Daniel Seidemann: « L’idée de protéger le Mont des Oliviers avec un parc national ne tient pas »
En février 2022 était dévoilé un projet israélien de classer le mont des Oliviers comme Parc National, officiellement au nom de la protection des lieux. L’argument laisse sceptique la Custodie de Terre Sainte, le patriarcat grec-orthodoxe et le patriarcat arménien de Jérusalem, tous présents sur le mont, et qui y voient plutôt l’influence d’associations de colons juifs religieux cherchant à s’étendre sur Jérusalem-Est. Une lettre de protestation conjointe, ferme et médiatisée, des trois Églises a amené l’Autorité Israélienne des Parcs Nationaux à suspendre le projet. Mais celui-ci est-il oublié pour autant ? Pas du tout, selon Daniel Seidemann.
Eclairage avec cet avocat israélien spécialisé dans les relations israélo-palestiniennes à Jérusalem. Daniel Seidemann est aussi le fondateur de Terrestrial Jerusalem, une ONG qui œuvre en faveur d’une résolution de la question de Jérusalem qui soit cohérente avec la solution des deux États.
TSM : L’Autorité des Parcs Nationaux affirme ne pas vouloir avancer sur ce projet « sans discussion et échange avec les parties prenantes appropriées, y compris les autorités locales religieuses ». Pourtant vous pensez qu’il est toujours sur les rails. Pourquoi ?
Daniel Seidemann : Parce que la mairie de Jérusalem est également partie prenante dans le processus, or elle n’a pas suspendu le projet pour sa part. Une première évocation du dossier devait avoir lieu en mars dernier devant un comité municipal. Face à la levée de boucliers des Églises, cette audience n’a pas eu lieu : mais elle a juste été reportée, pour être désormais programmée au 24 août prochain. Donc, contrairement à ce qu’affirme officiellement l’Autorité des Parcs Nationaux, le projet continue sa route.
L’idée d’une protection d’un lieu aussi emblématique que le mont des Oliviers n’apparaît pas aberrante en elle-même. Pourquoi ce projet vous parait-il – ainsi qu’aux Églises – dangereux ?
Parce que l’idée de protection ne tient tout simplement pas ! Le mont des Oliviers est un endroit unique à Jérusalem, déjà l’un des mieux préservé et entretenu par les diverses communautés religieuses qui y coexistent. Un exemple : les sœurs bénédictines présentes sur le mont, vous les imaginez une seconde vouloir y ouvrir un Mac Do ? Sérieusement, le mont des Oliviers n’a pas besoin de protection supplémentaire, et l’argument officiel de préservation ne tient donc absolument pas.
Quel est alors le but véritable du projet, selon vous ? Et qui y a intérêt ?
Le projet de Parc National sur le mont des Oliviers n’est pas récent. Il s’inscrit dans un programme clairement imaginé et mis en œuvre, ces dernières années, par des associations de colons juifs religieux, visant à ceinturer la Vieille ville de Jérusalem en y imposant une présence et une histoire exclusivement juives, au détriment de la présence et de l’héritage chrétien et musulman.
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On parle ici notamment de l’association EL-AD, dont le but est de perpétuer « l’héritage du roi David » dans la Jérusalem ancienne. EL-AD a créé et gère le site Cité de David, sur le territoire palestinien de Silwan (Siloé), au sud de la Vieille ville et du mont des Oliviers. Ce lieu est devenu l’un des sites touristiques les plus visités du pays, il met en avant des fouilles archéologiques présentées uniquement comme témoin de la présence juive. Les habitants de Silwan, palestiniens, n’ont aucune place dans ce récit.
L’Autorité des Parcs Nationaux affirme que le fait de classer une zone en Parc National n’affecte en rien les droits des propriétaires. A-t-elle raison ?
C’est faux ! Bien sûr que le classement affecte les droits des propriétaires, sinon à quoi bon classer un site ? La Cité de David a été développée par EL-AD à Silwan parce que le site est classé Parc National. Les propriétaires palestiniens n’ont pas eu leur mot à dire : l’Autorité des Parcs Nationaux a signé un contrat avec EL-AD qui lui a permis de développer la Cité de David. Si demain le mont des Oliviers est classé, il deviendra à son tour un “Disneyland juif”. Ce sera la poursuite de l’extension de la Cité de David, puisque les deux sites, celui de Silwan et celui du mont des Oliviers, sont voisins ; la continuité géographique est évidente, c’est le projet d’EL-AD depuis le début.
Vous évoquiez tout à l’heure le projet de ceinturer la Vieille ville de Jérusalem. Pouvez-vous expliciter ?
Le mont des Oliviers n’est pas isolé. Il faut avoir en tête un tableau plus large. Les cartes sont très parlantes à cet égard. Lorsque vous regardez la Vieille ville de Jérusalem, vous avez schématiquement, à l’ouest, la partie moderne, essentiellement juive, et à l’est, la partie arabe, musulmane et chrétienne. Or, au nord-est, on a beaucoup parlé ces derniers mois du quartier arabe de Sheikh Jarrah, où des familles arabes ont été expulsées au profit de colons juifs. Encore plus récemment, les hôtels Pétra et Impérial, jusque-là propriétés du patriarcat grec-orthodoxe, sont définitivement passés aux mains des colons juifs religieux. EL-AD exploite aussi un site touristique dans cette partie nord, dans le Parc National d’Emek Zurim. Voilà pour le nord-est. Au sud-est nous avons donc la Cité de David et un projet de funiculaire visant à transporter les visiteurs du site, et du Mur des Lamentations, proche, via un trajet qui leur éviterait purement et simplement d’être en contact avec une quelconque présence musulmane ou chrétienne dans la Vieille ville ! Et entre ces deux pôles, nord-est et sud-est, qu’y a-t-il ? Le mont des Oliviers. Dernière position à maîtriser pour boucler la ceinture autour de Jérusalem, et couper ainsi la Vieille ville de la Cisjordanie. Croyez-moi, ce plan de Parc National ne doit rien au hasard et mérite d’être combattu.