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La communauté chrétienne de Gaza en état de survie

Marie-Armelle Beaulieu
11 novembre 2023
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Le père Gabriel Romanelli rencontré au patriarcat latin le 10 novembre 2023. ©MAB/TSM

Depuis Jérusalem, où par un concours de circonstances il se trouve coincé, le curé de Gaza donne des nouvelles de la communauté chrétienne restée dans Gaza-City. Une situation qui empire chaque heure.


Il est 18h00 au patriarcat latin. Il fait nuit et les bureaux ont fermé. Soudain, du fin fond des longs couloirs déserts, s’élève un cantique joyeux. Le père Gabriel arrive.

Il doit nous trouver tout étonnées de ses chants tandis que sa chère communauté paroissiale de Gaza est sous les bombes. « C’était un chantant à Jésus. Ça dit : Tu es ma vie. Je chante ça un instant et le suivant le plus sombre des psaumes. C’est comme ça… Les sentiments se bousculent ».

Coincé à Jérusalem le père Gabriel Romanelli, le curé de Gaza, n’a plus que ça : la prière. La prière et le téléphone.

Il le relit comme un cordon ombilical à sa communauté : « Ça fait trois jours qu’il n’y a plus ni internet ni téléphone ou à peine. Aujourd’hui je n’ai eu qu’une minute le père Youssuf », son vicaire, originaire d’Egypte, comme lui de la communauté du Verbe incarné.

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Le père Gabriel est à Jérusalem « parce que le Seigneur l’a permis ainsi ». « Je suis revenu de Rome le jeudi 5 octobre au soir et prévoyais d’entrer dans Gaza dès le lendemain, le vendredi 6 au matin. Mais je devais apporter des médicaments à une sœur or ils étaient encore à Nazareth. » Comme on n’entre ou ne sort pas si facilement de Gaza, il fallait pouvoir apporter les médicaments. L’entrée se ferait dimanche, après le shabbat.

Le père Gabriel « coincé » à Jérusalem

« Le shabbat noir » comme on l’appelle en Israël. Ce samedi 7 octobre, date à laquelle le Hamas a lancé son opération terroriste « Déluge d’Al Aqsa », en repésailles aux « attaques incessantes des forces israéliennes et des colons contre le peuple palestinien » disait son communiqué.

Elle a causé la mort de 1200 Israéliens [1], la plupart des civils, dans des conditions ignominieuses et s’est accompagnée du kidnapping de près de 250 personnes.

Depuis, l’emblématique curé de Gaza, un Argentin de 54 ans, est séparé de sa communauté. À la question comment le vivez-vous ? Son visage devient livide, il a comme le souffle coupé mais il se ressaisit : « Tout ce que je fais d’ici pour aider la communauté, les témoignages que je livre pour faire connaître ce qu’elle vit, je ne pourrais pas le faire si j’étais là-bas. Alors je me console comme ça. Et quand ce sera la guerre sera terminée, alors je pourrai peut-être me rendre utile sur place. »

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La communauté chrétienne de Gaza, ce sont 135 catholiques, quelques protestants et près de 900 grecs-orthodoxes. « Quelques rares chrétiens sont descendus dans le sud de la bande, suivant les ordres d’évacuation de l’armée israélienne. Mais la plupart sont restés. A la paroisse de la Sainte-Famille, nous accueillons 700 personnes. Le reste de la communauté est à la paroisse orthodoxe.»

Une communauté décidée à rester

Des situations d’urgence, la paroisse en a déjà vécu de nombreuses. Ce n’est pas comme si à Gaza – qui a déjà connu quatre guerres depuis 2005 – la vie était un long fleuve tranquille. Dans les périodes d’accalmie, la vie quotidienne n’est pas tous les jours facile pour ces 1000 chrétiens qui vivent au milieu de 2 300 000 musulmans dont certains sont radicalisés. Mais c’est la première fois qu’une guerre prend cette ampleur.

Depuis quelques jours, Israël fait savoir aux populations restant à Gaza-City – où se situe la paroisse dans le quartier de Zeitoun – qu’elles doivent évacuer vers le sud. Le père Gabriel tempête quand on lui parle de corridor humanitaire. « Quel corridor humanitaire quand les voies sont bombardées comme l’est aussi le sud. Israël dit avoir laissé entrer 800 camions en un mois ? Il en entrait 400 à 600 par jours avant la guerre et ce n’était déjà pas suffisant. Où est l’humanité là-dedans ? »

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Un instant le père gabriel Romanelli, curé de Gaza, se prend la tête dans les mains, ©MAB/TSM

La communauté chrétienne de Gaza reste pourtant décidée à rester, même si ces jours-ci les bombardements se sont intensifiés autour de la paroisse. « L’armée utilise maintenant ces bombes qui vont très profondeur. L’impression est celle d’un tremblement de terre. Même si nos locaux ne sont pas visés, on a peur que les buildings alentour ne tombent ou que l’église ne s’écroule. Pour la paroisse orthodoxe, c’est vrai qu’elle n’était pas visée. Israël a parlé d’un croisement à proximité. Oui, à proximité, à proximité de deux mètres ! Tu imagines une bombe à deux mètres les dégâts alentour ? »

Les dernières photos faites et publiées sur Facebook par le père Youssuf montrent d’ailleurs que les murs de l’église latine se craquellent sérieusement. « On a peur qu’à force les murs ne s’écroulent. Certains fidèles dorment à l’intérieur. Les nuits se sont rafraichies et il n’y a pas assez de place pour tout le monde dans les locaux paroissiaux. On a cherché à acheter des tentes mais on n’en a pas trouvé à Gaza-City ».

