Nous ne disposons pas d’une biographie d’Égérie et nous ne savons que très peu de choses sur sa vie. Elle nous est connue parce qu’en 1884 Gian Francesco Gamurrini découvre un texte provenant de l’abbaye du Mont-Cassin, aujourd’hui conservé à la bibliothèque d’Arezzo. Ce texte est la deuxième partie d’un manuscrit intitulé S. Hilarii Tractatus mysteriorum ab Adam usque ad Noe. Gamurrini publia l’Itinéraire d’Égérie pour la première fois en 1887.
Par la suite, d’autres éditions de la version originale, en latin, et d’innombrables traductions en différentes langues ont vu le jour. Et ce en raison de l’importance du texte pour la connaissance des Lieux Saints dans les premiers siècles du christianisme.
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L’auteure de l’Itinéraire ou Peregrinatio a pu être identifiée grâce à une lettre que Valerius du Bierzo a adressée à ses moines vers 680, dans laquelle il rend hommage à la « bienheureuse Égérie » ou « Aetheria ».
Le contenu de cette lettre coïncide avec les descriptions de l’Itinéraire. Certaines des mentions faites par Valerius correspondraient même à la partie du texte aujourd’hui perdue.
Aux origines du monachisme
L’ascète espagnol l’appelle beatissima sanctimonialis, c’est-à-dire “moniale ou religieuse consacrée à Dieu”. Égérie elle-même s’adresse aux destinataires de ses écrits en employant des expressions telles que “Mes dames et vénérables sœurs”, “Mes dames et lumières de ma vie”, ce qui nous suggère qu’elle faisait partie d’un groupe ou d’une communauté de femmes qui se consacraient à la vie spirituelle et jouissaient à l’époque d’une certaine liberté quant à leur organisation.
D’autres auteurs la décrivent comme “une dame de haut rang et pieuse… espagnole, probablement galicienne, vierge consacrée et abbesse”. Égérie entreprend son voyage alors qu’elle est encore très jeune, attirée par les souvenirs bibliques, la dévotion pour les martyrs et la ferveur des moniales et des moines dans les monastères. En raison de son illustre position sociale, elle est accompagnée et fait toujours l’objet d’une grande attention de la part des moines, des prêtres et des évêques.
L’historien franciscain et bibliothécaire de la Custodie de Terre Sainte, le Père Agustín Arce (1884-1984), érudit attentif et expert en la matière, a souligné que la langue et le style utilisés par Égérie dans son Itinéraire dénotent un “haut rang social et une grande culture” et a affirmé, entre autres, qu’Égérie avait une relation d’amitié, voire de parenté, avec l’empereur Théodose.
Ce qui est certain, c’est qu’elle appartient à une classe sociale élevée, comme en témoignent les relations qu’elle entretient avec les personnes rencontrées au cours de ses voyages. Elle sélectionne les lieux à visiter, entre en relation avec des évêques, se lie d’amitié avec des moines, des moniales et des pèlerins étrangers rencontrés à Jérusalem, et partage leurs méditations sur les Écritures. Ses écrits révèlent également le but de ses pèlerinages : connaître la vie des femmes et des hommes consacrés de son temps dans ces régions. Dans la ville sainte, Égérie se lie d’amitié avec Marthana, une diaconesse et abbesse qu’elle retrouvera à Sainte-Thècle à Séleucie d’Isaurie.
Remo Gelsomino décrit notre pèlerine comme une femme “volontaire, décidée, active, vive, originale et anticonformiste”, qui ne se satisfait pas de récits qui ne la convainquent pas. Et il ajoute qu’elle devait être assez jeune et en bonne santé pour supporter la route, le climat et les longs voyages à dos de chameau ou de mule. Elle raconte elle-même qu’elle a dû effectuer à pied la pénible ascension du mont Sinaï : “Ainsi, par la volonté du Christ notre Dieu, aidée par les prières des saints qui m’accompagnaient, j’ai dû monter laborieusement à pied, mais l’effort ne s’est fait sentir qu’en partie, car inspirée par Dieu j’ai vu l’accomplissement du désir que j’avais”. Ces voyages se faisaient en groupe et suivaient les voies romaines qui, à l’intérieur des frontières de l’Empire, étaient protégées par l’armée.
La raison de ce long voyage étant religieuse, elle se déplace pour prier (gratia orationis ou orationis causa), visiter un monastère ou un martyrium, et se rendre sur les Lieux Saints liés au mystère du Christ et aux personnages de l’Ancien et du Nouveau Testaments : et c’est justement la configuration particulière de ses pèlerinages qui rend son récit aussi important pour la connaissance des Lieux Saints. Égérie décrit également les deux types de célébrations liturgiques en usage dans chacun : pour les sites de l’Ancien Testament, les liturgies du pèlerinage, décrites dans la première partie de l’Itinéraire (IE 1-23), et pour les sites du Nouveau Testament, la liturgie quotidienne, celles des dimanches, des fêtes de l’année liturgique et de l’initiation chrétienne, reprises dans la seconde partie (IE 24-49).
Après un premier voyage en Égypte, auquel elle fait allusion dans son Itinéraire, Égérie raconte avoir effectué quatre circuits : le premier au mont Sinaï, et son retour à Jérusalem à travers le pays de Gessen (IE 1-9) ; le deuxième jusqu’au mont Nébo (IE 10-12) ; le troisième en Idumée, le pays de Job (IE 13-16) ; et le quatrième en Mésopotamie, et son retour à Constantinople via Tarse, Séleucie et Chalcédoine (IE 17-23).
