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Social et politique en Terre Sainte : la grande inquiétude des Eglises catholiques

Christophe Lafontaine
13 décembre 2022
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Mgr Yousef Matta, évêque grec catholique de Saint-Jean d’Acre, membre de l’Assemblée des Ordinaires Catholiques de Terre Sainte, au milieu de sa communauté à Haïfa en Israël, à l’occasion du dimanche des Rameaux 2022. © Shir Torem/Flash90

Gouvernement israélien. Détérioration sécuritaire en Israël et dans les Territoires palestiniens. Crise financière des écoles chrétiennes. Colonisation. Pour les Eglises catholiques de Terre Sainte, l’heure est grave.


C’est avec une rare fermeté que l’Assemblée des Ordinaires catholiques de Terre Sainte (AOCTS) s’est exprimée dans une longue déclaration (lien vers le texte intégrale en anglais) sur « la détérioration continue de la situation sociale et politique générale en Terre Sainte ».

D’abord, Benjamin Netanyahu, sorti vainqueur des dernières législatives en Israël est sur le point de boucler la formation d’un nouveau gouvernement – le cinquième en moins de quatre ans -, qui promet d’être le plus à droite de toute l’histoire du pays avec de futurs ministres issus de l’extrême-droite ouvertement nationalistes, colonialistes et défenseurs d’un Etat d’Israël qui soit uniquement pour les Juifs.

Même s’ils ont dit espérer que gouvernement apporte « la stabilité politique », les évêques et vicaires épiscopaux catholiques de rites latins et orientaux en Terre Sainte n’ont pas hésité à dénoncer dans un communiqué publié hier « certaines déclarations » qu’ils considèrent comme « très clivantes envers la communauté arabe [ndlr : les descendants des Palestiniens restés sur leurs terres à la création d’Israël en 1948] ou autre communauté non juive » et qui émanent de membres faisant partie de la coalition gouvernementale.

Haro sur « les discriminations ou les préférences »

Condamnant toutes « les discriminations ou les préférences » qui peuvent résulter de telles positions, les membres de l’AOCTS redoutent que cela ajoute de la violence à la violence : « la violence langagière se transforme inévitablement, tôt ou tard, aussi en violence physique ». Ainsi, les Ordinaires disent espérer – il faut le lire comme un appel clair et direct, que « sous ce gouvernement, l’attention des autorités civiles du pays sera portée équitablement vers les différentes communautés qui composent la société israélienne ». Ils avaient déjà exprimé un tel vœu après le vote de la loi l’Etat-nation juif en 2018.

On se souvient que l’AOCTS avait en effet demandé l’abrogation de ce texte qui prône notamment l’exclusivité du droit à l’autodétermination aux citoyens juifs, l’exclusivité juive de Jérusalem et la colonisation de la Cisjordanie. « Les chrétiens, les musulmans, les druzes, les baha’is et les juifs exigent d’être traités comme des citoyens égaux » en Israël, avait alors déclaré l’assemblée des représentants catholiques. Réclamant une égalité qui devrait « inclure la reconnaissance respectueuse de [leurs] identités civique (israélienne), ethnique (arabe palestinienne) et religieuse (chrétienne), en tant qu’individus et en tant que communautés ».

Les Ordinaires catholiques ont par ailleurs dit s’inquiéter des réalités sociales difficiles et précaires des familles de travailleurs étrangers et demandeurs d’asile en Israël. Cette population d’origine philippine, srilankaise, indienne est majoritairement chrétienne et nombre de fidèles ont rejoint les rangs des communautés catholiques en Israël. L’AOCTS, dans sa déclaration, signale que beaucoup d’entre eux « vivent dans une sorte de vide juridique, sans garanties adéquates et sans perspectives claires pour leur avenir ». Une autre pierre jetée dans le jardin du prochain gouvernement.

« Eduquer nos enfants est le plus urgent de tous les efforts »

Aussi, dans leur déclaration commune, les Ordinaires catholiques, se disent particulièrement préoccupés par « la violence », la « criminalité généralisée » et « le manque de sécurité » au sein de la communauté arabe en Israël. « Celles-ci fragilisent de plus en plus la vie des familles », déplorent-ils en appelant le gouvernement israélien à accorder plus d’attention aux communautés arabes et de mieux et davantage s’occuper des villes arabes en Israël.

Face à cela, « éduquer nos enfants est le plus urgent de tous les efforts », lancent-ils à l’unisson. « L’éducation, tant dans les milieux juifs qu’arabes, requiert plus d’attention de la part des autorités », signent-ils. Car, « l’avenir de nos collectivités dépend de la façon dont nous investissons maintenant dans la formation et l’éducation », énoncent-ils. Un refrain plusieurs fois répété notamment à la suite de nombreux gestes anti-chrétiens qui ont émaillé l’actualité ces dernières années.

