Quatre mois d’attente pour pas grand-chose. L’armée israélienne a reconnu pour la première fois lundi 5 septembre, « une forte possibilité » d’avoir tué « accidentellement » le 11 mai dernier Shireen Abu Akleh.
Selon une enquête militaire dont s’est fait l’écho l’AFP, la journaliste palestinienne de 51 ans, correspondante pour la chaîne de télévision arabe Al Jazeera, portant un gilet pare-balles avec la mention « presse » et un casque, n’aurait pas été intentionnellement ciblée par l’armée israélienne et aurait été mal identifiée en tant que journaliste. Dans ses conclusions, l’enquête soutient qu’un soldat de Tsahal visait « des suspects identifiés comme des hommes armés palestiniens » et qu’il a pu très probablement tuer par erreur la journaliste d’une balle dans la tête.
Shireen Abu Akleh était alors en reportage, lors d’une opération militaire israélienne, dans le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie occupée.
Tsahal n’ouvrira pas d’enquête pénale
Pour son enquête, l’armée israélienne a signalé – détaille l’AFP – avoir étudié « chronologiquement » les circonstances de la mort de la journaliste à l’aide de tout ce que l’armée avait à sa disposition (enregistrements audio et vidéo, analyse des lieux, reconstitution de la scène, etc…) et avoir effectué une analyse balistique. Mais à cause du « piètre état de la balle », Tashal a expliqué ne pas avoir la certitude « sans équivoque » de l’origine du tir fatal qui a coûté la vie à la journaliste.
Au regard de l’enquête, le bureau de l’avocat général de l’armée israélienne a déclaré qu’il « n’y avait pas de soupçon d’un acte criminel » qui justifierait l’ouverture d’une enquête pénale par la police militaire ce qui signifie qu’il n’y aura ni poursuite judiciaire ni sanction à l’encontre du soldat israélien, auteur du tir, ni de sa hiérarchie. Autrement dit, pour Tsahal, le sujet est clos.
La levée de boucliers ne s’est toutefois pas fait attendre de la part de ceux qui considèrent l’aveu de Tsahal comme plus que timide, partiel et surtout sans responsabilité assumée. Le chef du bureau d’Al Jazeera à Jérusalem, Walid Al-Omari, a ainsi – via une déclaration auprès de l’Associated Press – accusé l’armée d’essayer d’échapper à ses responsabilités.
La famille de Shireen Abu Akleh rejette les conclusions israéliennes
Dans un communiqué diffusé dans la foulée du rapport d’enquête israélien, la famille de Shireen Abu Akleh a elle aussi rejeté les conclusions de Tsahal qui n’apportent rien de neuf à ses yeux. « Nous savons depuis plus de quatre mois maintenant qu’un soldat israélien a tiré sur Shireen et l’a tuée, comme l’ont conclu d’innombrables enquêtes menées par CNN, l’Associated Press, le New York Times, Al Jazeera, Al-Haq [une organisation palestinienne indépendante de défense des droits de l’homme] B’tselem [un groupe israélien de défense des droits de l’homme, ndlr], les Nations unies et d’autres », a-t-elle déclaré. Plusieurs témoins, vidéos, enquêtes de médias, n’indiquent pas que des hommes palestiniens armés se tenaient près de Shireen Abu Akleh et qu’ils tiraient en direction d’un véhicule blindé israélien…
Pour la famille de la journaliste, Israël a « tenté de dissimuler la vérité et d’éviter la responsabilité du meurtre de Shireen Abu Akleh ». La famille, grecque-catholique de Jérusalem, ne s’est pas dit « surprise » par les résultats de l’enquête puisque selon elle « il est évident pour tout un chacun que les criminels de guerre israéliens ne peuvent pas enquêter sur leurs propres crimes. Cependant, nous restons profondément blessés, frustrés et déçus ». Dans son communiqué, la famille a aussi déclaré qu’elle continuerait à demander au gouvernement américain de diligenter une enquête « approfondie, indépendante et crédible » ce qui est selon elle « le strict minimum que le gouvernement américain devrait faire pour l’un de ses propres citoyens ». Pour mémoire, Shireen Abu Akleh avait aussi la nationalité américaine. La famille a aussi réclamé une enquête et un jugement de la Cour pénale internationale (CPI).
Rendre des comptes
Dans un communiqué, le porte-parole du département d’Etat américain, Ned Price a salué l’enquête militaire menée par Israël mais a souligné « à nouveau l’importance de rendre des comptes dans cette affaire ».
Nabil Abou Roudeina, porte-parole du président de l’Autorité palestinienne, cité par l’agence de presse palestinienne Wafa a quant à lui déclaré que « toutes les preuves, les faits et les enquêtes qui ont été menés ont prouvé qu’Israël était l’auteur et qu’il avait tué Shireen et qu’il devrait assumer la responsabilité de son crime ». Il a par ailleurs déclaré que les dirigeants palestiniens continueront de « suivre » les « organes internationaux compétents », y compris la Cour pénale internationale, sur tous les dossiers liés au meurtre de la journaliste. Israël ne sera pas autorisé à « échapper à la punition », a ajouté l’homme politique.
Le groupe israélien de défense des droits de l’homme, B’tselem, a déclaré que le meurtre de Shireen Abu Akleh faisait partie de la « politique scandaleuse du feu à ciel ouvert » d’Israël. « Une énorme pression publique et internationale a été nécessaire pour qu’Israël fasse un vague aveu selon lequel l’un de ses soldats avait tué la journaliste Shireen Abu Akleh, tout en se dégageant de toute responsabilité dans sa mort », peut-on lire sur son compte Twitter. « Cette politique fait de plus en plus de victimes alors que le badigeonnage se poursuit sans être dérangé ».
En réponse à l’enquête israélienne, Sherif Mansour, coordinateur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord du Comité pour la protection des journalistes (CPJ), a fait la déclaration suivante : « L’aveu de culpabilité des Forces de défense israéliennes est tardif et incomplet. Ils n’ont fourni aucun nom pour le meurtrier de Shireen Abu Akleh ni aucune autre information que son propre témoignage selon lequel le meurtre était une erreur ». Et d’ajouter que « cela ne fournit pas les réponses – par quelque mesure de transparence ou de responsabilité – que sa famille et ses collègues méritent ».
Zehava Galon, chef du Meretz – un parti israélien de gauche – a également réagi à l’annonce de l’armée : « assumer la responsabilité est une position morale et de valeur – et c’est notre devoir de le maintenir ».