Venez et voyez: Gallicante et un coq chanta
Vous ne le trouverez nommé dans aucun récit biblique, car le lieu n’a pas l’authenticité de la maison de Pierre à Capharnaüm ou du tombeau de Jésus au Saint-Sépulcre. Mais il est supporté par la tradition byzantine depuis le Ve siècle, ce qui lui donne une certaine légitimité. À cette époque il est important de situer dans la terre de Palestine tous les événements de l’Histoire sainte, et surtout du Nouveau Testament ; c’est l’exigence des pèlerinages qui se développent depuis l’époque constantinienne.
Ici sont rappelées les larmes de honte et de repentir de l’apôtre Pierre. Plus tard on y a vu le lieu où Pierre a nié être un disciple de Jésus, par trois fois, et par là le palais du grand-prêtre Caïphe où, selon les évangiles, les scènes se sont succédées.
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Ce sont les Croisés qui, au XIIe siècle, baptisent le site “Gallicantu”, donnant le premier rôle au coq bien innocent qui chanta le jour naissant de ce vendredi de la semaine de Pâques à Jérusalem en avril de l’année 30. Cependant les archéologues n’identifient pas avec précision la fameuse demeure de Caïphe.
D’après l’historien Eusèbe de Césarée (265-339) et d’autres témoignages des premiers siècles, le grand-prêtre tenait le haut du pavé, au sommet du mont Sion. Il faudrait donc la situer dans le quartier arménien où l’on a d’ailleurs trouvé les fondations de plusieurs maisons spacieuses, certainement de notables. Le site de Gallicante s’étend nettement en contrebas de ce point culminant.
Pour gagner la propriété acquise par le comte de Piellat en 1882 et cédée en 1887 aux assomptionnistes qui ont aménagé le terrain, il faut sortir de l’actuelle Vieille ville et, par la Porte de Sion, descendre la colline. À cause de leur indigence les communautés chrétiennes du XVIe siècle n’ont pu payer la partie les concernant de la muraille que reconstruisaient les Ottomans – c’est celle qui entoure la Vieille ville aujourd’hui et depuis 1536 – et c’est ainsi que se trouvent en dehors de l’enceinte urbaine le Cénacle, le supposé tombeau de David, l’église de la Dormition et Gallicante. Dès 1888 les assomptionnistes ont entamé des fouilles sous la direction du P. Germer Durand et la construction de l’église en 1898 avec l’architecte Étienne Boubet. C’est lui qui a aussi conçu les plans de Notre-Dame de France à Jérusalem, de la trappe de Latroun, de l’église latine de Ramallah, du couvent féminin d’Abu Gosh et de Notre-Dame d’Alliance sur les hauteurs de Qiryat Yéarim. Dans la propriété de Gallicante fut consacrée en 1931 une église de type néo-byzantin, de plan octogonal enserré dans une croix grecque. Tout l’intérieur est décoré de mosaïques illustrant les moments marquants de la vie de Pierre : son appel au bord du Lac alors qu’il était à son ouvrage de pêcheur, la marche sur les eaux, les clés de l’Église qui lui sont confiées, la Transfiguration dont il fut témoin avec Jacques et Jean, le triste reniement et la confiance que Jésus ressuscité lui accorde, scène qui se joue encore au lac de Tibériade.
Assez vite les archéologues ont repéré sous les ruines de l’église édifiée par les Croisés au XIIe siècle, les fondations d’un sanctuaire du Ve siècle et un réseau de grottes et citernes entièrement creusées dans la roche blonde. L’une de ces grottes ne s’atteignait, avant le creusement de l’escalier actuel, que par un conduit juste assez large pour le passage d’un homme que l’on descendait par des cordes, un prisonnier dans sa geôle. Sur les parois du conduit sont visibles trois croix byzantines gravées et dix autres peintes en rouge, signes d’une vénération des premiers temps de l’Église.
A-t-on très tôt considéré que c’est Jésus qui a été relégué dans ce cul de basse-fosse pendant que les autorités réunies plus haut statuaient sur son sort ? ou entre deux réunions, l’une de quelques membres du sanhédrin hâtivement réunis après l’arrestation du Nazaréen à Gethsémani en pleine nuit, une autre plénière quelques heures plus tard, voire une journée après ? Les récits évangéliques ne nous renseignent pas suffisamment sur le déroulement horaire de cette comparution nocturne qui précède la livraison du Christ à Pilate.
