La forme, quelle forme ? Elles ne se ressemblent pas toutes, les églises que le pèlerin visite en Terre Sainte. Plusieurs ont des plans particuliers, inhabituels, qui parfois surprennent. Explications et décryptages.
L’édicule de l’Ascension, le plus petit lieu de culte du pays, se tient sur la crête des Oliviers. D’origine c’est un édicule taillé dans le rocher, une pratique courante dans tout le Proche-Orient que l’on peut admirer à Pétra ou, plus proche, dans la vallée du Cédron où sont visibles trois tombeaux des IIe et Ier siècles av. J.-C. évidés dans la roche.
Il ne s’agissait sur ce sommet que de vénérer la trace des pieds de Jésus marquée, dit la tradition, dans le sol d’origine. En 1523 saint Ignace de Loyola en témoigne encore : “Sur le mont des Oliviers il y a une pierre d’où Notre Seigneur s’éleva vers les cieux et l’on voit encore aujourd’hui les marques de ses pieds.” – Autobiographie. Au début du Ve siècle fut construit, pour enchâsser la pierre, l’imbomon qui signifie “hauteur” : un simple édifice rond à ciel ouvert afin de manifester la montée vers le Père du Ressuscité, sous les yeux de ses disciples -Lc 24, 50-51. Un portique entourait le monument favorisant rassemblements et processions. Les Croisés au XIIe siècle la transformèrent en octogone dont les pans sont marqués par des colonnes aux chapiteaux sculptés de style roman.
Pourquoi le chiffre 8 ?
L’octogone est en effet une des formes d’églises les plus anciennes de la chrétienté qui inscrit dans l’architecture un thème spirituel. Car il y a deux façons d’annoncer le fait Résurrection. Si l’on dit qu’elle a eu lieu “le premier jour de la semaine”, on maintient un calendrier hebdomadaire : le jour de célébration des chrétiens sera le lendemain du samedi qui, chez les juifs, est le septième et dernier jour de la semaine. Le dimanche, le jour où le Christ a été vu vivant, réveillé de la mort, est donc le premier jour. Mais la déclaration “le huitième jour” révèle une nouveauté totale, la sortie des cycles calendaires, le jaillissement d’une nouvelle création, l’apparition de temps autres, messianiques. Les constructions octogonales, chapelles, églises ou baptistères, rendent compte de cette spiritualité.
Las ! le sanctuaire de l’Ascension fut fermé par les musulmans, vainqueurs à la fin du XIIe siècle du royaume latin, par une toiture en coupole, et transformé en mosquée, un mirhab indiquant la direction de La Mecque pour la prière : “Jésus fils de Marie, le messager de Dieu,… Dieu l’a élevé vers lui, car Dieu est puissant et sage” -sourate 4, 157-158.
Aujourd’hui 15 personnes au maximum peuvent entrer dans cette petite mosquée, ouverte chaque jour à la dévotion des pèlerins et une fois par an, le jour de l’Ascension, aux franciscains. Le monument a perdu son ouverture vers le ciel, mais c’est bien le lieu de relire le départ et la promesse des anges : “Jésus s’éleva sous leurs regards et une nuée le déroba à leurs yeux. Et comme ils étaient là, les yeux fixés au ciel, voici que deux hommes vêtus de blanc leur dirent : Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel ? Celui qui vous a été enlevé, ce même Jésus, viendra comme cela, de la même manière dont vous l’avez vu s’en aller vers le ciel” -Ac 1, 9-11.
Un des plus beaux octogones de Terre Sainte est l’église des Béatitudes, mais sa forme est due ici aux huit Béatitudes rapportées dans l’Évangile de Matthieu -Mt 5, 1-12. En 1935 l’architecte italien Antonio Barluzzi a planté cette église très lumineuse dans un domaine élevé au-dessus de la courbe nord du lac de Tibériade. Elle trône au cœur d’un très beau jardin arboré et fleuri, qui avait été choisi dès les antiques pèlerinages pour localiser le premier discours que Jésus adressait à la foule “sur la montagne”, sans plus de précisions, et aux disciples qui commençaient à l’accompagner.
