Père Imad Twal (Fuheis): « Le cléricalisme est un problème en Jordanie »
Terre Sainte Magazine a dédié son numéro 681 aux chrétiens de Jordanie. Lors de ses cinq jours de reportage, la rédaction a rencontré les prêtres de 4 paroisses du nord de la Jordanie, ainsi que le nouvel évêque. Des discussions riches qui permettent de comprendre le contexte global dans lequel vivent ces chrétiens à la réalité si différente de ceux d’Israël et de la Palestine. L’entretien qui suit est extrait de l’interview réalisée avec le père Imad Twal, curé de la paroisse de Fuheis, à l’ouest d’Amman.
Terre Sainte Magazine : À quoi ressemble la paroisse de Fuheis ?
P. Imad Twal : C’est une des seules villes de Jordanie à n’être peuplée que de chrétiens. Les gens l’appellent le Vatican de la Jordanie. On compte 1 500 familles catholiques de rite latin. Il y a le double chez les grecs-orthodoxes, et il y aussi des melkites. On a trois écoles à la paroisse : la crèche, l’élémentaire et le secondaire, le tout accueillant plus de 1 300 enfants, tous chrétiens. C’est la seule école du Patriarcat latin à être 100% chrétienne. Il n’y pas assez de place. À Fuheis, les gens ne veulent pas vendre leur maison ou leur terrain à des musulmans.
A quoi ressemblent les relations entre chrétiens et musulmans ?
Ça dépend des villes. Les relations sociales sont généralement bonnes. Mais si les chrétiens disposent de la liberté de culte, ils n’ont pas la liberté de conscience. On ne peut pas convertir un musulman. On ne le cherche pas d’ailleurs. Les problème sont liés aux questions de l’héritage ou du mariage mixte.
C’est fréquent, les mariages mixtes ?
Il y en a. Ça se fait en secret. La culture bédouine, très traditionnelle, accepte mal les mariages mixtes. C’est mal vu socialement. Quand je fais des réunions avec les jeunes, je les avertis : “Ne pensez pas à vous marier avec un musulman ou une musulmane.” lls sont dans ce cas obligés de se convertir à l’Islam, les garçons notamment. Si on les encourage, on les pousse vers les problèmes.
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Avant, on pratiquait le crime d’honneur, aujourd’hui c’est plutôt l’exclusion de la communauté. Il n’y a pas de mariage civil en Jordanie. Donc les conversions ne se font pas dans une quête de la vérité, mais selon une logique pratique. Elles permettent aussi à l’homme de divorcer ou de recevoir un héritage.
Quelles sont les difficultés des chrétiens en Jordanie ?
L’éducation, d’abord. Beaucoup de gens cherchent à donner la meilleure éducation possible à leurs enfants. Pour accéder aux meilleures écoles, tenues par les congrégations religieuses, il faut débourser beaucoup d’argent. Les sœurs du Rosaire demandent par exemple 5 000 dinars Jordaniens par an et par enfants. Les franciscains, 3 000 dinars. Beaucoup de ministres Jordaniens, bien que musulmans, ont étudié dans ces écoles privées et très réputées. Chez nous, à l’école paroissiale, les frais de scolarité tournent autour de 600 dinars. Les chrétiens sont contre mettre leurs enfants dans les écoles du gouvernement, gratuites, parce qu’il n’y a pas de cours de religion. Je suis le seul prêtre de Jordanie à avoir proposé des classes de catéchisme le samedi aux enfants chrétiens qui n’avaient pas d’autre choix que ces écoles-là.
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L’autre défi, c’est d’avoir une bonne situation pour sa famille. En Palestine, l’Eglise mène de nombreux projets liés aux logements. Il n’y a rien de tel en Jordanie. Beaucoup de gens autour de 30-45 ans, ne sont pas mariés parce qu’ils ne gagnent pas suffisamment d’argent pour acheter une maison, gage de l’indépendance d’un couple.
La coexistence avec l’Islam est aussi une difficulté. Les problèmes sont liés à l’ignorance du christianisme chez les musulmans. Au moment de la mort de Shireen Abu Akleh, si vous saviez comment ils ont écrit contre elle, en disant qu’elle ne pouvait pas être considérée comme une martyre parce qu’elle était chrétienne…
À Jérusalem, beaucoup de fidèles dénoncent l’écart qui s’est creusé avec le clergé. Est-ce quelque chose que vous constatez en Jordanie ?
Oui. Le cléricalisme est un problème en Jordanie. Le curé reste à l’initiative de beaucoup de choses. Je lutte contre ça. Le prêtre, ici, a le même statut qu’avant le Concile Vatican II. Il y a beaucoup de changements qui n’ont pas fait leur chemin jusqu’ici. Si quelqu’un cherche du travail, il vient chez le curé. Si quelqu’un a besoin d’aide scolaire pour ses enfants, il vient chez le curé. Si un couple a des problèmes, il vient chez le curé. Le prêtre doit tout faire ! Ça se ressent dans la vie de la paroisse. Si le prêtre n’est pas actif, il ne se passe rien. J’essaye de changer cette mentalité.
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L’Eglise doit notamment renouveler sa manière de prêcher, de faire des homélies. Certains prêtres se contentent des fidèles qu’ils ont dans leurs églises. Mais notre rôle, c’est d’arriver à parler à ceux qui sont à la marge. Il faut qu’on arrive à atteindre les jeunes adultes, les jeunes couples, ceux qui travaillent. Ce sont eux qui sont à la marge. Pour les chrétiens arabes, l’église est souvent plus un lieu social que personnel. Malheureusement. À Fuheis, en juillet et en août, l’église est remplie de tous les Américains qui viennent passer leurs vacances en Jordanie : ils cherchent des filles pour leurs garçons.