Dans la première partie, l’auteure fait une distinction entre les lieux historiques du judaïsme et les Lieux Saints proprement dits : pour ces derniers la liturgie du pèlerinage prévoit une prière, une lecture biblique, un psaume et une oraison. Lorsque le célébrant de cette cérémonie liturgique est un évêque, celui-ci donne la bénédiction après la deuxième prière. “Nous avons toujours eu l’habitude, partout où nous pouvions aller, dans les lieux où nous souhaitions aller, de dire d’abord une prière, puis de lire un passage biblique pertinent, de réciter un psaume approprié à la circonstance et de dire une seconde prière” (IE 10, 7). Ces liturgies étaient certainement dictées par la coutume, puisqu’il est dit par exemple que les moines avaient l’habitude de prier dès qu’ils apercevaient le mont Sinaï : “Il est d’usage que l’on prie lorsqu’on arrive en ce lieu, d’où l’on peut voir la montagne de Dieu.” (IE 1, 2)
Précieux renseignements
La religieuse fournit des indications d’intérêts divers sur les Lieux Saints : la localisation géographique des sites selon les saintes Écritures ; des nouvelles des évêques locaux ; parfois une description des sites, en précisant s’ils abritent une église, un martyrium, ou une tombe ; des passages d’éventuels textes liturgiques propres aux différents sites ; les recteurs ou les personnes qui en sont responsables ; les personnes qui y vivent et leurs relations avec les pèlerins et les visiteurs ; le type de liturgie qui y est célébrée, parfois non seulement la liturgie du pèlerinage mais aussi l’oblation ou la liturgie eucharistique.
L’emplacement des lieux auxquels les passages bibliques font référence lui était indiqué par les moines ou les prêtres, ses guides qu’elle qualifie de “saints”. La description orographique également s’est avérée précieuse pour les géomètres et les topographes.
Depuis la découverte de l’Itinéraire, les pères du Studium Biblicum Franciscanum mènent leurs fouilles, une pioche à la main, et en ayant à l’esprit à la fois l’Écriture sainte et l’Itinéraire d’Égérie, comme l’a documenté au cours des cent dernières années notre magazine Terre Sainte.
Égérie identifie les Lieux Saints principalement à Jérusalem : “Aucun chrétien qui s’est rendu dans les Lieux Saints, c’est-à-dire à Jérusalem, ne cesse d’y aller pour prier”. (IE 17, 2). La deuxième partie de l’Itinéraire est particulièrement intéressante car elle relate les célébrations liturgiques qui ont lieu à Jérusalem : les détails descriptifs qu’elle donne de l’action liturgique sont parfois si précis qu’on pourrait croire qu’elle a été aidée par un clerc pour la rédaction du texte. Ces descriptions, ainsi que la reconstitution des relations entre les lieux, les habitants et les événements bibliques, constituent encore aujourd’hui une source indispensable pour les études bibliques et archéologiques, architecturales et liturgiques.
Égérie est également attentive à la réaction produite par la proclamation des textes bibliques dans les sanctuaires, en particulier de ceux qui relatent la Passion au cours des célébrations de la Semaine sainte, ou encore la proclamation de l’Évangile de la Résurrection pendant les célébrations dominicales tout au long de l’année. À tel point que, depuis la découverte de l’Itinéraire, les pères du Studium Biblicum Franciscanum mènent leurs fouilles, une pioche à la main, et en ayant à l’esprit à la fois l’Écriture sainte et l’Itinéraire d’Égérie, comme l’a documenté au cours des cent dernières années notre magazine Terre Sainte.
En ce qui concerne la liturgie, la Custodie de Terre Sainte a tenu compte des notes de l’Itinéraire pour renouveler certaines célébrations, en particulier les Vigiles de carême, l’Heure sainte du Jeudi saint à Gethsémani et la Semaine sainte. D’ailleurs nul n’ignore l’influence, dès les premiers siècles, de la liturgie de Jérusalem sur les rites romain, ambrosien et hispanique, entre autres. Partir en pèlerinage, c’est voyager au nom de Dieu : “Et ainsi, après avoir vu tout ce que nous désirions voir, au nom de Dieu, nous retournâmes à Jérusalem en passant par Jéricho et en reprenant le chemin par lequel nous étions venus.” (IE 12, 11). La ville sainte est le point de départ et le point d’arrivée, elle est le centre du pèlerinage et de la vie chrétienne.
“Puis, au nom de Dieu, considérant qu’un certain temps s’était écoulé et que cela faisait trois ans que j’étais arrivée à Jérusalem, je projetai de retourner dans ma patrie puisque j’avais visité tous les Lieux Saints où je souhaitais me rendre en pèlerinage. Toutefois, par la volonté de Dieu, je décidai d’aller également en Mésopotamie, en Syrie, pour me rendre auprès des saints moines et pour prier” (IE 17, 1).
À travers le récit de ses voyages, la pèlerine Égérie fait revivre les origines des espaces matériels, sociaux et liturgiques du christianisme primitif, son langage, son archéologie et son paysage. Ses écrits font également revivre la fraîcheur de la vie chrétienne dans la Terre Sainte du IVe siècle et permettent de redécouvrir la signification des Lieux Saints et de leurs édifices encore habités par une communauté chrétienne variée. Une communauté qui vibre et nous transmet son optimisme et son implication, qui vit soutenue par le mystère pascal hebdomadaire avec la proclamation de l’Évangile de la Résurrection enveloppée par l’encens, les lumières, et les cris de l’assemblée. “Sur les pas d’Égérie” pourrait être un bel itinéraire pour un nouveau voyage en Terre Sainte et vivre sur place les liturgies qu’elle inspire encore.
Dernière mise à jour: 21/07/2024 12:07