Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

A l’approche de Pâques, les Eglises de Terre Sainte changent de ton face à Israël

Cécile Lemoine
4 avril 2023
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
Mgr Pierbattista Pizzaballa, Patriarche Latin de Jérusalem et le frère Francesco Patton, Custode de Terre Sainte, lors de la procession des Rameaux, dimanche 2 avril 2023 ©Cécile Leca/LPJ

Alors que les festivités de la Semaine sainte catholique ont débuté à Jérusalem, les chefs des Eglises s'inquiètent de la capacité des chrétiens à exprimer en toute sécurité et liberté leur foi, dans un contexte de montée générale de la violence et du sectarisme en Israël.


« N’ayez pas peur ! N’ayez jamais peur ! » Il est un peu plus de 17 heures et le soleil printanier de ce dimanche 3 avril arrose les jardins de l’église Sainte-Anne de ses rayons dorés. La procession des Rameaux vient de se terminer et le Patriarche Latin de Jérusalem fait un hors script inspiré alors qu’il adresse son traditionnel message à la foule bigarrée de marcheurs, venue des quatre coins du monde, d’Israël et de Palestine.

« Je sais ce qui s’est passé récemment à Jérusalem contre les symboles chrétiens : n’ayez pas peur. N’ayez jamais peur. L’amour de Jésus est plus fort que tout. À tous ceux qui veulent diviser, disons que nous ferons tout pour unir, parce que dans notre cœur, dans le cœur de tous les chrétiens, il n’y a pas de place pour la haine. »

Mgr Pizaballa lors de son discours et de la bénédiction finale à l’église Saint-Anne, à l’issue de la procession des Rameaux, 2 avril 2023 ©Cécile Leca/LPJ

Confrontées à une lutte de plus en plus ouverte pour maintenir leur statut dans la Ville sainte, les communautés chrétiennes de Terre Sainte sont inquiètes. Quelques jours avant le début de la Semaine Sainte catholique, les chefs des Églises de Jérusalem ont appelé Israël à la « coopération » en vue de « garantir la sécurité et la liberté religieuse de la communauté chrétienne de Terre sainte« . Le communiqué, publié le vendredi 31 mars, est le dernier d’une longue série condamnant l’ « escalade de violence qui a englouti la Terre Sainte » et qui touche les communautés chrétiennes locales.

Lire aussi >> Faut-il parler d’une augmentation des actes antichrétiens en Israël ?

Les Eglises de Terre Sainte -que se soit de manière individuelle ou collective- ont rarement été aussi prolifiques en matière de communiqués. L’emploi de l’expression « libertés religieuses des chrétiens » traduit une exaspération mêlée d’inquiétude face à l’augmentation des gestes d’intimidations envers les chrétiens et leurs symboles depuis l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de droite radicale et religieuse en Israël. Ces actes (vandalisation de cimetière, de statue, agression de prêtres, graffitis haineux….) sont tous restés impunis.

Restrictions pour le Feu Sacré

Un laisser-faire délétère pour les chefs des Eglises :« Si ces violences ne sont pas nouvelles, c’est leur fréquence qui l’est. L’absence de sanction est un encouragement, et cela provoque un sentiment d’insécurité chez les chrétiens, qui sont une cible facile », souligne frère Francesco Patton, Custode de Terre Sainte. Gardiens des lieux saints depuis 800 ans, les franciscains ont du installer des caméras dans plusieurs de leur sanctuaires pour en assurer la sécurité. « Cela va à l’encontre de notre spiritualité d’accueil de l’autre. Pour moi ces lieux devraient être ouverts à tous, mais je suis un rêveur », soupire le père Patton.

Comme en 2022, les Pâques chrétiennes se téléscopent avec les temps forts des deux autres religions monothéistes, la Pâque juive et le Ramadan musulman. Ces fêtes rassemblent des dizaines de milliers de fidèles dans la vieille ville de Jérusalem, un périmètre aussi dense que prompt à s’échauffer, du fait d’une présence policière accrue. L’an dernier, de violents heurts avaient éclaté dans cette partie de la Ville sainte, secteur palestinien occupé et annexé par Israël.

Lire aussi >> Emois après une cérémonie du Feu Sacré sous tensions et restrictions

La fête orthodoxe du Feu Sacré a aussi été marquée par des tensions, du fait de restrictions sur le nombre de personnes autorisées à entrer dans le Saint-Sépulcre. Les autorités israéliennes ont déjà annoncé que cette année (le 15 avril) le nombre de personnes serait limité à 1 800 (contre près de 6 000 dans les années 2010), et l’entrée possible uniquement sur présentation d’un ticket.

Le Feu Sacré se répand dans les rues bondées de la vieille ville de Jérusalem, 23 avril 2022 ©Cécile Lemoine/TSM

Les raisons invoquées sont, comme l’an passé, liées aux normes de sécurité et d’évacuation en cas d’incendie. La basilique ne dispose que d’une seule issue de secours, qui est aussi son entrée principale. A l’extérieur, la foule est gérée par un cordon policier renforcé et des barrières segmentent les ruelles, empêchant les déplacements, voir l’entrée dans la vieille ville.

« Israël considère les chrétiens comme des invités »

« La cérémonie du Feu Sacré est un jour de fête pour tous les chrétiens, qu’ils soient palestiniens ou étrangers, mais sa gestion est devenue politique », dénonce Theophilos III, le patriarche Grec-Orthodoxe, lors d’un entretien avec des journalistes la semaine avant Pâques. Il voit dans ce cordon sécuritaire renforcé un moyen de contrôler la présence chrétienne : « Certaines personnes veulent Jérusalem pour elles seules. La police ne veut pas que la ville soit Palestinienne. »

L’an passé, les autorités avaient été filmées en train de laisser entrer des groupes de pèlerins en vieille ville, tandis que les chrétiens locaux étaient contraints de rester à l’extérieur. « C’est une bonne chose que les Palestiniens des Territoires reçoivent des permis pour venir célébrer Pâques à Jérusalem, mais encore faut-il qu’il puisse entrer dans les lieux saints », souligne le Patriarche grec-orthodoxe.

Lire aussi >> Herzog aux chefs des Eglises: « Vous faites partie intégrante de la mosaïque vibrante de l’État d’Israël »

Dans leur communiqué, les patriarches et chefs des Eglises appellent également les autorités israéliennes à « collaborer au maintien du statu quo religieux à Jérusalem ». « Cet équilibre entre les trois religions n’existe plus, estime Mgr Pierbattista Pizzaballa, le patriarche Latin de Jérusalem. Désormais, celui qui a le pouvoir décide. Nous sommes en permanence mis devant le fait-accompli. Israël considère les chrétiens comme des invités, alors que nous faisons partie intégrante de l’histoire de Jérusalem, de son identité. »

Procession des Rameaux, 2 avril 2023 ©Cécile Lemoine/TSM

Le chef de l’Eglise latine de Jérusalem appuie : « Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement les droits individuels, mais les droits collectifs des chrétiens. Notre capacité à exprimer notre foi. Nous voulons être libre de faire nos processions sans restriction. »

Malgré tout, le message des Eglises à l’approche de Pâques reste celui de la fraternité et du dialogue. « Je dis toujours à ma communauté de ne pas laisser leur coeur être gagné par la haine », indique Mgr Pierbattista Pizzaballa, appuyé par le Custode de Terre Sainte : « L’espoir est dans le tombeau vide du Christ. »

Sur le même sujet
Le numéro en cours

La Newsletter

Abonnez-vous à la newsletter hebdomadaire

Cliquez ici
Les plus lus