Elles portent des kippa, des châles de prières, des phylactères et, pour certaines des Torah. Autant de symboles exclusivement réservés aux hommes dans le judaïsme orthodoxe. Ce mercredi 22 février correspond au Rosh Hodesh, le premier jour d’un nouveau mois du calendrier juif, et comme elles en ont l’habitude tous les mois depuis plus de 30 ans, les « Femmes du mur » se réunissent à la porte des Immondices avant d’aller prier ensemble au Kotel.
Ce rassemblement, bien que mensuel, intervient dans un contexte particulier. Début février, le parti ultra-orthodoxe Shas, membre du gouvernement le plus à droite et religieux de l’histoire du pays, a annoncé un projet de loi visant à rendre illégal toute infraction à la « coutume locale » en vigueur au Mur Occidental. Depuis 1967, le Kotel est sous administration ultra-orthodoxe. C’est à cette époque qu’une cloison est installée pour séparer les hommes et les femmes et que celles-ci sont invitées à prier dans le silence complet, sans prière de groupe.
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Le projet de loi, qui proposait six mois de prison ou une amende de 10 000 shekels pour les femmes contrevenant à ces règles, a provoqué un tel tollé que Benyamin Netanyahou a dû calmer le jeu en reportant le vote. « On s’attend à ce qu’ils ressortent la loi à tout moment, souffle Rachel, juive massortie membre des Femmes du Mur, dont les pratiques sont directement visées par le projet. Le lieu le plus saint du judaïsme ne sera accessible qu’à la prière orthodoxe, alors que le judaïsme est bien plus varié que ça. »
Hérésie
Les Femmes du mur ont voulu marquer le coup. “Une femme qui porte un talit n’est pas une criminelle”, dénonce la banderole en tête de leur cortège. Depuis 1988, le groupe milite pour les mêmes droits religieux et sociaux que les hommes dans le judaïsme. Les 200 membres de la Conférence centrale des rabbins américains (CCRA) dont la Convention se tient du 20 au 26 février en Israël, les ont rejoint au Kotel pour afficher leur soutien.
Plusieurs centaines de personnes au total. Toutes issues des branches libérale ou massorti (aussi appelé « conservatif ») du judaïsme, plus ouvertes sur les pratiques religieuses féminines et majoritaires en Amérique du Nord. Effet de groupe garanti.
La sécurité est rigide. Chaque sac fouillé avec attention. Aucune Torah ne doit pénétrer dans l’espace réservé aux femmes. Rabbins et militantes arrivent au compte goutte dans le petit carré délimité par des barrières au fond de la section féminine du Kotel. Les prières débutent. L’intensité sonore monte d’un cran. Des hauts-parleurs orientés dans leur direction diffusent les prières masculines à pleine puissance, tandis qu’un groupe de jeunes filles hurle et siffle pour recouvrir leurs chants.
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« Des étudiantes de yeshivot (écoles religieuses juives), note Sherry, juive américaine habituée de ces matinées, kippa sur le chef. Leurs rabbins les envoient ici exprès pour perturber ces prières. Nos pratiques les dégoûtent. Nous sommes une hérésie pour eux. » Ces intimidations perturbent à peine le service. Les Femmes du mur ont connu pire : jet de tables, de chaises, violences verbales ou physiques, arrestations… Les heurts sont réguliers.
« En se drapant d’un châle de prières une fois par mois, c’est au caractère patriarcal de la religion que ces femmes s’opposent. Ce n’est pas, de leur point de vue, un combat contre mais un combat pour la religion, décryptait Gabriel Abensour, ancien étudiant de yeshiva et fondateur du blog Modern Orthodox, dans les pages du numéro de mai-juin 2013 de Terre Sainte Magazine. Le féminisme religieux, en exigeant un judaïsme égalitaire et inclusif, demande la ré-écriture de bien des lois. Dès lors, on comprend l’enjeu politique du combat qui oppose mouvement harédi et judaïsme progressiste. Il s’agit d’un combat de fond, visant à modifier de façon radicale la face du judaïsme. »
Au même moment, un groupe de jeunes radicaux affiliés au parti d’extrême-droite Noam, membre de la coalition gouvernementale, s’introduit sur la zone du Mur Occidental réservée à la prière mixte. Ils tentent d’y installer une barrière pour séparer les hommes et les femmes avant que la police n’intervienne. Le député ultra-orthodoxe Yitzhak Pindrus, membre du parti « Judaïsme unifié de la Torah » est également venu montrer son indignation en faisant brièvement face au député travailliste Gilad Kariv, rabbin réformé et directeur du Mouvement israélien pour le judaïsme réformé et progressiste, qui a tenté d’utiliser son immunité parlementaire pour faire parvenir une Torah jusqu’à la section féminine.
Valeurs juives
Si la tension était palbable sur l’esplanade du Mur Occidental, la situation n’a pas dégénérée comme en 2019 où de violents heurts avaient éclaté à l’occasion des 30 ans des Femmes du Mur, ou l’année dernière. Il n’en reste pas moins que le coup d’éclat des jeunes du parti Noam témoignent d’un raidissement du judaïsme israélien qui ne se conçoit plus que par le prisme orthodoxe.
La présence des membres libéraux du CCAR en était d’autant plus symbolique : « Mes valeurs personnelles et mes valeurs juives m’obligent à tenir fièrement la Torah pour toutes les femmes à qui on dit qu’elles ne peuvent pas pratiquer leur culte librement et ouvertement au Kotel, a souligné le rabbin Hara Person, directrice générale de la CCAR en marge du service. Sous le gouvernement le plus oppressif de l’histoire d’Israël, les droits et la dignité non seulement de toutes les femmes juives mais de tous les habitants d’Israël doivent être respectés, soutenus et protégés. »
En janvier 2016, après deux ans et demi de négociations, le gouvernement israélien a approuvé un plan pour une section de prière mixte au Mur Occidental. Depuis le projet est au point mort. La zone, située au sud du mur, se trouve actuellement dans une sorte de vide juridique, techniquement sous l’autorité du grand rabbin ultra-orthodoxe du mur Occidental, mais autorisée à fonctionner comme espace de prière égalitaire sur ordre du Premier ministre.
Le « compromis du mur Occidental », négocié par l’Agence juive, tente de résoudre cette question. S’il lui accorderait un statut officiel et augmenterait la taille de la section égalitaire, le compromis confirmerait la ségrégation entre les sexes sur la place principale.
Nous vous parlions de ce « Judaïsme au féminin » dans le numéro de Juillet-Août 2013
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