En confrontant les connaissances et les expériences de plusieurs prêtres accompagnant régulièrement des groupes en Terre Sainte, j’ai eu la chance de découvrir les profondes richesses que renferment les différentes démarches entreprises sur le lieu de la crucifixion et de la résurrection du Christ. Peu de personnes débarquent directement au Saint-Sépulcre au sortir de l’avion. Il faut du temps pour s’y rendre. Sans doute faut-il expérimenter d’autres lieux où le Christ s’est manifesté, pour apprécier, voire appréhender ce lieu unique.
Sans aucune préparation, il semble extrêmement improbable de comprendre la complexité du sanctuaire, de tout ce qui s’y est passé depuis 2 000 ans et ce qui s’y déroule encore aujourd’hui. On pourrait simplement y voir un lieu de mémoire, où l’histoire d’une crucifixion et d’un tombeau vide serait racontée, mais la présence des différentes communautés et le merveilleux chaos provoqué par la diversité des visiteurs, ne nous entraînent-ils pas à traverser l’histoire d’une Passion et d’une Résurrection, voire l’histoire de multiples Passions et Résurrections ?
Certains proposent de faire une première visite au Saint-Sépulcre pour se familiariser avec le bâtiment, puis d’y revenir dans une démarche de pèlerinage. D’autres y arrivent après avoir parcouru un chemin de croix.
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Un chemin d’expérience
Un ami prêtre m’a dit combien il aimait “descendre” au Saint-Sépulcre en passant par le toit des Éthiopiens. C’est une invitation à voir l’église pauvre, à descendre dans nos propres pauvretés pour atteindre d’abord la chapelle Sainte-Hélène y méditer le Psaume 87 (Dans cette nuit où je crie en ta présence), puis remonter en silence au Golgotha et enfin au tombeau.
Nous sommes bousculés (physiquement !), secoués dans nos certitudes, perturbés dans notre pratique, agacés par le bruit, désorientés face à la complexité du lieu et de ses occupants. Nous faisons l’expérience de l’universalité de l’Église. En tant que catholiques latins français, nous sommes dérangés : nous voulons recueillement et silence, et finalement c’est souvent tout le contraire, car les expressions de foi sont multiples. D’une démarche de pèlerinage avec notre groupe, nous nous retrouvons seuls face à l’incommensurable. Voilà donc la bénédiction du Saint-Sépulcre qui nous oblige ! Le lieu, les hommes, les rites nous font faire individuellement l’expérience réelle d’être au pied de la Croix, comme Jean, et l’expérience des femmes, de Pierre et de Jean devant le tombeau vide. Seul à répondre de notre foi ou à ne pas y répondre. Lors de sa visite au Saint-Sépulcre en 2000, Jean Paul II déclarait dans son discours : “En ce lieu saint, où Jésus a été crucifié, est mort et est ressuscité, la foi chrétienne trouve son sommet et sa profondeur. C’est ici que le Fils de Dieu a assumé notre humanité pour nous réconcilier avec le Père et nous donner la vie éternelle.” C’est véritablement la rencontre de l’humanité, de la diversité des nations, des langues, des personnes, des costumes… Tous à l’image et à la ressemblance de Dieu.
Cette diversité d’expressions de foi, depuis les processions latines, orthodoxes, syriaques et arméniennes jusqu’aux gestes des pèlerins qui polissent les lieux adorés, nous fait faire l’expérience de ce que dit saint Paul (1Co 12, 12-13) : “Le corps ne fait qu’un, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ. C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit”.
Certainement, l’atmosphère de cette église, mêlant ombre et lumière, imprégnée de ferveur religieuse et de dévotion, pousse croyants ou non-croyants à franchir la porte de l’Anastasis. Que cela soit à la basilique de la Nativité à Bethléem ou au tombeau, le rituel veut qu’on s’y rende, même s’il faut savoir patienter des heures durant pour n’y rester qu’une brève minute. Pourquoi faire la queue ? Sans doute parce qu’il y a une expérience à vivre en se laissant saisir par le mystère de la mort et de la Résurrection, en s’en remettant à Dieu. Nous y passons le temps d’un battement de cœur. Nous y arrivons “dépourvus d’oxygène” à cause de nos fardeaux, nos blessures, nos supplications. Qui sait si nous ne nous oxygénons pas dans ce tombeau vide ! “Il n’est pas ici”, voilà le souffle nouveau. Il nous attend en Galilée…
Ainsi, à l’issue de leur démarche, lorsque les pèlerins se rassemblent pour célébrer la messe de la Résurrection dans les chapelles dédiées, ou dans l’une des nombreuses églises de Jérusalem, c’est en témoins qu’ils rendent grâce. ♦
Dernière mise à jour: 21/05/2024 11:32