Comment représenter le vide, l’absence, la mort ? Surtout quand elle se chiffre par dizaine de milliers ? À Bethléem, 8 000 cœurs en bois ont été disposés dans l’église Mar Francis le 28 décembre, pour représenter les vies de tous les enfants de moins de trois ans tués à Gaza. Et les pleurer, le temps d’une prière œcuménique.
« Aujourd’hui, l’Église se souvient des saints innocents tués par le roi Hérode alors qu’il cherchait Jésus. Ce soir, dans cette église, nous nous souvenons des saints innocents de cette guerre, lance le père Rami Asakrieh, le curé franciscain de la paroisse latine de Bethléem, en guise d’ouverture. Chaque cœur est une vie présentée devant Dieu. Chaque cœur est un rappel de notre engagement à prier et travailler pour la paix et la justice. »
« Toutes les vies sont précieuses »
Une quarantaine de personnes remplissent les bancs de l’église, des paroissiens, jeunes et moins jeunes, et quelques religieuses, tous unis par le besoin de se recueillir autour de ces vies volées et de celles à préserver. La Terre sainte est représentée dans sa diversité : les syriaques catholiques en la personne du père Frédéric Masson, les syriaques orthodoxe avec Dayroyo Boulos, les grecs catholiques avec le diacre Fadi Abou Saada, et les luthériens avec le révérend Isaac Munther, dont la « Crèche dans les décombres » et le sermon de Noël ont connu un succès retentissant au-delà de Bethléem. « Toutes les vies sont précieuses », lance-t-il pendant celui prononcé lors de la prière œcuménique, en désignant les cœurs.
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À la fin de la prière, chacun a été invité à déposer le cœur qui lui a été remis au milieu des autres « avec la tendresse avec laquelle vous coucheriez un bébé endormi ». « J’ai prié pour Khaled, et lui ai confié la vie de tous les enfants du monde », souffle une religieuse à l’issue de la procession.
Cercle vertueux
L’idée des cœurs est née sur un coin de table. Autour de quelques verres et de discussions animées dans la douceur de la mi-novembre. Un groupe d’amis, des Américains et des Palestiniens engagés dans l’église locale, se sentent frustrés : « Personne en Cisjordanie n’est capable de penser à une action collective pour exprimer sa solidarité avec Gaza », s’exaspère un jeune chrétien palestinien particulièrement investi dans la vie associative de Bethléem.
L’émulation collective fait germer quelques idées : exposer 10 000 paires de chaussures sur la place de la Mangeoire, allumer 10 000 bougies, accrocher 10 000 ballons ou drapeaux dans les rues de Bethléem… Toutes se heurtent aux mêmes problèmes logistiques, financier, pratiques et aussi environnementaux.
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C’est au cours d’une prière matinale qu’un des prêtres investi dans le projet (il a souhaité resté anonyme par humilité), a eu une idée de génie : des cœurs en bois. « On a fait travailler 6 artisans de Bethléem grâce à une levée de fonds de 20 000 euros auprès des réseaux jésuites et luthériens aux États-Unis », explique le jeune prêtre.
Un cercle vertueux pour l’économie locale qui met en valeur le savoir-faire local du travail du bois d’olivier : une partie des cœurs va être expédiée aux États-Unis pour remercier les donateurs.