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Avec Sébastia, Israël veut « revenir en Samarie »

Cécile Lemoine
18 mai 2023
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Des Israéliens juifs visitent le site de l'ancien village de Sebastia près de la ville de Naplouse en Cisjordanie, le 22 avril 2019, pendant la fête juive de Pessah. ©Nasser Ishtayeh/Flash90

Le 7 mai dernier, le gouvernement a annoncé une enveloppe de 8 millions d’euros pour restaurer le site archéologique de Sébastia. Situé en Cisjordanie occupée, il est l'objet d'une âpre bataille entre Israël et l'Autorité Palestinienne qui cherchent chacun à s'en approprier le contrôle et le récit historique.


“La Judée-Samarie est de retour sur la carte du tourisme. Nous ne laisserons pas l’histoire juive y être effacée.” C’est avec cette rhétorique alarmiste que les ministres du Tourisme, de la Protection de l’environnement et du Patrimoine se sont félicités, dimanche 7 mai, d’avoir obtenu un budget de 32 millions de shekels (7,8 millions d’euros) de la part du gouvernement, pour restaurer et développer le site archéologique de Sébastia.

Petite bourgade palestinienne de 3000 âmes perchée au sommet d’une colline au nord-ouest de Naplouse, en Cisjordanie occupée, Sébastia tire son nom de Sébaste, la ville romaine construite par Hérode le Grand en 25 avant J.-C., sur les ruines de ce qui a été identifié comme la Samarie biblique, la capitale d’Israël aux 9e et 8e siècles avant notre ère, lors de fouilles menées dans les années 1930 par l’Université d’Harvard. Une archéologie qualifiée de “biblique”, en ce qu’elle considère la Bible comme un document historique.

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En 1967, Sébastia s’est retrouvé prise dans le conflit israélo-palestinien. Les campagnes de fouilles se sont arrêtées. C’est aujourd’hui un site négligé, et un endroit comme seuls les Accords d’Oslo (1993-1994) ont su en créer : le village palestinien et le parking des visiteurs sont en zone B (sous contrôle administratif palestinien), tandis que le site archéologique est lui situé en zone C (soit sous contrôle total d’Israël pour la sécurité et l’administration). Israéliens et Palestiniens en revendiquent chacun la gestion, et le contrôle du récit historique qui en est tiré. En 1970, l’Autorité de la nature et des parcs (NPA) en a fait un « parc national » et l’a baptisé « Shomron » : Samarie.

Souveraineté

Avec cette rondelette enveloppe de 8 millions d’euros, le gouvernement le plus à droite et religieux de l’histoire d’Israël affirme sa souveraineté sur un site disputé depuis longtemps. “L’objectif est de rouvrir le site au grand public et de rendre accessible à tous l’histoire du Royaume d’Israël”, écrit Idit Silman, la ministre de la Protection de l’environnement sur son compte Facebook. A la municipalité palestinienne de Sébastia, on s’insurge : “Ce projet ne bénéficiera qu’aux colons.”

A l’origine de ce nouvel épisode de rivalités affichées entre les deux camps, une vidéo, postée le 13 mars sur la page Facebook de la municipalité de Sébastia. Filmée depuis une voiture, la séquence montre la “réhabilitation de la route agricole dans la zone nord de la commune qui débute à l’entrée du stade romain”, selon le post écrit en arabe, qui entend préciser : “Il n’y a pas de zone C dans la ville de Sebastia”. Une partie de la route est pourtant bien sous administration israélienne.

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Le lendemain, le sujet est dans la presse. Le quotidien Israel HaYom cite une organisation de colons juifs, « Protéger l’éternité » (« Shomrim Al Hanetzach »), qui après analyse de la vidéo, affirme que les travaux palestiniens ont mené à la “destruction d’un mur hérodien et au pillage de grottes funéraires de la période du Second Temple”, qui auraient aussi été “désacralisées avec un cadavre de sanglier”. D’autres médias reprennent la nouvelle. Parlent de “destructions massives”. 

Contactée par terresainte.net, la municipalité de Sébastia se défend : “Le mur est intact, nous n’y avons pas touché. Tous nos projets, dont la réfection de cette route, sont supervisés par l’Unesco et leurs experts. Nous ne faisons rien qui ne soit au préalable validé avec eux. Quant aux sangliers, ils sont un problème dans toute la région. Celui qui a été pris en photo dans la grotte y est sans doute mort de lui-même.” 

