À l’origine, petite crypte funéraire richement agrandie sous le patronage de l’empereur byzantin Tibère II lui-même au VIe siècle ap. J.-C, l’église dite du « glorieux martyr », située à l’ouest de Jérusalem, a accueilli jusqu’au début du Xe siècle des pèlerins venus se recueillir sur les reliques d’un martyr à l’identité glorieuse… mais mystérieuse. Qui était-il pour mériter une telle dévotion ?
On se souvient de sa rencontre avec Benyamin Storchan. Visage rieur et regard tendre qui se perdent dans l’épaisseur du poil de sa barbe, l’archéologue de l’Autorité des Antiquités israéliennes est un sacré personnage. Avec ses papillotes relevées en deux petits chignons, sa kippa blanche cachée sous un chapeau au cuir élimé et les tsitsit1 qui dépassent du T-shirt, ce juif religieux originaire des États-Unis détonne dans le décor des ruines de l’église byzantine du « glorieux martyr ». Il en a dirigé les fouilles de 2017 à 2019, avant que la pandémie mette un coup d’arrêt aux campagnes.
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Une découverte en forme de « bénédiction » pour ce spécialiste de l’âge du Bronze qui s’est retrouvé projeté à la tête d’une campagne de fouilles préventives en vue de l’extension de la ville juive ultra-orthodoxe de Beth Shemesh. « On ne s’attendait pas à trouver une église byzantine ici. Habituellement elles sont édifiées au sommet de collines », explique l’archéologue au milieu des ruines.
Nichée dans une étroite vallée de la Shéphélah, l’église du “glorieux martyr” est située à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Jérusalem et à quelques encablures de ce qui fut Khirbet Beit Nattif, le plus grand village de la région pendant la période byzantine (IVe-VIIe siècles ap. J. C.).
Trois campagnes successives ont permis de mettre au jour un édifice à l’opulence rare et dans un état de conservation remarquable. Composé d’une église basilicale principale, d’un narthex, d’un atrium, d’une chapelle annexe, ainsi que d’une exceptionnelle crypte voûtée desservie par deux escaliers, le complexe religieux s’étend sur plus de 1,5 ha. Au sol de magnifiques tapis de mosaïques et de larges inscriptions en grec sont restés quasiment intacts. C’est l’une d’elles qui dédie l’édifice à un “glorieux martyr”. Aussi étonnant que cela puisse paraître étant donné la bonne conservation du site, aucun nom, ni identification précise n’ont été retrouvés. “La richesse exceptionnelle de la structure ne fait aucun doute quant à l’importance de cette personne”, estime Benyamin Storchan, qui a sa petite idée sur l’identité du martyr et ménage malicieusement ses conclusions en revenant d’abord sur les preuves archéologiques et historiques que les fouilles ont dévoilées.
Un empereur romain généreux
Trois grandes étapes ont jalonné la vie de cette église. L’archéologue fait remonter ses débuts au Ve siècle. Elle n’était alors qu’une simple chapelle funéraire souterraine. “On y vénérait probablement déjà les reliques d’un homme enterré ou déposé ici”, indique l’archéologue en soulignant que si la datation de cette période est rendue difficile par l’ajout d’éléments architecturaux au VIe siècle, la découverte d’un sol en mosaïque découpé par les murs, atteste d’une utilisation primitive. De plus en plus fréquentée par les chrétiens locaux et les pèlerins voyageant entre Jérusalem et les ports de la côte méditerranéenne, la crypte est incorporée à un complexe plus large au milieu du VIe siècle, pour accueillir des foules. Une église basilicale est édifiée juste au-dessus. Un narthex (avant-cour) et un atrium entouré de salles auxiliaires complètent un site construit en pierres de taille, locales, et merveilleusement conservées. Le sol de la cour est pavé de grosses tesselles de mosaïque blanche. Au centre une inscription en grec fait remonter la construction du complexe à 542 par le prêtre de l’église, un certain Malchos, commémorant un “glorieux martyr”. La crypte qui accueillait ses reliques est également remaniée avec l’ajout d’une voûte en berceau recouverte de riches panneaux de marbre. Deux escaliers permettaient d’y accéder et de réguler le flot des pèlerins en séparant l’entrée et la sortie. On retrouve le même concept dans la basilique de la Nativité à Bethléem à partir du VIe siècle.
