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Il y a 500 ans, Ignace de Loyola en Terre Sainte

Luri Sandrin, sj
3 août 2023
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↗ Manu militari Quand on apprit au monastère qu’il était parti de la sorte sans guide, les moines firent diligence pour l’envoyer chercher. En effet, comme il descendait du mont des Oliviers, il tomba sur un chrétien de la Ceinture qui servait dans le monastère (26), lequel, brandissant un grand bâton et manifestant une vive colère, faisait mine de vouloir le rosser et, l’ayant rejoint, le saisit avec rudesse par le bras (27). Lui se laissa facilement emmener. Mais le brave homme ne desserra pas son étreinte. En allant sur ce chemin, empoigné de la sorte par le chrétien de la Ceinture, Ignace reçut de Notre-Seigneur une grande consolation : il lui sembla voir le Christ sans cesse au-dessus de lui. Et ce moment de parfaite plénitude dura jusqu’à son arrivée au monastère. Source : Le récit du pèlerin, 48 --- Théodore Galle (1566-1638), Quatre scènes de la vie de saint Ignace de Loyola - Gravure de 1610.

Il y a 500 ans, les franciscains de la Custodie de Terre Sainte ont renvoyé de Jérusalem un chevalier basque tout juste converti, pour excès de zèle. Ignace de Loyola l’ignorait encore, mais il repartait pour fonder, quelques années, plus tard, la Compagnie de Jésus, dont on appelle les membres les jésuites. Retour sur un pèlerinage singulier.


Nous sommes le 4 septembre 1523, Jérusalem apparaît pour la première fois aux yeux d’Íñigo Lopez de Loyola (1491-1556). Issu d’une famille de la petite noblesse basque, animé d’idéaux chevaleresques et fasciné par la vie de cour, il vient d’initier un chemin de conversion important.

Plus tard, le monde entier le connaîtra sous le nom d’Ignace de Loyola. C’est dans la Ville sainte qu’il commença et termina son pèlerinage en Terre Sainte, qui dura 32 jours au total, bien que le départ effectif du port de Jaffa n’ait eu lieu que le 3 octobre.

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Comme c’est souvent le cas aujourd’hui encore, l’expérience du pèlerinage en Terre Sainte ne se limite pas à la durée d’un séjour ponctué d’étapes. Elle s’inscrit dans un temps long, qui commence avec l’intuition et le désir d’entreprendre le “saint voyage”, se poursuit dans le secret du cœur jusqu’à ce moment, toujours difficile à cerner, de la maturation des fruits d’une telle expérience.

une des 140 statues de la colonnade qui délimitent la place Saint-Pierre à Rome est à l’effigie de saint Ignace ©AlfvanBeem/Wikicommon

Parler de dilatation du temps est particulièrement pertinent en ce qui concerne saint Ignace. En 1521 il envisagea de partir en pèlerin pour la Terre Sainte. Il sortait d’une longue période de convalescence due à une blessure subie au combat. En 1538 lui et ses premiers compagnons renoncèrent à s’y installer pour toujours et à y poursuivre le pèlerinage du reste de leur vie.

Projet de vie

Le pèlerin qui s’embarqua de Barcelone pour Rome en mars 1523, plus d’un an et demi après avoir pris la décision de se rendre aux Lieux saints, ne visait plus seulement un exploit à accomplir dans le cadre de son parcours de conversion, mais le rendez-vous avec Jérusalem était progressivement devenu un projet de vie. Ignace voulait s’y installer pour asseoir son expérience personnelle de disciple de Jésus, désireux d’inscrire ses pas dans ceux du Maître, et aussi parce que c’était là qu’il pensait pouvoir le mieux donner corps à l’élan apostolique qu’il avait mûri d’“aider les âmes”.

Il sentait pouvoir le faire dans un contexte radical, en se tenant “parmi les infidèles”, et aussi dans la perspective – pas entièrement exempte d’idéaux chevaleresques – de contribuer à leur “conversion”. Après un an et demi de maturation intérieure et le temps de remédier à quelques soucis de santé, son intuition se transforma en un projet qu’il exécuta à une cadence plus linéaire et plus expéditive.

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Il se rendit de Barcelone à Rome afin d’obtenir les lettres de créance et les autorisations pour pouvoir se rendre en Terre Sainte avec le statut de pèlerin à part entière. Puis de Rome, il prit la route pour Venise afin de trouver un bateau sur lequel embarquer. En chemin il mendia ce qui était nécessaire pour soutenir les frais du voyage, et effectuer la traversée tant désirée.

Rares et succinctes sont les informations sur les jours passés en Terre Sainte, que l’on trouve dans l’autobiographie dictée par Ignace vers la fin de sa vie (voir encadré). C’est le même itinéraire que des centaines de pèlerins avaient parcouru plus ou moins anonymement ces années-là et qu’il partageait avec vingt autres compagnons de route, dont quatre moururent à cause d’une santé précaire mise à l’épreuve par les fatigues du voyage.

