La grande esplanade qui s’étend au pied du mur Occidental à Jérusalem n’a pas toujours été aussi vaste. Jusqu’en 1967, tout un quartier occupait l’espace. Le quartier maghrébin. Fondé il y a 800 ans par Saladin pour des pèlerins musulmans d’Afrique du Nord, il a été rasé en quelques heures par l’armée israélienne dans la nuit du 10 au 11 juin 1967, à la fin de la guerre des Six-Jours.
Peu connue, voire oubliée, l’histoire de ce quartier disparu a été reconstituée grâce au travail de fourmi de l’historien Vincent Lemire, auteur de À l’ombre du mur (Seuil, 2022), un ouvrage fruit de sept ans d’enquête dans des rayonnages d’archives, et de collectes de témoignages.
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« L’histoire de ce quartier est inaccessible, il faut la rendre plus accessible », milite Vincent Lemire. C’est animé par cette conviction que le chercheur a voulu donner à voir le quartier maghrébin grâce à la reconstitution en 3D, suite logique de son travail d’ouverture de l’histoire.
Associé à une agence italienne de modélisation et à l’université de Modène et de Reggio Emilia (Italie), Vincent Lemire a pensé une application web et mobile (iOS, Android et GL stores) qui permet de déambuler dans les ruelles du quartier tout en découvrant l’histoire de ses mosquées, écoles et autres édifices d’importance.
À l’occasion de la conférence de lancement le 15 juin à Jérusalem, Vincent Lemire a souligné que « le modèle 3D était un outil pour tous les gens qui veulent découvrir l’histoire inédite de l’un des lieux les plus identifiables au monde – et pourtant l’un des plus occultés de l’histoire ».
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L’application rassemble la documentation liée au quartier maghrébin aujourd’hui dispersée dans les archives ottomanes d’Istanbul, celles de l’Etat d’Israël, celles des fondations pieuses musulmanes de Jérusalem, et les archives diplomatiques françaises et de la Croix-Rouge à Genève. Dans les mois à venir, l’application sera progressivement enrichie avec d’autres documents d’archives, des données archéologiques et des témoignages oraux.
La modélisation 3D du quartier Mughrabi fait partie d’un projet plus vaste appelé « Open Jerusalem » conçu et coordonné par Vincent Lemire, et financé par l’Union Européenne. Entre 2014 et 2019, une soixantaine de chercheurs multidisciplinaires ont rassemblé archives et documentation sur la Jérusalem des années 1840-1940 dans l’objectif de « décloisonner radicalement et durablement les historiographies de Jérusalem en ouvrant et articulant ses archives », selon la présentation faite sur le site dédié au projet. Cela prend aujourd’hui corps dans une base de données d’environ 40 000 documents en 12 langues accessible gratuitement.