Il s’appelle Thierry Grégor et il a une bouille. Moustaches gauloises poivre et sel, lunettes rondes bleues, visage rieur. Il s’adresse aux membres du colloque sur “Les Signes graphiques de l’église de la Nativité de Bethléem au Moyen Âge” qui s’est tenu cet été à Jérusalem.
Il leur a apporté quelques pavés de densité variable et quelques instruments. Sous le coup de l’instrument, chaque pavé sonne différemment. Les historiens n’ont plus qu’à s’exercer à graver une lettre. Une seule, et une facile avec ça. Un A majuscule actuel. Il sourit avec tendresse et amusement. La démonstration est faite. Il n’y a pas d’inscription gravée dans la pierre qui n’ait demandé du temps, qui ait été silencieuse, qui soit en somme passée inaperçue.
Il n’y a pas d’inscription gravée dans la pierre qui n’ait demandé du temps, qui ait été silencieuse, qui soit en somme passée inaperçue.
On écouterait des heures parler ce maître en taille de pierre et maçonnerie, qui a étudié “la posture du corps dans le chantier médiéval” et rédige actuellement une thèse sur “Les inscriptions lapidaires antiques et médiévales : vers une approche technique de leur réalisation”.
C’est en l’écoutant et en suivant Clément Dussart à la recherche de nouveaux graffiti que l’épigraphie est comme sortie des livres. Le travail que font ces hommes et ces femmes n’est pas celui de quelques latinistes distingués capables de lire des abréviations dont le sens échappe au commun des mortels. Ni celui de spécialistes de l’ancien français ou des langues d’oc ou d’oil qui voudraient nous en remettre.
Ils ont des compétences et continuent d’en acquérir pour faire revivre des hommes, des histoires, des lignées.
Clément Dussart, en photo à plusieurs reprises dans ce dossier, est un baroudeur des graffiti et inscriptions. Comme sa thèse en cours s’intitule “écrire dans les lieux saints : graffiti latins et pèlerinage en Palestine (XIe-XVIe siècles)”, on le retrouve ici ou là, toujours muni de sa précieuse lampe électrique. Il s’amuse à peu près autant qu’il travaille. Sous son air juvénile, ce chargé de cours à l’Université de Poitiers a des connaissances encyclopédiques sur les pèlerinages à l’époque médiévale et au-delà. Sa solide formation à l’école des Chartes.
Derrière le geste du pèlerin, il cherche l’intention. Car Clément Dussart n’utilise l’expression de graffiti que par facilité d’usage. Il cherche à établir le lien entre le vestige matériel et les usages de l’époque notamment les manifestations de piété des pèlerins, comme si le graffiti – et encore les rares parvenus jusqu’à nous – n’était en fait qu’un message laissé entre les lignes d’une histoire humaine et spirituelle plus riche et qui reste largement à découvrir.
Alors il cherche et s’amuse, en multipliant les témoignages, de pouvoir contempler les différentes pièces d’un puzzle dont l’image lui échappe encore.
Et en le suivant, on découvre combien nos pas s’inscrivent dans ceux des pèlerins qui nous ont précédés et dont les noms gravés sur la pierre ont installé leur présence dans les lieux saints qu’ils ont visités. Qui sait si en secret, on ne les jalouserait pas d’avoir pu le faire…
Dernière mise à jour: 20/05/2024 09:39