Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Thabor, la montagne des batailles

Claire Burkel
15 juillet 2022
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Dans la plaine de Yizréel le sommet arrondi du mont Thabor est comme incongru, détaché et facilement reconnaissable. Les villages deviennent de vraies villes entre Afula et Nazareth dont les faubourgs apparaissent sur la gauche de la photo. © Samri/Shutterstock

La terre de Palestine-Israël est formée d’une montagne centrale entre deux parties basses, la plaine côtière et le creux du Jourdain. Mais en quelques endroits se détachent des monts isolés comme le Carmel et le Thabor, lui visible de loin, depuis Nazareth et très présent dans l’Histoire du pays.


Le début de l’histoire de Saül commence et finit dramatiquement à proximité du djebel et Tor, en arabe le mont du Taureau. Dans le premier livre de Samuel, le prophète donne l’onction royale au jeune Benjaminite et l’envoie dans la campagne de Galilée : “Tu arriveras au chêne de Thabor… délaisseras Béthel… et arriveras à Gibéa” -1S 10, 3-4. Quelques années plus tard il sera tué par les Philistins lors d’une bataille sur le mont Gelboé, à quelque distance du même Thabor, et son corps et celui de ses fils exposés aux murailles de Beth-Shéan, la grande ville voisine -1S 31, 1-10. Mais celui qui a ouvert la voie royale à David est presque oublié.

© MAB/CTS

Un autre épisode fameux, plus ancien, commémoré au Thabor est raconté dans le livre des Juges avec la saveur des épopées antiques. En ce temps-là, environ 150 ans avant la royauté israélite, la cohabitation avec les Cananéens est assez batailleuse et c’est dans la région galiléenne entre la plaine de Yizréel, où pointe le Thabor, et les hauteurs de Haçor, que va se dérouler un combat entre chefs de tribus rivales. Une femme de la région d’Éphraïm, la prêtresse Débora, désigne un membre du clan de Nephtali, Baraq, pour diriger les opérations en faveur d’Israël : “Le Seigneur Dieu d’Israël a ordonné : Va, marche vers le mont Thabor et prends avec toi 10 000 hommes des fils de Nephtali et de Zabulon”. Ce sont les familles installées au nord du territoire que vient de conquérir Israël. “Baraq descendit du mont Thabor avec 10 000 hommes derrière lui” et infligea aux ennemis une défaite cuisante -Jg 4, 4-16. Le chapitre 5 des Juges célèbre par un chant guerrier cette victoire du Seigneur et des tribus nordistes contre leurs oppresseurs. Une brève évocation se trouve dans le Ps 89, 13 : “À ton nom le Thabor et l’Hermon crient de joie !” ainsi qu’une mention en Dt 33, 18 : “Tu es heureux, Zabulon, en tes expéditions.” Le village arabe du bas de la montagne porte le nom de Dabbouryieh, rappelant l’audacieuse Débora.

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Le prophète du VIe siècle av. J.-C. Jérémie évoque aussi la montagne pour la guerre : “Nabuchodonosor va venir pareil au Thabor parmi les monts, au Carmel surplombant la mer” -Jr 46, 18. C’est là aussi que le combattant galiléen Flavius Josèphe, constatant la supériorité militaire des Romains, changea de camp pour rallier en 67 ap. J.-C. les troupes du général Placidius -Guerre II, 573 ; IV, 54-61. En 1799 enfin, Napoléon et son général Jean-Baptiste Kléber seront à cette même place victorieux d’un détachement turc.

“Et transfiguravit ante eos”, selon la formule en Mt 17, 2. Jésus encadré de Moïse portant les Tables de la Loi et Élie tenant un parchemin comme une parole prophétique apparaît resplendissant aux 3 apôtres interdits, Pierre et les deux frères Jean et Jacques. C’est le Fils désigné par le Père et par toute l’Écriture ancienne dont témoignera l’Écriture nouvelle. MAB/CTS

La montagne de la lumière

Cependant la raison qui incite aujourd’hui les pèlerins à monter au Thabor est un épisode glorieux de la vie de Jésus. Avant d’atteindre les 588m du sommet il faut suivre 4km d’une route refaite en 1996, toute en lacets que seules les voitures, et non les autocars, peuvent emprunter. Il est bon de lire à la première porte le texte que nous offrent les trois évangiles synoptiques ; on choisira Mt 16, 21-28, Mc 8, 31-38, ou Lc 9, 22-25 où Jésus annonce pour la première fois qu’il aura à vivre la Passion en Judée. Sitôt que Pierre a reconnu Jésus comme Messie d’Israël, celui-ci clôt son ministère galiléen et révèle ce qui adviendra à Jérusalem dont ils vont dès à présent tous prendre la direction.

Les derniers feux du jour éclairent la façade ouest de la basilique, ses trois “tentes” bien visibles. ©MAB/CTS

En cheminant dans la propriété des franciscains, on s’avance vers l’église où l’on pourra lire le récit même de la Transfiguration en Mt 17, 1-8, Mc 9, 1-8 ou encore Lc 9, 28-36 ; ce dernier est le seul qui précise le sujet de l’entretien entre Jésus et les deux personnages de l’Ancien Testament apparus à ses côtés : “Moïse et Élie parlaient de son exode qu’il allait accomplir à Jérusalem.”Ils sont les deux prophètes à avoir vu ou entendu Dieu sur une montagne. Outre cette grâce unique qui leur a été accordée, chacun représente les deux grandes parties de l’Ancien Testament : Moïse, qui selon la Tradition juive a rédigé entièrement la Torah, notre Pentateuque, est la figure de la Loi et Élie, comme premier grand prophète, celle de la deuxième partie du Livre, les Prophètes. L’expression “La Loi et les Prophètes” est bien connue pour désigner l’Écriture tout entière. Jésus l’a parfois utilisée : “N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes” -Mt 5, 17.

