Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

De la vigne au vin

Claire Burkel (Enseignante à l’École Cathédrale-Paris)
30 septembre 2023
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De la vigne au vin
Le site de khirbet el mukhayyat, à 3,5 km du mont Nébo, abrite les magnifiques mosaïques de l’église consacrée aux saints Lot et Procope. Elles représentent notamment les étapes de fabrication du vin.

De Noé, le premier buveur de vin, à Cana où de l’eau devient un excellent nectar, le vin est sur toutes les tables de la Bible, de tous les événements. Riche de ses tanins, mais aussi de tant de symboles que nous pouvons décrypter.


Au long des fouilles menées dans tout le territoire palestino-israélien, et tout le Proche-Orient, les archéologues exhument quantité de pressoirs à raisin, de cuves de décantation, d’amphores et de cruches qui ont contenu le précieux liquide ; ils mettent au jour des mosaïques de ceps de vigne et de grappes plantureuses. Il n’y a pas de doute, dès le troisième millénaire, partout, jusqu’au Négev nabatéen, on buvait du vin.

C’est ainsi qu’on a voulu l’inscrire comme la première culture de l’homme à peine sauvé du Déluge : « Noé le cultivateur commença de planter la vigne » -Gn 9, 20. Si tous enivrent, les crus ne se valaient pas tous et on sait aussi que des importations circulaient depuis Chypre, Rhodes ou de Grèce, témoins les estampilles sur les anses des jarres portant parfois un nom de négociant.

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Les analyses des fonds de jarres ont montré que les vins étaient souvent aromatisés avec des épices, cannelle, genièvre, ou des herbes, menthe, basilic, ou encore du miel : « Venez, mangez de mon pain, buvez de mon vin que j’ai préparé » dit la Sagesse -Pr 9, 5. En général le vin était coupé d’eau car il était trop fort pour être bu entier : Is 25, 6 « Le Seigneur Sabaot prépare un festin de viandes grasses et de bons vins, de viandes moelleuses et de vins décantés. » Bien avant l’installation des tribus en Terre promise la viticulture est attestée dans l’Ancien Testament. Lorsque du désert du Sinaï Moïse envoie des explorateurs dans la région d’Hébron au nord du Négev, afin de savoir si le pays est pauvre ou généreux, ceux-ci doivent se mettre à deux pour porter, à l’aide d’une perche, une seule grappe de raisin tant elle est lourde -Nb 13, 7-23. Récit d’exagération qui frise la légende, certes, mais qui témoigne de la fécondité du pays aux yeux d’une population nomade qui ne cultive pas. Plus tard on verra que le clan de Juda tire sa richesse des produits viticoles et d’élevage, si l’on s’en tient à la bénédiction qu’il reçoit du patriarche Jacob en Gn 49, 11-12 : “Juda lie à la vigne son ânon, au cep le petit de son ânesse, il lave son vêtement dans le vin, son habit dans le sang des raisins, ses yeux sont troubles de vin, ses dents blanches de lait.” La culture de la vigne ne s’est pas limitée à ce territoire, elle était aussi pratiquée au nord comme en font foi des ostraca du VIIIe siècle av. J.-C. trouvés à Samarie et qui mentionnent “des jarres de vin vieux”. Ainsi que le récit de la vigne du pieux Nabot, convoitée par le roi d’Israël Achab -1R 21, 1-16. Abraham, lors de sa rencontre avec l’énigmatique Melchisédech, s’étonne de l’offrande si simple de ce prêtre : “du pain et du vin” -Gn 14, 18 ; mais plus tard le vin fera partie de généreuses libations sur les autels, et l’on offrira parfois des gâteaux de raisins avec des galettes pétries à l’huile. Sa culture est si répandue, et appréciée, que l’hébreu connaît deux mots pour “la vigne” : gefen qui est le plant sauvage et kerem qui est une vigne soignée ; de ce terme vient la couleur carmin.

La vigne d’Israël

Au VIIIe siècle Osée le premier, fait de cette plante parmi les plus communes, les plus répandues et les plus appréciées en Orient, une image du peuple que Dieu s’est choisi : “Israël était une gefen luxuriante qui donnait bien son fruit. Plus son fruit se multipliait, plus il a multiplié les autels ; plus son pays devenait riche, plus riches il a fait les stèles. Leur cœur est double !” reproche Os 10, 1 ; voilà pour le polythéisme tentateur. Isaïe, à peu près à la même époque, en a tiré une parabole : “Que je chante à mon bien-aimé le chant de mon ami pour sa kerem. Mon bien-aimé avait une vigne sur un coteau fertile. Il la bêcha, l’épierra, planta du raisin vermeil. Au milieu il bâtit une tour, creusa un pressoir. Il attendait de beaux raisins, elle donna des raisins sauvages. Eh bien, la vigne du Seigneur Sabaot, c’est la maison d’Israël, et l’homme de Juda, son plant de choix. Il attendait le droit et voici l’iniquité, la justice et voici les cris.” -Is 5, 1-7 Après ces deux prophètes, la vigne représentera toujours le peuple de Dieu, planté en bonne terre. “Il était une vigne, tu l’arraches d’Égypte, tu chasses des nations pour la planter. Devant elle tu fais place nette, elle s’enracine et remplit le pays.” -Ps 80, 9-15