La Samarie, “cœur biblique de la nation d’Israël”

Parole contre parole, mais le mal est fait. Le 15 mars, les ministres de la Protection de l’environnement et du Patrimoine sont à Sebastia, pour appeler le gouvernement à agir face “à la destruction du patrimoine et des antiquités dans la région” et “mettre fin à l’anarchie”, selon les mots du ministre du Patrimoine, Amichai Eliyahu, qui est aussi rabbin et membre du parti sioniste-religieux Otzma Yehudi. Moshe Gutman, directeur de Preserving Eternity, est allé jusqu’à dire que le peuple juif est en train de « perdre l’ancienne Samarie ».

Des groupes d’Israéliens se rendent régulièrement sur le site pour le visiter. Touristes, colons, soldats en service militaire… Ils sont toujours accompagnés par l’armée, voire eux-même armés, 22 avril 2019 ©Nasser Ishtayeh/Flash90

Les Israéliens voient la Judée-Samarie (le nom biblique donné à la Cisjordanie), comme le “cœur biblique de la nation d’Israël”, écrit la journaliste Ilse Posselt dans un article du Jerusalem Post intitulé “Toute la vérité sur la Judée Samarie”. “Elle constitue le décor de 80 % des événements relatés dans la Torah. Chaque pierre et chaque sillon de cette région portent les empreintes de l’histoire biblique du peuple juif.”

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La perte de ces territoires dans le découpage décidé par le plan de partage de l’ONU en 1947, a été vécue comme une amputation par les Israéliens. Depuis 1967 et le début de l’occupation militaire de la Cisjordanie, certains s’installent dans ces collines rocailleuses, motivés par des convictions sionistes et religieuses. Des colonies, considérées comme illégales au regard du droit international.

“Face au village et au site archéologique de Sébastia se tient l’une des toutes premières colonies israéliennes d’après 1967, dont le nom, Shavei Shomron, qui signifie « ceux qui reviennent à Samarie » en dit assez sur le programme idéologique qui a fondé son implantation”, pointe Kevin Trehuedic, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) dans un article publié sur Orient XXI en 2016 qui analyse : “Les ressorts idéologiques qui animaient les premiers archéologues, en effet, ont contribué à forger l’imaginaire de ce lieu et continuent, en l’absence de fouilles modernes, de peser sur les constructions mémorielles.” Des groupes d’Israéliens se rendent régulièrement sur le site pour le visiter. Touristes, colons, soldats en service militaire… Ils sont toujours accompagnés par l’armée.

Appropriation et manipulation

Les Palestiniens ne sont pas en reste quant à la construction d’une histoire qui inscrit le site dans leur propre récit national : “À la question de la présence hébraïque d’il y a presque trois mille ans, ils répondent en la niant, ou bien en affirmant l’antériorité de la présence cananéenne dont ils se considèrent les héritiers”, détaille Kevin Trehuedic. 

Des Palestiniens hissent le drapeau palestinien sur le mât dans la ville de Sebastia en Cisjordanie, le 30 janvier 2017 ©Nasser Ishtayeh/Flash90

Le chercheur note cependant que ces discours, autonomes, n’ont ni la même autorité, ni la même diffusion que ceux des Israéliens :  “Le discours archéologique, seul habilité à parler vrai du passé, se présente comme imperméable aux contingences politiques. Il constitue pourtant un excellent instrument d’appropriation de l’espace que les colons cherchent à manipuler. Aussi une campagne récente des colons accusant à tort les Palestiniens de vandalisme s’est-elle propagée dans les canaux de diffusion universitaires.” 

En 2015, l’ONG israélienne Emek Shaveh, qui dénonce l’utilisation de l’archéologie à des fins politiques dans le pays, écrivait ainsi déjà sur son site : Nous soutenons que la transformation de Sebastia en un pôle touristique vise à renforcer le lien du peuple juif avec cette terre et à saper l’héritage et le récit palestiniens parallèlement à la prise de contrôle physique des terres.” Avec cette enveloppe de 8 millions d’euros, le gouvernement israélien soutient objectivement l’action et le narratif des colons à Sébastia, bien que le site ait un besoin évident d’entretien et de mise en valeur.

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