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Le prestige retrouvé de l’art chrétien oriental

Olivia Jeanjean
27 décembre 2023
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© MAB/CTS

Il est 14 h, nous sommes devant la Porte Neuve de la Vieille ville de Jérusalem. Raphaëlle Ziadé et George al ’Ama, tous deux membres du comité scientifique du Terra Sancta Museum, embarquent dans un taxi direction Bethléem. L’une est conservatrice au Petit Palais et auteur du premier ouvrage de référence sur l’art chrétien oriental, l’autre est collectionneur d’art et directeur du Centre Dar al Sabagh de Bethléem qui cultive la mémoire de la diaspora palestinienne.

Ces deux figures incarnent l’approche et la méthode que trace patiemment le Terra Sancta Museum depuis sa création : une alchimie faite d’érudition scientifique et d’une fine connaissance de l’Histoire ainsi que des acteurs culturels locaux.

© Nadim Asfour/CTS

La naissance d’une discipline

Dans la voiture s’éloignant de la Vieille ville, Raphaëlle Ziadé explique : “Dans ce nouvel espace, il y aura des œuvres d’art palestiniennes mais aussi certaines pièces issues d’autres pays de la région. L’idée est de donner à voir et à découvrir un patrimoine et un ensemble artistique arabe-chrétien qui se perpétue depuis des siècles, au-delà des confessions et des particularismes de chaque communauté”.

L’experte poursuit : “Quand on pense art et christianisme au Moyen-Orient, l’empire byzantin s’impose presque comme une évidence. Ici, en Terre Sainte, on considérait qu’il ne s’était presque rien passé depuis l’arrivée des musulmans au VIIe siècle.” Du moins avant le grand succès de l’exposition “Chrétiens d’Orient. 2000 ans d’histoire” présentée à l’Institut du Monde Arabe en 2017-2018, projet également chapeauté par Raphaëlle Ziadé. Elle complète : “Il y avait bien quelques études ici ou là mais cette exposition les a fédérées et a fait émerger un sujet, celui d’une richesse artistique arabe-chrétienne traversée par de nombreuses influences.”

Décoration d’un canon d’autel avant sa restauration. Gravure à l’encre de Chine sur nacre réalisée par des artisans nacriers de Bethléem.© MAB/CTS

Depuis, les recherches se multiplient et le Louvre prépare un département dédié aux arts de Byzance et des Chrétiens en Orient dont l’ouverture au public est envisagée à l’horizon 2027.

Le musée historique du Terra Sancta Museum a connu le même cheminement. Raphaëlle souligne qu’il a fallu du temps pour que l’art chrétien oriental y prenne toute sa place. Dans la proposition initiale, les œuvres arabo-chrétiennes, notamment en nacre, témoignaient surtout des relations entre les frères franciscains et les populations locales. Aujourd’hui cet espace est devenu le reflet de la contribution des communautés chrétiennes au patrimoine artistique de Terre Sainte.

Jérusalem source d’inspiration

Si le choix des œuvres est toujours en cours de réflexion, l’un des critères de sélection sera d’être issu de Jérusalem, lieu des commencements. Parmi ces objets, certains sont religieux ou sacrés, d’autres témoignent de l’économie du pèlerinage ; œuvres en nacre, orfèvrerie, notre attention s’arrête sur les icônes de l’école – encore méconnue – “de Jérusalem”. Alors que la fin du XIXe siècle voit l’empire ottoman se déliter, une Jérusalem multiconfessionnelle, multi-ethnique et multilingue est en train de naître. Ces influences extérieures nourrissent alors une grande renaissance artistique dans la région, dont l’épicentre fut Jérusalem. La ville acquiert dès lors une place prépondérante dans ce regain créatif, toujours au carrefour entre Orient et Occident.

“La culture de l’icône est propre à cette région qui est la terre du Christ. Peu le savent, mais il y a une stabilité dans l’art de l’icône parce que c’est un objet sacré, un peu comme les hiéroglyphes qui ont perduré pendant des millénaires. Dans un langage sacré on ne touche pas à la vérité qu’il porte. Dans le musée j’aimerais que l’on puisse parler de la naissance des images en Terre Sainte et témoigner de cette permanence jusqu’à aujourd’hui.” L’école des icônes de Jérusalem sera donc présentée en héritière des premières images et représentations chrétiennes produites ici, à l’époque romaine.

Construire un discours commun

La première étape dans la conception d’un musée est certainement de comprendre l’histoire des œuvres. Changement de guide, changement de décor. Nous traversons le check-point et George al ’Ama, infatigable collectionneur d’œuvres d’art palestiniennes, dont certaines seront prêtées, nous accueille chez lui, à Bethléem. Vases, tableaux, faïences, orfèvrerie… Raphaëlle Ziadé s’arrête bouche bée devant une œuvre imposante en nacre du XIXe siècle : “C’est magnifique ! Quelle pièce unique !”

Cette œuvre, dont on nous demande expressément de taire le nom, constituera sans nul doute l’une des pièces maîtresses de la future salle de l’art chrétien oriental. Ensemble, ils passent près d’une heure à la scruter dans tous les recoins. “Je l’ai dénichée sur Internet lors d’une vente aux enchères en Autriche. Par chance, personne ne l’a vue passer” s’exclame George. Et depuis que cette dernière a rejoint sa collection, l’expert n’en dort plus la nuit ! George al ’Ama veut savoir et comprendre : par qui a-t-elle été réalisée et dans quelles circonstances ? Pourquoi a-t-il trouvé, à l’intérieur et en confettis, un journal brésilien datant de la fin du XIXe ? Le collectionneur exhibe une enveloppe en carton, en haut de laquelle est écrit “Talamas Frères. Fabrique de perles en nacre pour chapelets. À Bethléem (Palestine)”. L’excitation suscitée par cette trouvaille peut se lire sur son visage : “Cette œuvre est de Bethléem et a très probablement été exportée en Autriche. Ce n’est pas une pièce comme les autres, elle est hors-norme.”

Un membre du comité scientifique regarde à la loupe le travail d’écriture et enluminure d’un firman, un décret émis par un sultan durant l’empire ottoman.© Nadim Asfour/CTS

George va même jusqu’à penser qu’elle ait pu être offerte à l’empereur François-Joseph Ier. “Maintenant, je dois me rendre à Vienne pour avoir plus d’information sur cette famille Talamas.” Remonter à la source, un travail d’investigation essentiel pour établir la logique narrative qui lie ces objets les uns aux autres. Un exercice auquel George se prête depuis des années et qu’il met au service du musée : “Je me bats pour préserver les fragments matériels de notre culture palestinienne. La nôtre est en danger à cause de la guerre, alors le musée offre une sécurité pour toutes ces œuvres et pour notre histoire.”

Grâce à ce duo, le musée de la Custodie se colore de cet intérêt pour les communautés chrétiennes locales et des projets de recherche scientifique et de restauration germent un peu partout. “Nous avons la volonté de travailler avec les gens d’ici, affirme Raphaëlle Ziadé, pour construire une histoire commune et que la jeune génération s’empare de son Histoire.”


ŒUVRE D’ART ET D’ÉRUDITION

L’art des chrétiens d’Orient, de l’Euphrate au Nil
Auteur : Raphaëlle Ziadé
Éditeur : Citadelles & Mazenod
Format : 24,5 × 31 cm
Pagination : 592 pages
Illustrations : 600 illustrations couleur
Ouvrage relié sous jaquette et étui illustrés
ISBN : 978 2 85 088 884 7
Prix : 210 euros

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