Sous le jardin des Grecs-Orthodoxes, la piscine de Siloé dans le viseur des colons
Le terrain est désormais grillagé et entouré de larges banderoles estampillées : « Site des fouilles de la piscine de Siloé ». Deux gardes d’une entreprise de sécurité privée, chargée de la protection des colons du quartier de Silwan, surveillent les alentours du site du coin de l’oeil, bien que le calme soit revenu depuis mardi dernier.
Ce 27 décembre au matin, des colons de l’organisation Elad accompagnés d’un détachement lourdement armé de la police israélienne des frontières, ont pris possession du terrain attenant au site de la piscine de Siloé, au sud-est des remparts de Jérusalem, dans le quartier palestinien de Wadi Hilwe, à Silwan.
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Le terrain en question (les parcelles 46 et 47 du bloc 30125) appartient au patriarcat Grec-orthodoxe. Il était loué depuis les années 1930 à la famille Sumrin, qui s’occupait de le cultiver. Celle-ci est allée porter plainte au tribunal, soutenue par le Patriarcat Grec-Orthodoxe, qui a condamné l’opération israélienne et les « pratiques expansionnistes » des groupes juifs radicaux qui sont « délibérément dirigées contre les églises chrétiennes de Jérusalem ».
Cette opération a coïncidé avec la publication d’un communiqué dans lequel la Fondation Ir David, l’Autorité de la nature et des parcs, et l’Autorité des antiquités d’Israël, ont annoncé le début de fouilles pour mettre au jour la piscine de Siloé dans son intégralité, afin de la rendre accessible au public.
« Politisation de l’archéologie »
Depuis 2004, date de sa découverte à la faveur de travaux de canalisation, seul un des côtés de la piscine a en effet été dégagé. Le reste de sa superficie, estimé à 3 Dunams (3000 m2) se trouve sous le terrain des Grecs-orthodoxes. « Cette prise de contrôle est une démonstration supplémentaire qu’à Silwan, les colons et le gouvernement d’Israël ne font qu’un », estime Daniel Seidemann, un avocat israélien fondateur de l’ONG Terrestrial Jerusalem.
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La Fondation Ir David, aussi connue sous le nom d’Elad, a pour objectif affiché de « renforcer le lien juif avec Jérusalem », en « logeant des familles juives dans la Cité de David », selon les termes de son fondateur David Be’eri lors d’une audition au tribunal. Riche et influente, la fondation rachète des biens palestiniens à Silwan en profitant de la pauvreté des propriétaires ou bien de la loi de la propriété des absents.
« Il ne s’agit pas d’un acte isolé mais d’un encerclement systématique de la vieille ville par les initiatives des colons, ainsi que de la politisation de l’archéologie comme mécanisme de saisie et de contrôle des terres dans le bassin de la vieille ville », dénonce Emek Shaveh, une ONG israélienne fondée en 2009 par des archéologues et des militants en réponse à la politisation de l’archéologie du pays.
Repères historiques. Construite sous le règne du roi Ézéchias au VIIIe siècle avant notre ère, la piscine de Siloé a d’abord servi de réservoir aux eaux de la source de Gihon, détournées par un tunnel d’eau souterrain. En raison de son emplacement et de son importance, la piscine de Siloé a été rénovée et agrandie il y a environ 2 000 ans. À la fin de la période du Second Temple, la piscine a pu être utilisée comme bain rituel (« mikveh ») par des millions de pèlerins qui montaient alors de Siloé jusqu’au Temple, en passant à travers la Cité de David. L’Évangile de Jean raconte que c’est à cet endroit que Jésus rend la vue à un aveugle de naissance.
Si le Patriarcat Grec-Orthodoxe affirme dans son communiqué que le groupe de juifs radicaux « n’a aucun droit ni aucun soutien judiciaire en sa faveur pour lui permettre d’entrer ou d’occuper les terres », la situation est plus compliquée et s’entremêle avec une affaire plus ancienne.
Un lien avec la vente contestée des hôtels de Jaffa
Dans une lettre envoyée le 13 novembre 2022 à la famille Sumrin, on apprend que la société Donhead Service S.A, une entreprise basée aux Îles Vierges Britanniques dont le lien avec l’organisation juive radicale Ateret Cohanim a été révélé par les Pandora Papers en 2021, réclame la propriété des parcelles 46 et 47. L’avocat de Donhead Services y explique que son client « a reçu toutes les approbations et les permis nécessaires pour commencer immédiatement des fouilles archéologiques sur la propriété », et demande aux locataires de quitter les terres avant le 30 novembre.
Un document (voir ci-dessous) que s’est procuré Daniel Seidemann, affirme que ce terrain fait en fait partie des biens cédés en 2004 par l’Eglise Grecque-Orthodoxe à Ateret Cohanim. Le Patriarcat a toujours contesté la légalité de la vente, qui a fait scandale chez les chrétiens locaux, dénonçant des actes de fraude et de corruption. Des pratiques pour lesquelles l’organisation juive a été pointée du doigt dans d’autres affaires.
Le 8 juin dernier, après 18 ans d’une complexe bataille judiciaire, la Cour Suprême a officiellement acté la transaction, faisant d’Ateret Cohanim le propriétaire de trois hôtels à porte de Jaffa, et d’un autre bâtiment du quartier chrétien de Jérusalem. « Mais la question de la propriété de ces parcelles n’a jamais été abordée », pointe Daniel Seidemann.
Des points d’interrogation
Le document, que l’avocat israélien a publié sur son compte Twitter, correspondent au bail signé le 31 août 2004 entre le Patriarche Irénée 1er, et Donhead Services S.A. « Dans ce prétendu accord, l’Église louait les terrains aux colons pour 99 ans et s’engageait à prendre des mesures pour expulser les résidents palestiniens sur instruction des colons », détaille Daniel Seidemann.
Les parcelles sont dans le viseur des autorités israéliennes depuis au moins 2008, date à laquelle la municipalité a tenté une première fois de les récupérer, rappelle le Patriarcat Grec-Orthodoxe de Jérusalem dans son communiqué. Lors de la procédure judiciaire qui a suivie, l’Eglise s’est retrouvée face aux documents liant le terrain aux accords de 2004, brandis par « une organisation radicale israélienne ». Une « surprise », écrit le Patriarcat, qui semble étonné de l’existence de ces documents.
Toujours est-il que, pour Daniel Seidemann, l’opération du 27 décembre soulève de nombreuses questions sur le plan juridique. « Pourquoi les colons ont-ils attendu 18 ans ? L’arrêt de la Cour Suprême transférant la propriété des hôtels aux colons va-t-il aussi s’appliquer à ce terrain ? Quels sont les droits de la famille Sumrin et de l’Eglise Grecque-Orthodoxe ? ». Autant de points d’interrogation qui restent pour le moment sans réponse.