S’installer en Terre Sainte

Le trajet à cette époque était préparé par les frères de la Custodie chargés de l’accueil des pèlerins. Il devait permettre une expérience spirituelle et dévotionnelle compatible avec les “exigences de sécurité”. Les carnets du Suisse Peter Füssli et de l’Alsacien Philip Hagen, deux des compagnons de route d’Ignace, sont une source précieuse pour reconstituer le pèlerinage qui eut lieu à la fin de l’été 1523. Les pèlerins furent accueillis et logés au couvent franciscain du Mont Sion.

Leur groupe fut l’un des derniers (peut-être le dernier !) à pouvoir célébrer l’eucharistie dans la salle de la Dernière Cène (dont les franciscains furent privés en 1524 par les Ottomans NDLR). Il s’agissait le plus souvent d’un itinéraire dans la Ville sainte et ses environs, avec quelques visites jusqu’à Bethléem et Jéricho. Ignace et son groupe ne se sont pas rendus en Galilée, ni en Samarie, réputées pour être des “territoires dangereux” à cette époque.

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En revanche, le récit autobiographique d’Ignace sur sa dernière journée à Jérusalem, le 22 septembre 1523, est très détaillé. Ce jour-là, plusieurs événements se déroulèrent, à commencer par sa rencontre avec le custode de Terre Sainte (Angelo da Ferrara NDLR), moment crucial au cours duquel le pèlerin basque manifesta son intention de ne pas repartir avec le groupe, mais de s’installer de façon permanente en Terre Sainte.

La réponse du custode fut claire et nette : il n’y avait pas moyen qu’Ignace reste plus longtemps, et encore moins qu’il s’installe là. La décision était motivée par le fait que les frères de la Custodie rencontraient des difficultés croissantes avec les autorités ottomanes, rendant plus difficiles les conditions pour assurer la sécurité, non seulement des pèlerins et des Lieux saints, mais aussi le maintien de la présence des frères eux-mêmes.

Dernières heures mouvementées

Le message du custode fut très clair : la présence d’un “électron libre”, au profil humain et ecclésial si difficile à cadrer et à gérer, était tenue pour problématique et potentiellement source de soucis supplémentaires. Il avait entrevu la générosité et la passion typique du nouveau converti, prêt à vivre sobrement en subvenant à ses besoins, demandant l’aumône dans un contexte risqué et délicat, prêt à vouloir “aider les âmes”, mais sans aucune expérience ni qualification pour ce faire.

Alors qu’Ignace ne semblait pas convaincu par les arguments de prudence, le custode lui précisa qu’il avait la faculté de l’excommunier et qu’il était prêt à y recourir, au cas où il ne renoncerait pas à son dessein et tenterait de désobéir.

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Ignace fut submergé par l’émotion de voir s’effondrer, lors d’un bref échange, un projet de vie construit au fil du temps et mûri par la “volonté de Dieu”. Sa perplexité était totale et sa tristesse profonde. Son bouleversement fut à son comble quelques heures avant le départ et il cherchait une manière appropriée de faire ses adieux, non seulement à Jérusalem, mais aussi au dessein d’une “nouvelle vie” qu’il avait élaboré jusqu’alors.

Ses dernières heures furent mouvementées. Ignace quitta son groupe pour aller seul au sanctuaire de l’Ascension, au sommet du mont des Oliviers, et faire ses adieux à la Terre Sainte à l’endroit même où le Seigneur Jésus ressuscité l’avait fait à ses disciples.

À la recherche d’un signe

Cet élan de dévotion il le répéta deux fois, car pour trouver la paix dans son adieu forcé à la terre sur laquelle le Seigneur s’était rendu présent, il était capital, non seulement de se rendre au sanctuaire, mais d’y entrer afin de voir la pierre où sont imprimées les empreintes laissées par le Ressuscité avant sa montée au ciel.

La dernière image qu’Ignace voulait garder de son pèlerinage était la direction indiquée par ces empreintes, à la recherche d’un signe qui lui indiquerait ce qu’il devait faire de sa vie. Comment orienter son désir de prendre soin des choses de Dieu, et trouver sa place dans les trames de l’Histoire humaine ?

La réponse se dessina progressivement, après une succession d’événements tortueux, qui aboutirent à la naissance de la Compagnie de Jésus en 1540. C’était 13 ans après l’été 1523, et après une deuxième tentative infructueuse de retourner en Terre Sainte avec quelques compagnons désireux d’y passer leur vie, comme Íñigo l’avait lui-même souhaité. Mais c’est une autre histoire, et Ignace de Loyola, qui avec ces compagnons allait fonder la Compagnie de Jésus, était un être profondément différent, même s’il conservait une partie de ce désir d’être en contact avec les lieux où le Seigneur Jésus était toujours présent dans son cœur.

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