et condamner les violences qui ont émaillé les funérailles.
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Les caméras de surveillance ont filmé la police déboulant dans l’hôpital Saint-Joseph et provoquant la panique parmi les patients. « Leur but était clairement d’envahir l’hôpital« , dénonce Jamil Koussa, le directeur de Saint-Joseph, soulignant que les affrontements ont fait 13 blessés côté Palestinien.
VIDEO: Another video released showing dozens of ISF elements storming Saint Joseph Hospital including Emergency unit, in Sheikh Jarrah during the funeral procession of Shireen Abu Aqla (Al Jazeera Reporter) who was shot dead by ISF at Jenin Refugee Camp.https://t.co/6yFaNG01OB pic.twitter.com/IKNOX5nSs7
— Local Focus – Security Alerts (@LocalFocus1) May 16, 2022
Unité et fermeté dans la condamnation
« En faisant irruption dans un institut de santé chrétien, la police a manqué de respect à l’Église, a manqué de respect à l’institut en question et a manqué de respect à la mémoire de la défunte. La police israélienne a fait preuve d’un usage disproportionné de la force, ce qui constitue une violation grave des normes et règlements internationaux, y compris le droit humain fondamental de la liberté de religion, qui doit être respecté également dans un espace public« , a déclaré Mgr Pierrbaptista Pizzaballa, patriarche Latin de Jérusalem, lisant un communiqué écrit au nom de l’hôpital et des différentes Églises de Terre Sainte.
Elles étaient toutes représentées à la conférence de presse, en les personnes de Théophilos III, le patriarche Grec-Orthodoxe, frère Dobromir Jatzal ofm, vicaire de la Custodie de Terre Sainte, Mgr Yaser Al-Ayyash, évêque grec-catholique de Jérusalem, ainsi que des représentants des Églises copte, maronite et protestantes. De nombreuses sœurs de la congrégation de Saint-Joseph de l’Apparition, fondatrice de l’hôpital en 1954, ont également fait le déplacement en signe de solidarité, tout comme des religieux et religieuses de plusieurs autres congrégations.
Une unité et une fermeté rarement vues dans une condamnation d’évènement à caractère aussi politique. Vidéos à l’appui, la conférence de presse contre d’ailleurs tout l’argumentaire mis en place par les autorités israéliennes depuis vendredi.
A coup de communiqués et de tweets tardifs, elles assurent que « les dispositions de la procession funéraire avaient été coordonnés à l’avance par la police israélienne avec la famille Abu-Akleh« .
1/7) Plans for the funeral procession of Shireen Abu-Akleh were coordinated in advance by the Israel Police together with the Abu-Akleh family
— Israel Police (@israelpolice) May 13, 2022
Une version démentie par la famille de la journaliste, qui a organisé les funérailles. « Il n’y a pas eu de coordination, affirme Lina Abu Akleh, la nièce de Shireen, en marge de la conférence de presse. Mon père les a informés des dispositions prises et de la route que nous avions prévue de parcourir entre la Porte de Jaffa et Mont Sion. La police lui a demandé à ce qu’aucun drapeau ne soit levé, qu’aucun slogan ne soit chanté, et une estimation du nombre de personnes. »
Charge de la police : des raisons encore peu claires
« Je leur ai dit que je ne pouvais pas contrôler de telles funérailles, a déclaré Anton Abu Akleh, l’unique frère de Shireen, au Times of Israel dimanche. Parce que ce sont des funérailles nationales, pour toute la Palestine. »
La police affirme ensuite qu’environ « 300 émeutiers sont arrivés à l’hôpital Saint-Joseph de Jérusalem et ont empêché les membres de la famille de charger le cercueil sur le corbillard pour se rendre au cimetière. Au cours de l’émeute provoquée par la foule, des bouteilles de verre et d’autres objets ont été lancés, blessant à la fois des personnes en deuil et des policiers. »
Ce que les vidéos montrent, c’est la présence d’un cordon de police au niveau des grilles de l’hôpital alors que la foule tente d’amener le cercueil à l’extérieur, en chantant des slogans et brandissant des drapeaux palestiniens. Une première charge repousse les porteurs du cercueil et la foule de plusieurs mètres. Des objets volent en direction de la police, probablement des bouteilles d’eau. La seconde charge vise directement les porteurs du cercueil.
Difficile à ce jour d’expliquer cette attaque. « L’officier de police m’a dit que tant qu’il y aurait des slogans et des drapeaux ils ne pourraient pas faire un centimètre dehors« , raconte Jamil Koussa, directeur de Saint-Joseph.
La famille avait prévu de transporter le corps jusqu’en vieille ville avec un corbillard, garé à l’entrée de l’hôpital. Certains participants ont voulu partir en procession à pied. Anton Abu Akleh a fermement nié, dans une interview donnée à l’AFP, que le cercueil ait été arraché de force à la famille pour mener cette marche. « Il est vrai qu’ils ont marché un peu. Mais pour porter son corps jusqu’au corbillard, qui attendait là pour prendre le cercueil« , a déclaré le frère de Shireen.
Prière spontanée entre chrétiens et musulmans
Concernant les « 300 émeutiers » évoqués par la police, plusieurs témoins ont évoqué « le calme et la dignité » dans laquelle la première partie de la matinée s’est déroulée à l’hôpital Saint-Joseph du côté des participants.
« J’ai été frappé par ce moment de prière spontané qui a uni jeunes chrétiens et musulmans palestiniens, raconte père Luc Pareydt, jésuite et conseiller religieux auprès du Consul Général de France à Jérusalem, René Trocaz, tous deux venus s’assurer le vendredi matin que tout se passerait bien. C’est le signe qui répond à toutes les agressions absolument gratuites qui ne se justifiaient pas en terme de proportionnalité. »
Au Consulat Général de France à Jérusalem, on parle de « consternation » en réaction aux évènements qui se sont déroulés dans un hôpital placé sous sa protection. « Les promesses doivent être suivies d’actes, martèle le père Luc Pareydt, après la conférence de presse où il représentait le Consul. Nous avons émis une note verbale à destination des autorités israéliennes en leur demandant à ce qu’ils contribuent à la dignité et au calme lors des funérailles, notamment lors de la présence du cercueil et de la famille. Le terme exact c’était « contribuer ». La réponse a été celle que nous connaissons. »
« Ils voulaient faire taire Shireen depuis le premier jour, et même pendant ses funérailles, ils ont essayé d’interdire qu’on lui rende hommage, dénonce Lina, sa nièce. Mais ils n’ont pas compris ce qu’elle représentait, pas seulement pour les Palestiniens, mais pour le monde entier. »
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Si la dimension chrétienne de l’établissement de santé éclaire le positionnement des Églises, celles-ci dénoncent de plus en plus régulièrement les violations à la liberté de religion de la part d’Israël, un droit pourtant prévu dans le premier article de l’Accord fondamental signé entre le Vatican et l’Etat juif en 1993, rappelle Tomasz Grysa, premier conseiller de la Délégation apostolique à Jérusalem : « La force de la loi doit toujours prévaloir sur la loi de la force, et nous demandons à ce qu’Israël prenne ses responsabilités en enquêtant sur les actions de la police« .