“Fruit de la vigne et du travail des hommes”

Terre choisie, mais non facile à travailler et faire fructifier. Que de soins patients elle exige, de tous temps et en tous lieux ! Il lui faut un coteau ensoleillé, de fréquents sarclages, d’incessants épierrages, tant le sol est rocailleux ; après chaque orage le vigneron devra consolider les murets qui retiennent la terre sur les pentes ; et à la sortie de l’hiver il taillera les vieilles tiges, mais également à la fin du printemps “quand la fleur devient grappe mûrissante, on taille les pampres à la serpe, on ôte des sarments, on élague” -Is 18, 5.
La vigne, c’est donc le peuple de Dieu installé dans sa terre d’élection. Et les fruits que Dieu en attend doivent être le rejet absolu de tous les autres dieux, ces vaines idoles, la pureté du culte rendu au Seigneur seul, la justice et non la corruption, la charité envers les indigents. Plusieurs fois dans l’Histoire, Dieu se fait vigneron, prenant un soin jaloux de son peuple, parfois même en élaguant ses branches pour que le fruit soit plus abondant et de meilleure qualité : “Tout sarment en moi qui ne porte pas de fruit, mon Père l’émonde pour qu’il porte encore plus de fruit.” déclare Jésus à ses disciples -Jn 15, 2-6. Le langage parabolique du Christ est parfaitement compris de ses contemporains, car l’image de la vigne est de longtemps connue de tous. Et sans prononcer le mot “Église”, il décrit le fonctionnement des disciples attachés au Christ : “De même que le sarment ne peut, de lui-même, porter du fruit, s’il ne demeure sur la vigne, ainsi vous non plus, si vous ne demeurez pas sur la vigne. Je suis la vigne, vous êtes les sarments. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment inutile et il se dessèche.” L’unité de tout le pied de vigne figure l’intimité qui doit exister entre le Christ et ses proches, condition pour la fécondité.
Parce qu’elles expriment au mieux la situation d’Israël par rapport à Dieu, Jésus affectionne les histoires de vigne : “Un homme était propriétaire et il planta une vigne ; il l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et y bâtit une tour, puis il la loua à des vignerons et partit en voyage…” -Mt 21, 33-46 ; “Un homme avait un figuier planté dans sa vigne…” -Lc 13, 6-9. Cet autre don de la nature qu’est le figuier, lui aussi vénérable, est souvent associé aux ceps. Jésus choisit ces images pour révéler l’icône de sa personne : “Il envoya aux vignerons son fils bien-aimé en se disant ‘ils respecteront mon fils’. Mais ceux-ci se dirent ‘tuons-le et l’héritage sera à nous’… Ils le tuèrent et le jetèrent hors de la vigne” -Mc 12, 1-9. Un exemple frappant se trouve dans la parabole matthéenne des ouvriers viticoles 20, 1-16 : “Il en va du Royaume des cieux comme d’un propriétaire qui sortit au point du jour afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il convint avec les ouvriers d’un denier pour la journée et les envoya à sa vigne…” Si l’on compare les heures d’embauche “point du jour, troisième, neuvième et onzième heures” avec celles de la Passion, on comprendra que la Résurrection est le juste salaire de celui qui a travaillé toute la journée à annoncer la Bonne Nouvelle.
À l’automne, les grains de raisin sont mis à sécher et feront les fruits, le sucre de l’hiver : on voit Abigaïl offrir à David “cent grappes de raisins secs” -1S 25, 18 ; et le fils de Jessé devenu roi distribuer à la foule des gâteaux de raisins et de figues -2S 6, 19. La fête juive de soukkot, au moment des vendanges, est la plus joyeuse de l’année, pleine d’espérance dans le retour de la pluie pour le sol assoiffé et confiante dans les richesses à engranger, amandes et pommes, dattes, noix et raisins.
Le vin servait aussi d’antiseptique : Lc 10, 34 “Le Samaritain s’approcha, banda ses plaies, y versant de l’huile et du vin.” C’est dire qu’il pouvait être fort en alcool ! Et de tonique comme Paul le conseille à son cher Timothée : “Cesse de ne boire que de l’eau, bois un peu de vin à cause de ton estomac et de tes fréquents malaises” -1Tm 5, 23. Tout en connaissant ses effets néfastes si on en abuse : “Ne vous enivrez pas de vin, on n’y trouve que libertinage” -Ep 5, 18. Il sera donc prudent de choisir pour ministres de l’Église des hommes à la sobriété avérée : “Les diacres seront des hommes dignes, n’ayant qu’une parole, modérés dans l’usage du vin.” -1Tm 3, 8.
Enfin si le psalmiste s’écrie : “Seigneur, tu as mis en mon cœur plus de joie qu’au jour où le vin nouveau déborde” -Ps 4, 8, c’est que le vin fait la fête, réjouit les mariages, adoucit les blessures. Le fruit de la vigne manifeste l’amour éternel de Dieu pour le bonheur de tous les hommes.♦

Dernière mise à jour: 22/05/2024 13:38

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