L’église connaît une dernière phase de construction à la fin du VIe siècle avec la restauration de la façade orientale, l’ajout d’une chapelle connexe et l’installation d’un baptistère cruciforme taillé dans un seul bloc de pierre. Les mosaïques de la chapelle, où les motifs géométriques se mêlent à des représentations animales, sont frappantes de finesse et de beauté. C’est que cette expansion a été financée par l’empereur byzantin Flavius Tiberius lui-même en 583, détaille une inscription grecque trouvée sur la mosaïque. “Si le mécénat impérial en matière de construction d’églises en Terre Sainte a commencé sous l’empereur Constantin (Saint-Sépulcre, Nativité, Éléona, Mambré à Hébron), et s’est poursuivi sous l’empereur Justinien, avec l’église de la Néa à Jérusalem, il est rare que des inscriptions les formalisant aussi clairement soient retrouvées”, souligne Benyamin Storchan.
Le déclin de l’église du glorieux martyr débute avec l’arrivée du califat abbasside au IXe siècle. L’islamisation de la région se fait progressivement. Dans la crypte, la découverte d’un dessin figurant un poisson sur l’un des murs ainsi que la mise au jour d’une centaine de lampes à huile datant de cette période, témoignent de la persistance de rituels votifs chrétiens. Le site sera finalement abandonné au Xe siècle. “Les trois portes de la basilique ont été murées, comme dans l’espoir d’un retour”, analyse le directeur des fouilles.
Les trois Zacharias
Qui était donc ce martyr, pour mériter une telle dévotion, une église aussi belle et un patronage impérial ? Cette fois, Benyamin Storchan est prêt à répondre à la question. “Les reliques pourraient avoir été celle de Zacharias”, commence-t-il en sortant une photocopie de la carte de Madaba. Cette célèbre mosaïque jordanienne du VIe siècle, sur laquelle est représentée la Terre Sainte, place le “tombeau de Zacharias” à l’entrée du village de Beth Zacharie, dans la vallée d’Élah. “Un village juif, situé à seulement 3,5 km à l’ouest de l’église, porte le nom de Zacharias et le village arabe sur lequel elle a été construite, aussi”, explique l’archéologue. Une proximité géographique qui pourrait correspondre, mais qui laisse une question en suspens : de quel Zacharias était-il question ? La Bible en compte au moins trois : le grand prêtre Zacharias, fils de Yehoyada (2Ch 24, 20-22), le prophète Zacharias, fils de Bérékya (Za 1,1) et le père de Jean le Baptiste (Lc 1).
Au VIe siècle le pèlerin de Plaisance visite le sanctuaire et affirme que l’église marque le lieu où le martyr Zacharias a été tué et enterré. Rayant de la liste des Zacharias ceux mis à mort à Jérusalem. “Il n’est donc pas exclu que le site ait été dédié à un martyr chrétien du nom de Zacharias, dont l’identité et l’importance originales se sont perdues et mélangées au fil des ans, estime Benyamin Storchan. C’est ce que suggère peut-être le récit du pèlerin Willibald qui, en visitant le site au VIIIe siècle, semble avoir été déçu d’apprendre que le sanctuaire n’était pas lié au père de Jean le Baptiste.” L’archéologue reste prudent quant à ses hypothèses : “Même si l’église du glorieux martyr est située près de l’endroit où les itinéraires de pèlerinage et la carte de Madaba placent le sanctuaire de Zacharias, aucun lien clair ne peut être établi.”
Pour en avoir le cœur net il faudrait creuser plus avant. Mais la reprise des fouilles n’est pas au programme. “Personne ne sait quoi faire de cette église”, soupire le directeur des fouilles, qui défend bec et ongles la préservation d’un site où la nature a commencé à reprendre ses droits. Plusieurs options sont sur la table, allant de la préservation intégrale du site (la plus coûteuse), au remblaiement de la zone (la plus rentable), en passant par la déposition des mosaïques. Rien n’a été décidé à ce jour. “La municipalité de Beit Shemesh voudrait le rendre accessible mais il y a une crainte que la population juive orthodoxe locale ne soit pas aussi délicate avec ce site qu’elle devrait l’être”, lâche l’archéologue, dépité.
“Ce n’est pas souvent qu’il est donné à quelqu’un de marcher à travers ce genre de trésor archéologique. Les églises byzantines font partie de l’histoire de cette terre et les 5 000 lycéens qui nous ont aidés à fouiller celle du glorieux martyr sur les trois campagnes l’ont bien compris. L’expérience les a fait grandir.” Un sourire se dessine à travers sa barbe à l’évocation d’un de ses plus beaux souvenirs : “Un dimanche, les religieuses du monastère voisin de Beit Jemal sont descendues nous rendre visite. Leurs chants ont fait résonner la crypte pour la première fois depuis peut-être 1 500 ans !” Plus que des pierres et des murs, l’archéologie est aussi une affaire d’hommes.
Dernière mise à jour: 20/05/2024 15:36