Reportage dans un monastère oblige, la rencontre commence par l’office des Laudes intégré à la messe. Départ matinal de Jérusalem pour être à l’heure à 6h30. Et pourtant, réveil tardif par rapport à la communauté des Cisterciens de stricte observance qui nous accueille. Les biens nommés, ils se sont réveillés à 4h00 pour être au chœur à 4h15 pour les matines ! Dans les stalles, on compte dix-sept moines, de nationalités variées, qui unissent leur prière en langue française.
C’est en 1890 que l’Abbaye de Sept-Fons dans l’Allier fonda ce monastère à mi-chemin entre Jérusalem et Jaffa-Tel Aviv. À défaut d’avoir accueilli assez de vocations locales, la majorité des moines sont toujours issus de la maison-mère. Mais il y a quelques années, Latroun a précisé son attente, il fallait du sang neuf et jeune. C’est ainsi qu’a été envoyé en 2018 frère Aloïs, alors âgé de 31 ans. A son arrivée, on lui confia la gestion des vignes qui ont fait la réputation du monastère dans tout le Moyen-Orient et encore aujourd’hui en Israël. Entré à Sept-Fons, dont la spécialité sont les produits à base de blé, il a fallu que ce parisien d’origine apprenne tout. Les vignes du monastère étaient dans un état critique. Confiées quelques années auparavant à un exploitant israélien, elles dépérissaient.
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Au milieu du vignoble
À l’invitation de frère Aloïs, la voiture de la rédaction se prend pour un 4×4 et s’enfonce dans les chemins du domaine. Le paysage illustre l’endroit où nous sommes, au cœur de la Shéphéla, la montagne basse située entre les montagnes de Judée et la plaine côtière de la Philistie.
“Vous voyez le wadi en bas ? Tout ce qui est de ce côté du wadi est à nous, au-delà c’est Nevé shalom. Le vignoble de Latroun, ce sont quelque 20 hectares ; chaque année nous avons choisi une ou deux parcelles, et nous avons opéré des tailles profondes pour renouveler les ceps, changé des fils, des piquets…” Surprise, ces derniers sont en acier. “Comme il y a peu de bois ici, ce serait trop cher, explique frère Aloïs, par ailleurs, les vignes sont ici plus hautes qu’en Europe.”
Nous sommes à dix jours des premières vendanges et frère Aloïs embrasse d’un œil gourmand les rangs qui défilent sous nos yeux. “Nous avons beaucoup investi ces dernières années, mais nous en récoltons le fruit”. Littéralement. “Cette année est une belle année. La récolte ne va pas être trop abondante, il y a de la quantité mais c’est raisonnable. La vigne n’a pas eu trop d’eau.” Frère Aloïs explique la vigne et ses besoins en vieux briscard des vignobles.
Il a fait arrêter la voiture devant les rangs d’une vigne en pente douce : pinot noir et muscat, dont la dégustation est un délice. “Quand je suis arrivé les vendanges se faisaient à la machine ; comme le palissage n’était pas en bon état, la machine abîmait les plants. Depuis, petit à petit, nous sommes revenus à des vendanges manuelles, et ces deux dernières années tout a été fait à la main.”
Ne dérogeant pas à la priorité donnée à la prière, les moines qui le peuvent ne rejoignent les vendangeurs qu’après 8 heures, eux qui ont embauché dès 5 heures, “car ici, passée une certaine heure, il fait trop chaud pour travailler”.
Latroun emploie trois ouvriers agricoles à la vigne à plein temps, trois ouvriers pour la cave, trois ouvriers pour les travaux divers : maçonnerie, électricité, entretien. Au moment des vendanges, il faut une équipe de vingt personnes. “Faites-vous appel à des volontaires français ?” “La question se pose en communauté. D’un côté, nous offrons du travail à des ouvriers palestiniens et cela fait partie de notre “rôle”, d’un autre côté, nous voudrions faire connaître le quotidien de notre vie monastique à des jeunes.”
Dans son tracteur Kubota flambant neuf – offert par la Lieutenance de France des Chevaliers du Saint-Sépulcre – arrive Adham. Adham habite à 8 km à vol d’oiseau, mais la situation de son village de Bayt Liqya de l’autre côté de la ligne d’Armistice de 1949 rend sa venue quotidienne autrement plus longue en kilomètres et en temps. Cela fait 17 ans qu’Adham travaille pour le monastère, et c’est le bras droit de frère Aloïs. “Il supervise la petite équipe qui réalise toutes les interventions nécessaires : travailler la terre, mettre les engrais, traiter avec les pesticides – car les maladies de la vigne sont très fortes. Nous ne sommes pas en bio – pour l’instant – donc il faut traiter. Et le plus important, il a pris en main tous les travaux en vert : ébourgeonnage, épamprage, effeuillage”.
Un travail de qualité
La production annuelle avoisine les 100 000 bouteilles.
Elle est tout entière écoulée en Israël, à la boutique du monastère et principalement le samedi. Frère Aloïs et frère Daniel, le frère hôtelier en charge du magasin, envisagent de développer la vente par Internet avec livraison à domicile en Israël, car l’exportation serait trop onéreuse. Avec des cépages tels que le cabernet sauvignon, le chardonnay et le pinot noir, le vin de Latroun, qui n’est pas casher, passe pour un vin “français”. Son prix à la vente reste pourtant abordable à la différence de nombre de vins israéliens qui dépassent vite les 20€ la bouteille, contre 13€ en moyenne ici.
Depuis un an, frère Aloïs a également pris les rênes de la cave. Il s’appuie sur Adham Kassis, jeune œnologue originaire de Bir Zeit, formé à Latroun et au Chili, arrivé au chai en 2016 pour assurer la vinification. Ensemble ils commencent à moderniser l’endroit. Les progrès se mesureront dans le temps. Frère Aloïs aimerait renouveler davantage de parcelles. “Les vignes ont 20 ans, c’est vieux pour le pays où les conditions climatiques et un meilleur rendement les usent plus vite qu’en France où elles peuvent aller jusqu’à 40 ans en moyenne, 80 ou 100 pour les plus anciennes.”
Des projets pour Latroun, les jeunes religieux arrivés en renfort n’en manquent pas. Ceux qui dans le pays sont appelés depuis un siècle “les moines silencieux” sont prêts à parler un peu plus au monde lors du passage de groupes de pèlerins – “dans la mesure de nos forces et des possibilités horaires car nous ne sommes pas très nombreux” – avec un site Internet pour rayonner. “C’est un privilège d’être moine en Terre Sainte, mesure frère Aloïs. Si nous sommes bien sur le site d’Emmaüs (Emmaüs Nicopolis est à 1km de l’autre côté de l’autoroute), alors, Notre Seigneur est passé par ici, explique-t-il après nous avoir montré l’ancienne route longeant des vignes, et qui sait s’il n’a pas bu du vin de Latroun ?” dit-il dans un grand sourire.
L’heure tourne, et c’est un nouvel office qui sonne. Nous quittons le moine qui s’en retourne à ce qui demeure son essentiel et celui de la communauté : la prière monastique. En silence, Latroun se renouvelle dans la tradition, afin de donner de nouveaux fruits spirituels et qu’en toute chose Dieu soit glorifié. Trinquons donc à cela ! ♦
Dernière mise à jour: 24/01/2024 13:57