Ici ce sont leurs représentants qui entourent Jésus dans sa gloire, c’est-à-dire dans tout l’éclat de sa personne radieuse, et, tout en envisageant son départ pour la ville sainte, authentifient le chemin qu’il lui reste à parcourir et qui lui fera accomplir la volonté de Dieu.

Ici ce sont leurs représentants qui entourent Jésus dans sa gloire, c’est-à-dire dans tout l’éclat de sa personne radieuse, et, tout en envisageant son départ pour la ville sainte, authentifient le chemin qu’il lui reste à parcourir et qui lui fera accomplir la volonté de Dieu. Élie a “entendu” Dieu dans “une voix de fin silence” là où Dieu l’attendait au sommet de l’Horeb -1R 19, 9-14. Quant à Moïse, lui-même a été transfiguré. Ex 34, 29-35 décrit la peau de son visage qui rayonnait chaque fois qu’il rencontrait Dieu dans la tente du Rendez-vous au désert. Entendue par les trois apôtres montés avec Jésus, la voix du Père confirme : “Celui-ci est mon fils bien-aimé qui a toute ma faveur, écoutez-le” -Mt 17, 5. Depuis la nuée Dieu confirme à la fois ce que Simon-Pierre avait déclaré à Césarée de Philippe sur la personne du Christ -Mt 16, 17- et la décision de Jésus de se tourner vers Jérusalem. Il n’y a d’ailleurs plus qu’une seule chose à “écouter” de lui, la Passion envisagée.

La montagne des tentes

Il n’est pas neutre que des tentes soient suggérées par l’apôtre Pierre pour y prendre du repos. La tente c’est l’abri le plus précaire, c’est la seule protection dont disposent le pauvre ou le migrant, comme les Hébreux au désert conduits par Moïse, qui en avait aussi fait dresser une pour Dieu, prémices d’un véritable sanctuaire : “Je n’ai jamais habité de maison depuis le jour où je vous ai fait monter du pays d’Égypte jusqu’aujourd’hui, dit Dieu à David, mais j’étais en camp volant sous une tente ou un abri” -2S 7, 6. Pour commémorer cette fragilité vécue durant quarante ans, les juifs se bâtissent des tentes ou des petits toits de branchages durant la semaine de Souccot qui est fêtée au début de l’automne. Il est fort probable que, si l’idée vient à Simon-Pierre de “dresser trois tentes”, c’est justement parce qu’on est en cette saison où, dans tout le pays, chacun respecte la tradition et retrouve pour quelques instants la précarité de sa jeunesse.

Vue vers le nord-nord-est. Dominant la plaine on voit à gauche la ville “perchée sur un mont” de Safed, la hauteur caractéristique des Cornes de Hattin au pied desquelles la blanche ville de Tibériade plonge dans le Lac. Tout au nord l’Hermon enneigé. © Lior Carmon

Le mont Thabor est le lieu où tous ces textes vont résonner. Que l’on célèbre dans la basilique l’eucharistie, ou que l’on n’y entre seulement pour chanter (les Ps 98 et 99 par exemple) ou pour prier un moment, on profitera de la pinède pour une bonne heure de lecture. Tous ces récits sont fortement reliés entre eux, ce qu’ont vécu Moïse et Élie en leurs temps, ce dont ils ont témoigné de leur rencontre avec Dieu, trouve sa réalisation en Jésus, vrai Dieu, vrai homme, fermement décidé à manifester le Salut que le Père offre à toute l’humanité. Pour cela, les montagnes sont des sites de choix.

ARCHITECTURE

”Qui habitera sur ta sainte montagne ?” Ps 15, 1.

En 348, quand les pèlerinages en Palestine commencent à se développer, saint Cyrille, évêque de Jérusalem, décide que le Thabor sera vénéré comme lieu de la Transfiguration du Christ. Saint Jérôme, Origène, Eusèbe de Césarée, Épiphane en conviennent et dès le IVe siècle est édifiée sur le mont une église avec trois chapelles rappelant les trois tentes que Pierre souhaitait élever pour Jésus et ses prestigieux interlocuteurs ; au VIe siècle elle est reconstruite et mentionnée par le pèlerin de Plaisance en 570, Arculfe un siècle plus tard et Willibald en 723.

Les Croisés au XIIe siècle fortifient tout le plateau sommital avec une muraille munie de 12 tours, une porte d’entrée en ogive et construisent une abbaye bénédictine. Lors de sa première croisade le roi saint Louis y monta en 1254, 9 ans avant que le sultan Baïbars détruise tous les bâtiments chrétiens. Quand les franciscains s’installent en 1631 le site est partagé entre latins à l’ouest et grecs à l’est. L’église grecque-orthodoxe fut édifiée en 1867 sur les fondations de la première église du IVe siècle.

La basilique franciscaine, de style romano-syrien, a été construite en 1923 par l’architecte italien Barluzzi [Dossier sur Antonio Barluzzi dans TSM n° 672, pages 30 à 45]. De chaque côté de la nef deux bas-côtés se terminant en absides sont dédiés à Moïse et Élie. Pour atteindre le chœur entièrement orné de mosaïques très “art-déco” de Rodolfo Villani, où les groupes peuvent célébrer l’eucharistie, il faut descendre un escalier monumental, comme si l’on rejoignait une crypte, alors que c’est seulement un lieu où l’homme se tient “abaissé” invité à lever les yeux vers le ciel de la gloire.

Dernière mise à jour: 01/05/2024 12:14

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