A ce titre, les représentants catholiques en Terre Sainte rappellent le « rôle important » dans l’éducation que jouent les établissements chrétiens en Israël (ouverts à toutes les confessions) sans compter les bons résultats scolaires dont ils peuvent largement se vanter. Or, les Ordinaires s’alarment des « récentes compressions budgétaires du gouvernement » qui mettent en péril ces écoles. Cela ne date pas d’hier. Les écoles chrétiennes – près de 65 en Israël pour 40 000 élèves -, subventionnées par le gouvernement israélien, ont cependant vu au cours des dix dernières années, sous les différents gouvernements, une réduction drastique des dotations publiques. Selon Vatican News, elles ne toucheraient aujourd’hui plus que le tiers des fonds mis auparavant à leur disposition.

« Personne ne devrait mourir parce qu’il est juif ou parce qu’il est arabe. »

Naturellement, la situation palestinienne et l’actualité dans les territoires occupés tiennent une large part dans la déclaration des Ordinaires qui font remarquer que là, « la situation se détériore progressivement et rapidement » avec une aggravation de la violence entre l’armée israélienne et les Palestiniens dans le nord de la Cisjordanie. Les chiffres en témoignent. « Cette année, nous avons assisté à une recrudescence de la violence, avec le plus grand nombre de victimes palestiniennes depuis plus de vingt ans », soulignent-ils. Rien que depuis le printemps de cette année, plus de 2 000 raids israéliens en territoire palestinien ont causé la mort de 125 Palestiniens. Selon l’Onu, il s’agit du bilan le plus lourd depuis sept ans.

Les Ordinaires alertent aussi sur le fait que « la violence des colons dans les colonies » est en augmentation, toute comme la colonisation qui réduit d’autant plus « la surface habitable disponible » des Palestiniens. « Nous assistons également à des attaques contre la population juive », ne manquent-ils pas d’écrire aussi en rappelant que « la violence n’est jamais justifiée et doit toujours être condamnée, d’où qu’elle vienne. Personne ne devrait mourir parce qu’il est juif ou parce qu’il est arabe. »

Et les Eglises catholiques de Terre Sainte de lancer un appel ému notamment aux responsables politiques et religieux de toutes les confessions à « promouvoir le respect mutuel, et non la division ou les sentiments de haine » auprès des populations tant israéliennes que palestiniennes.

Trois appels pour les Palestiniens

A noter que l’AOCTS dénonce aussi dans sa déclaration les arrestations et les détentions de plusieurs mineurs palestiniens, notamment à Jérusalem-Est. Ce qui, selon les Ordinaires catholiques, « ne devrait jamais être la norme dans un pays démocratique. Tout le monde, en particulier les jeunes, a le droit de vivre en paix et en sécurité, de se construire un avenir meilleur et d’être traité avec justice et dignité. La vie humaine et les droits de l’Homme doivent être respectés ».

Au final, ce sont autant de propos qui ne sont pas sans faire échos à ceux du Pape François tenus il y a deux semaines à Rome et que les Ordinaires ont repris à leur compte dans leur communiqué.  « J’espère, avait alors déclaré le souverain pontife, que les autorités israéliennes et palestiniennes prendront plus volontiers à cœur la recherche du dialogue, la construction de la confiance mutuelle, sans laquelle il n’y aura jamais de solution pacifique en Terre Sainte ».

Mais pour l’heure, face à la situation, les membres de l’AOCTS regrettent « l’absence d’un véritable processus de paix, fondé sur le droit international ».  Ils appellent instamment à ce que les Palestiniens se voient garantir « la dignité et la liberté sur leur terre », à ce qu’ « une solution stable et juste soit accordée aux cinq millions de Palestiniens vivant dans les territoires occupés, et à ce que « toutes les communautés nationales de Terre Sainte aient les mêmes droits ».

Malgré tout, des signes d’espoir

Le tableau noir dépeint par les Ordinaires catholiques de Terre Sainte laisse cependant émerger des lueurs d’espoir. Après les mesures restrictives liées à la pandémie de COVID-19 ces deux-trois dernières années, les pèlerins sont de retour et leur venue « donne ainsi le sourire à de nombreuses familles, pas seulement chrétiennes, qui ont pu reprendre leur travail », se réjouissent les membres de l’AOCTS. « Cet afflux de pèlerins apporte non seulement une prospérité matérielle mais aussi une plus grande conscience et une plus grande attention à la Terre Sainte et nous fait sentir que nous ne sommes pas oubliés », renchérissent-ils.

Par ailleurs, ils se sont attachés à saluer les « nombreuses personnes, associations et mouvements locaux, d’origines nationales et religieuses différentes » qui continuent de « construire l’amitié et la solidarité dans ce contexte de division » qui règne en Terre Sainte. Autant de « puissants anticorps dans notre société », concluent-ils.

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