Au matin de Pâques Jésus a cette phrase pleine de délicatesse pour annoncer l’inouï, l’incroyable et qui sera l’absolu fondement de la foi, la Résurrection du Christ : “Ne craignez point, dit-il aux femmes venues au tombeau de bon matin, allez annoncer à mes frères qu’ils doivent partir pour la Galilée, et là, ils me verront” -Mt 28, 10.
D’abord il s’agit pour Jésus de lever la crainte, comme on le voit dans quelques pages bibliques lorsqu’un prophète ou un homme du peuple sait se trouver en présence de Dieu. À Jérémie, prophète devant les princes et les nations : Jr 1, 8 “N’aie aucune crainte en la présence de ceux vers qui je t’enverrai, car je suis avec toi”. Au juge Gédéon : Jg 6, 23 “Que la paix soit avec toi, ne crains rien, tu ne mourras pas !”
À l’auteur de l’Apocalypse : Ap 1, 17 “Ne crains pas, je suis le premier et le dernier”. Les femmes, accourues au tombeau dès le point du jour après le repos du sabbat de Pâque, sont témoins d’un tremblement de terre, puis d’une apparition d’ange qui, lui déjà, les rassure, elles en ont bien besoin ! “Ne craignez point” -Mt 28, 5. La joie aussitôt les habite et “elles vont porter la nouvelle aux disciples”. Qui sont appelés par Jésus “mes frères”. Les voilà, ceux qui ont lâché le maître, qui l’ont trahi, qui ont fui lorsqu’il a été arrêté à Gethsémani, qui n’ont pas pu se reconnaître publiquement comme un des siens, ni se tenir au pied de la Croix… ils sont ses frères pardonnés, réintégrés dans la plus belle des communautés, la fraternité.
Pour eux, avant de le voir vivant, selon le récit propre à Matthieu, il leur faut quitter la ville de Jérusalem et retourner à leur point de départ, la Galilée.
Jérusalem où s’exacerbent les passions politiques et religieuses, où les grands prêtres font leur loi, où l’occupant romain dispose et abuse de son pouvoir, n’est pas une ville facile à vivre et, surtout, elle ne leur est pas familière ; ils y sont repérés comme étrangers, à leur accent du nord ; ils n’en connaissent pas les manières. Ils sont restés des pêcheurs des rives de Gennésareth et c’est là que Jésus veut les retrouver, car c’est là qu’ils se sont rencontrés. La Galilée est non seulement leur patrie d’origine, mais aussi le lieu de leur appel et de leur formation spirituelle et missionnaire à l’écoute de Jésus. Dans les villages ils l’ont vu guérir quantité de personnes atteintes de tous les maux ; dans les synagogues ils l’ont entendu commenter la Parole de Dieu et souvent tenir tête aux scribes et aux savants ; dans la campagne ils l’ont vu prier et ils ont appris sa prière ; à Capharnaüm ils ont reçu ses explications des paraboles si originales et difficiles à interpréter ; dans leurs maisons ils ont mangé avec lui ; depuis leurs propres barques ils ont remonté des pêches abondantes, et ont été témoins de tempêtes apaisées et même d’un tracé fantastique de ses pas sur l’eau du lac. De semaines en semaines ils s’attachaient à lui, tout en se demandant qui il pouvait bien être au fond. Il ne semblait pas correspondre aux images de Messie que décrivaient les pharisiens. Il connaissait les Écritures mieux que personne, mais il ne disputait pas comme les docteurs. Il était proche de ce Jean qui les avait plongés dans l’eau du Jourdain, du moins certains, mais il ne vivait pas retiré au désert comme lui, à se nourrir de sauterelles et de miel sauvage. Il était respectueux de toute la Loi, mais il n’avait aucune réticence à manger avec des pécheurs, rencontrer des femmes, converser avec des païens et des publicains ou même toucher des lépreux.
Et à la fin, dans cette ville “qui tue les prophètes”, il n’a jamais usé de la force pour affirmer sa royauté et défendre sa propre vie.