Une communauté organisée pour la vie et la survie

Le père Gabriel raconte. Ses mains virevoltent. Il essaie de les contenir autant qu’il se contient lui-même. Parfois, il se prend la tête mais se ressaisit aussitôt pour s’agripper de nouveau à l’espérance et vous décoche un essai de sourire souligné par ses fossettes. Puis il enchaine : « Israël a détruit les puits, puis les réservoirs au-dessus des toits. Et aussi tous les panneaux solaires. Des quartiers entiers sont réduits à la poussière. Il a aussi bombardé les boulangeries. Il détruit tout ce qui fait du lien social. »

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La communauté demeure dans ces conditions parce que, malgré toutes les destructions, cela reste l’endroit le plus sûr pour elle et le plus rassurant. « Et comment les sœurs de la Charité auraient-elles pu emmener les 40 enfants handicapés dont elles s’occupent ?… On est ensemble, on s’organise. J’ai fait se créer des comités. Il y en a un pour la recherche de l’eau, l’autre la nourriture, un autre le diesel, la sécurité, la propreté, le rangement, les activités des enfants… »

Avec le père Youssuf, il y a trois sœurs de la branche féminine du Verbe incarné, trois sœurs de la Charité de mère Teresa, trois sœurs du Rosaire, l’unique congrégation palestinienne. Avec les laïcs, elles s’occupent des enfants et de la vie quotidienne car entre deux bombardements, il faut vivre. « Si un seul bombardement peut traumatiser une personne pour la vie entière, tu imagines quand tu es pilonné à longueur de nuit et de jour durant un mois. » Père Gabriel n’en revient pas lui-même de la façon dont la communauté tient.

Les appels quotidiens du pape par téléphone

« D’ici, on essaie de les soutenir autant que possible. » Le soutien c’est le sien qui appelle chaque jour, prodigue encouragements et conseils mais aussi se rend disponible, même la nuit, pour répondre aux appels des fidèles angoissés qui attendent une parole de réconfort. Le soutien c’est encore l’action diplomatique du Cardinal Pizzaballa en contact constant avec le Pape. « Lui-même, pape François, appelle une ou deux fois par jour les sœurs à Gaza. Et la communauté attend cet appel quotidien et son message : vous n’êtes pas seuls, je prie pour vous, l’Eglise prie pour vous. »

Pour précieuses que soient ces actions, le temps passe. La guerre dure et s’intensifie dans Gaza-City. La communauté chrétienne est en état de survie. « Comme nous sommes habitués aux coups durs, chacun a des réserves chez soi. Alors les gens sont arrivés avec des choses. Ou parfois sont allés chercher des réserves chez eux ou dans des maisons abandonnées où ils ont été autorisés à entrer après un coup de fil au propriétaire ». La paroisse a acheté beaucoup, tant qu’elle a pu, mais entre les destructions alentours, le départ de la population, les risques à sortir, la situation devient chaque heure plus critique. « On avait des réserves pour tenir une semaine ou deux mais là ça fait un mois… un mois… » répète-t-il effaré. Alors à la paroisse, on se rationne.

« Quand cela finira-t-il ? », interroge le père Gabriel, « et que restera-t-il ? Il y a à ce jour (10 novembre NDLR) au moins 50 des immeubles dans lesquels vivaient nos familles qui ont été détruits. »

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Père Gabriel aspire à deux choses. « J’ai fait de la philosophie très jeune, à la recherche d’un langage rationnel. J’aimerais bien que tout le monde fasse preuve ici d’un peu plus de raison dans la façon de s’exprimer ou d’exprimer ses sentiments. J’aimerais aussi qu’on ne confonde pas ce qui doit rester distinct. Gouvernement israélien, citoyens d’Israël, peuple juif. Ou Arabes, palestiniens, musulmans, terroristes. Il faudrait apporter un peu plus de raison. » Il y a autre chose qui le tracasse : « Parce que nous sommes restés nous sommes suspects d’être partisans du Hamas ? Sérieux ? 300 000 personnes sont restées. Tout le monde n’est pas partisan du Hamas. Parfois tu es juste trop pauvre pour partir ou bien tu n’as pas où aller, pas même au sud. Rester ensemble, c’était le mieux à faire. »

Rester ensemble, mourir ensemble, demeurer au plus près de Jésus comme on l’a entendu des sœurs quand la décision fut prise. L’angoisse suprême, c’est celle qu’il ne prononce pas : et si une bombe s’abattait sur la paroisse ?

« Père Gabriel ? Vous arrive-t-il d’avoir la tentation de haïr ? » Ses yeux me regardent plein d’interrogation. « Non. » Il se tait. S’étonne encore et s’exclame : « Mais non ! Ni moi ni les paroissiens. Il n’y a ni révolte contre Dieu ni haine contre Israël. On voudrait juste que ça finisse parce que ça ne mène à rien.»

[1] Chiffres revus par les autorités israéliennes le vendredi 10 novembr..

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