Le moment est historique. L’imposition des mains prend fin et le cercle formé par le clergé luthérien s’ouvre sur celle qui est désormais la première femme pasteur palestinienne de Jordanie et de Terre Sainte. Sally Azar a le visage rayonnant et les yeux brillants d’émotion, alors que la foule venue célébrer son ordination remplit l’église luthérienne du Rédempteur d’applaudissements nourris et de youyou chaleureux.
Née à Jérusalem, la palestinienne de 26 ans a été ordonnée par l’évêque Sani Ibrahim Azar, qui est également son père. Elle a complété sa formation par une licence en théologie obtenu à la Near East School of Theology de Beirut au Liban et un master de théologie avancée en Allemagne. En mai 2017, elle a été élue représentante des jeunes au conseil de la Fédération luthérienne mondiale (FLM).
« Me tenir ici devant vous, c’est un sentiment indescriptible, a-t-elle lancée dans un discours emprunt d’émotion. Le chemin a été long et pavé d’incertitudes. J’ai été nourrie des sermons de mon père. Je me souviens de trajets en voiture où il me demandait si j’étais sûre de vouloir étudier la théologie. Je l’ai toujours voulu, alors je l’ai fait. Et le reste, c’est pour l’histoire. »
Georgette, une de ses amies d’enfance, se faufile au premier rang pour prendre discrètement une photo. « Quand elle était petite, elle aidait toujours son père à l’église. Tout le monde disait qu’elle deviendrait pasteur. Je suis si fière d’elle ! »
« Un autre niveau de défi »
Les Eglises issues de la Réforme sont historiquement plus ouvertes aux femmes. Depuis le XXe siècle, elles ont accès aux charges de pasteur, mais aussi d’évêque. Une ouverture qui est cependant longtemps restée réservée aux pays occidentaux. L’Eglise luthérienne de Terre Sainte a accepté les ordinations de femme lors d’un synode il y a près de 17 ans. « Je n’ai jamais pensé que je serais la première femme ordonnée pasteur ici, car j’ai toujours cru que d’autres femmes étudieraient la théologie avant moi », témoigne Sally Azar.
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« Devenir pasteur vient toujours avec des responsabilités. Mais être une jeune femme pasteur au Moyen-Orient, c’est un autre niveau de défi », a souligné le représentant du Conseil des Eglises du Moyen-Orient lors d’une petite allocution au début du service.
Elles sont seulement quatre à exercer cette fonction dans le monde arabe. La première ordination, celle du révérend Rola Adel Sleiman au Liban, remonte à 2017. Elle a été suivie par celle du révérend Najla abu Sawad Kassam la même année, puis l’année suivante par celle du révérend Dr. Rima Nassralah. En 2022, c’est la Syrie qui est entrée dans l’histoire, avec l’ordination du révérend Mathilde Sabbagh.
« La Terre Sainte est encore très conservatrice sur le sujet. Les Eglises orientales ne voient pas l’ordination des femmes d’un très bon œil », glisse le père Nikodemus Schnabel, vicaire patriarcal auprès des migrants et des demandeurs d’asile, qui représentait le Patriarcat Latin de Jérusalem à l’ordination. Les sièges autour de lui, réservés aux représentants des autres Eglises, sont vides.
« L’important ce n’est pas qu’elle soit un homme, c’est qu’elle soit Sally »
Sally Azar dirigera la communauté anglophone de l’église du Rédempteur, dans la vieille ville de Jérusalem. Quel accueil lui sera réservé ? « Tout ce qui est nouveau est un défi : une période d’adaptation va être nécessaire, réagit Daoud Nassar, l’un des 2 500 membres de la communauté luthérienne de Terre Sainte, qui a pu venir de Bethléem pour l’occasion. On sait que les hommes et les femmes sont égaux, mais c’est la culture arabe ici. »
Pour montrer leur soutien à cette ordination historique, le clergé luthérien s’est déplacé en masse : une centaine de pasteurs, évêques, archevêques, venus de tout l’Occident. L’évêque national de l’Eglise évangélique luthérienne du Canada, Rev. Susan Johnson bat la cadence du pied alors que les scouts de Beit Sahour enchaînent les morceaux.
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« Les femmes ont quelque chose à apporter à l’Eglise, une autre lecture, plus proche du cœur. Et puis les femmes vont plus à la messe que les hommes, c’est important qu’elles se sentent représentées, qu’elles puissent avoir quelqu’un qui leur parle », expose celle qui a été la première femme a recevoir la charge épiscopale dans son pays. « On apprend à gérer la pression et les rejets. L’important ce n’est pas qu’elle soit un homme, c’est qu’elle soit Sally. Et connaissant son tempérament, je ne me fais pas de soucis. »
D’autres femmes suivront-elles le chemin initié par Sally Azar ? Dans l’assistance, Marah, une jeune chrétienne originaire de Nazareth essuie des larmes d’émotion après le rituel de l’imposition des mains. Cela fait un moment qu’elle réfléchit à choisir cette voie, à se lancer pleinement dans des études de théologie à l’étranger pour devenir pasteur. Est-ce qu’elle s’y projette un peu plus ? « Oui. »♦
Parcours international
Née à Jérusalem en 1996, Sally Azar est la cadette d’une fratrie de trois filles. Elevée par un père pasteur luthérien qui l’a toujours encouragée à “suivre son cœur”, Sally s’est lancée dans des études de théologie, à la Near-East School of Theology de Beyrouth au Liban d’abord, puis à l’Université de Göttingen en Allemagne.