De Jérémie aux évangiles
Si le lieu n’est pas certain en ce qui concerne le procès de Jésus devant les autorités juives, il offre toutefois aux pèlerins d’aujourd’hui de belles occasions de méditer sur les derniers instants de Jésus. Nombreux sont les groupes qui, au cours d’une même journée, vont prier au Cénacle, puis à partir de là descendent jusqu’au jardin des Oliviers au-delà du Cédron, remontent vers Gallicante pour y accompagner Jésus avant d’entrer dans la ville, près de la Citadelle où a dû se tenir le procès devant le préfet romain Pilate et finalement jusqu’au Saint-Sépulcre. Dans la profonde citerne creusée au plus bas des structures bâties de Gallicante un livre ouvert propose en de nombreuses langues la lecture du Psaume 88 que l’on ne peut entendre sans penser au Christ abandonné par ses disciples, outragé par ses coreligionnaires qui cherchent à l’éliminer. On sait qu’il est très difficile de dater les psaumes. Celui-ci a-t-il été écrit lorsque le prophète Jérémie subissait au VIe siècle av. J.-C. lui aussi un emprisonnement ? Les points communs avec un passage de Jr 38 sont frappants. (voir l’encadré).
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En sortant de cet enchevêtrement de salles et de chapelles on découvre un escalier de belles marches taillées dans le roc de la colline. Long de 70 m, il part de cette propriété et rejoint la vallée du Tyropéon à proximité de la piscine de Siloé. C’est un passage public de l’époque hérodienne comme en ont souvent les villes bâties sur des reliefs. Il est vraisemblable que Jésus a emprunté ce raccourci pour aller du Cénacle depuis les hauteurs de Sion jusqu’au bas de la ville et peut-être pour se rendre au jardin des Oliviers comme il en avait l’habitude [Jn 18, 1-2 : “Jésus s’en alla avec ses disciples de l’autre côté du Cédron. Il y avait là un jardin dans lequel il entra, ainsi que ses disciples. Or Judas, qui le livrait, connaissait aussi ce lieu, parce que bien des fois Jésus et ses disciples s’y étaient réunis” et Lc 22, 39 : “Il se rendit comme de coutume au mont des Oliviers”] Ce qui lui évitait de traverser la ville d’ouest en est, sachant qu’on cherchait à l’arrêter ; pour lui la ville n’était pas sûre. On peut supposer aussi que la troupe qui s’est emparée de lui dans la nuit de Gethsémani aura voulu, pour les mêmes raisons, éviter la ville toute en ébullition pour la Pâque et aura donc contourné par la vallée de la Géhenne au sud de la ville et remonté par ces mêmes marches dans les quartiers où résidaient les Sadducéens et les notables. [Mt 26, 3-5 : “Les grands-prêtres et les anciens du peuple s’assemblèrent dans le palais du grand-prêtre qui s’appelait Caïphe et se concertèrent en vue d’arrêter Jésus par ruse… Pas en pleine fête, il faut éviter un tumulte parmi le peuple !” et Lc 22, 2 : “Les grands-prêtres et les scribes cherchaient comment le tuer, car ils avaient peur du peuple”.] Ce ne sont que des suppositions ajoutées aux récits évangéliques [Mt 26, 30-35 ; 57-75 ; Mc 14, 26-31 ; 53-72 ; Lc 22, 31-34 ; 54-62 ; Jn 18, 12-27], mais hautement vraisemblables d’après la topographie.
La propriété de Gallicante, son église aux mosaïques brillantes, sa chapelle à moitié taillée dans le roc sous l’octogone néo-byzantin, son réseau de cavernes et citernes, son grand jardin très arboré, offrent aux pèlerins une méditation au calme, avant de reprendre le chemin de la ville pour gagner le Golgotha à la suite de Jésus.
Comprendre la ville
Une autre raison de faire halte ici est la maquette, installée en juin 2003, qui modélise au 1/100e la ville de Jérusalem à l’époque byzantine ; on y revoit toute la physionomie de la ville ; les trois vallées, Cédron, Tyropéon et Géhenne, les rues principales, l’axe du cardo romain et les monuments existant entre le IVe et le VIIe siècles : l’Anastasis, la Sainte-Sion qui est le Cénacle, Saint-Jean Baptiste, Sainte-Marie de la Probatique qui est Sainte-Anne dans le domaine actuel des Pères Blancs, Sainte-Marie Mère de Dieu, immense basilique aujourd’hui totalement disparue, Siloé et Saint-Pierre en Gallicante (1). En 30 minutes vous vous offrez une révision visuelle de ce que vos pieds ont mémorisé en arpentant la Vieille ville.♦
Quand une citerne devient prison
Jr 38, 4 Les princes dirent au roi “Cet homme ne cherche nullement la paix pour ce peuple, mais le malheur…
6 Ils se saisirent de Jérémie et le jetèrent dans la citerne de Malkiyyahu… ils le descendirent à l’aide de cordes. Dans cette citerne il n’y avait pas d’eau mais de la vase et Jérémie s’enfonça dans la vase.
Ps 88, 5 Déjà compté comme descendu dans la fosse, je suis un homme fini…
7 Tu m’as mis au tréfonds de la fosse, dans les ténèbres…
9 Je suis enfermé et ne puis sortir…
19 Tu éloignes de moi amis et proches, ma compagne, c’est la ténèbre. ”