La joie de l’Évangile
Jésus les invite à une rencontre renouvelée. Lui le même et complètement différent. Celui qu’ils ont bien connu, mais dont ils n’avaient pas perçu l’identité, l’inimaginable personne. Jésus les pousse à sortir du chaudron religieux de la ville sainte pour retrouver la province où ils ont leurs habitudes. Là ils vont pouvoir revenir de leurs bouleversements et se retrouver. “Les onze disciples se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait donné rendez-vous” -Mt 28, 16. Le lieu précis est certainement connu de ce petit groupe, sans doute s’y étaient-ils réunis souvent avec Jésus ; il n’est donc pas besoin pour Matthieu de le nommer, c’est leur secret. Ils y sont parvenus en hâte sans doute, ayant en tête cette nouvelle extraordinaire que les femmes du groupe leur ont rapportée, n’osant y croire, ne se représentant pas tout à fait ce que cela signifie. Comment leur en vouloir ? Il ne suffit pas que quelques rares textes de l’Écriture mentionnent un possible relèvement ou réveil de la mort, pour savoir et croire que c’est arrivé. Nous en sommes tous là.
La Galilée sera donc “le district des nations qui a vu une grande lumière” comme l’annonçait le prophète du VIIIe siècle av. J.-C., Is 8, 23-9, 1. Lumière du Christ fils du Dieu vivant, lumière du oui décisif de Marie et lumière de l’Évangile annoncé à tous les peuples. Il a fallu aux apôtres reprendre à frais nouveaux tout ce qu’ils avaient vécu avec Jésus, le méditer à la lumière de sa vie donnée puis retrouvée et reconnue pour lancer l’annonce du Salut. Oui il est vraiment ressuscité d’entre les morts, nous en sommes témoins, c’est là qu’il nous est apparu après être sorti vainqueur du tombeau. Nous n’osions pas y croire, mais nous vous l’assurons avec fermeté.
Petit à petit va se construire un récit, fait de témoignages, enrichi de cette compréhension entièrement nouvelle de la personne de Jésus. S’il marchait sur l’eau, c’est qu’il était capable de dominer la mort. S’il donnait le pain à satiété, c’est qu’il voulait nourrir chacun, mais pas seulement de froment, de sa personne entière, et en abondance. S’il parlait si souvent du Royaume de son Père, c’est qu’il en était réellement le Fils. Mais notre cœur était sclérosé, lent à croire et en réalité nous n’avions pas compris grand-chose ! Sa patience envers nous a été jusqu’à nous ramener chez nous pour qu’en revoyant les lieux de sa visite nous en percevions tout le caché. La Galilée première hôtesse, première convertie.
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Pèlerins d’aujourd’hui
Il est beau de terminer un pèlerinage par Jérusalem, sommet de la foi chrétienne, c’est le chemin traditionnel de la plupart des groupes. De toutes les hauteurs pourtant il faut bien redescendre. Pour ma part j’ai toujours choisi, lorsque la décision du parcours me revenait, de conclure les pèlerinages en Terre Sainte par la Galilée. Commençant au Néguev et le long de la mer Morte, on ouvre l’Écriture, on relit l’Exode, la Genèse avec les patriarches et Moïse, puis l’entrée en Terre Promise au gué de Jéricho. Avec cette vertu non négligeable que le désert nous fait sortir de nos habitudes et de nos conforts et nous met en route ; en marche le groupe se constitue. À Jérusalem, au centre du pays, et à Bethléem, on évoque la royauté, David et Salomon, qui nous amènent à Jésus le Messie ; on peut alors le suivre du Champ des bergers jusqu’au Golgotha et à son tombeau, dont nous ne saurons que le vide. En Galilée pour finir, on adopte le cheminement évangélique de Matthieu afin de se mettre à l’écoute de tout le vécu apostolique et, avec les Douze, le méditer, l’intérioriser afin de lancer l’annonce de la Bonne Nouvelle. Ce que tout pèlerin ne manque pas de faire une fois de retour dans son pays.♦
Dernière mise à jour: 22/04/2024 16:12