Le soleil se lève à l’est
L’orientation, au sens propre de “tourné vers l’orient”, est un autre signe spirituel fort de la quasi-totalité des églises chrétiennes. Le plan habituel dessine en effet le chœur à l’est, regardant le soleil levant, afin de manifester que toute célébration se tourne vers le Christ qui est réellement une créature nouvelle comme le soleil à son lever, comme chaque jour naissant. Un exemple très net à observer en Terre Sainte est la petite chapelle du plateau de Massada. Élevée au VIe siècle pour une humble communauté monastique, elle a bien son entrée à l’ouest, sa nef aboutissant au chœur plein est. Comme elle est à plusieurs kilomètres à l’est de Jérusalem il est clair que son aimantation n’est pas la ville sainte. Une différence importante d’avec la direction de la prière pour les musulmans, qui est toujours La Mecque, où que l’on se trouve dans le monde. De même pour les juifs, qui vont majoritairement prier en direction de Jérusalem : “Les fenêtres de la maison de Daniel étaient tournées vers Jérusalem et trois fois par jour il se mettait à genoux, priant et confessant Dieu” -Dn 6, 11. Si les églises ne sont pas orientées c’est que le terrain l’interdit, un fossé ou une trop profonde déclivité.
L’église du Dominus flevit reprend, elle aussi, une forme symbolique. C’est encore Barluzzi, familier de l’Écriture, qui a choisi en 1955 de couvrir l’unique salle de prière d’une toiture en forme de larme pour ce lieu de culte à mi-pente du mont des Oliviers, en face de l’Esplanade du Temple. Aux quatre coins du cône arrondi quatre acrotères, chacun dans la même forme de goutte. La propriété franciscaine étagée en terrasses commémore les pleurs de Jésus sur Jérusalem selon le troisième évangile. Le premier sanctuaire bâti en ce lieu, byzantin, rappelait l’agonie du Christ ; le deuxième, élevé en 675 fut dédié à sainte Anne, et à l’époque croisée on y préféra : “Et quand Jésus fut proche, à la vue de la ville, il pleura sur elle en disant : Ah ! si en ce jour tu avais compris, toi aussi, le message de paix” -Lc 19, 41-42. “Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble sa couvée sous ses ailes ! et vous n’avez pas voulu.” -Lc 13, 34.
Forme passagère ?
La chapelle latine du Champ des bergers, à proximité de Bethléem, est en forme de tente afin de rappeler l’abri précaire des bergers qui “passaient la nuit dans les champs” -Lc 2, 8. Elle fut aussi édifiée par Antonio Barluzzi en 1954 à la demande des franciscains propriétaires du terrain. On pourra remarquer que le verbe grec eskenosen “il a planté sa tente parmi nous” -Jn 1, 14- est tout proche du terme shekina qui désigne en hébreu la présence de Dieu au sein de son peuple et dans son Temple. Les deux langues, celle qui est d’origine indo-européenne, et celle qui appartient au groupe sémitique, se rejoignent ici sur cette notion fondamentale que l’on nomme en théologie, la kénose, la descente du Fils existant de toute éternité auprès du Père, venu vivre sur terre la vie des hommes, “sous la tente” -2S 7, 6.
Humilité et transfiguration
Une autre tente, plus vaste et plus majestueuse, domine la basilique de l’Annonciation à Nazareth. L’église de béton enchâsse le trésor qu’est la grotte où habitait Marie lorsque l’ange Gabriel vint à elle -Lc 1, 26-38. Au fil des siècles la maison semi-troglodyte, comme il y en a beaucoup dans le pays, fut englobée dans une église byzantine, plus tard dans une grande basilique croisée, elle-même remplacée par une nef latine et enfin, en 1969, par la basilique actuelle qui est à trois niveaux. Au plus bas se trouve toujours la modeste maison mariale creusée dans le calcaire. Un peu au-dessus une vaste église un peu sombre et silencieuse rend compte de l’humilité de l’Incarnation et invite à méditer les paroles de l’ange et le fiat de Marie. Et à l’étage de cet ensemble un très large espace de célébration, lumineux, richement décoré, surmonté d’une coupole conique évoque la tente de la kénose. L’église demeure orientée, c’est-à-dire tournée vers le Seigneur de gloire et la place de Marie, qui est pourtant à l’origine du lieu de culte, est sur le côté nord de la nef originelle. C’est ainsi qu’elle se tiendra debout au pied de la Croix, en général représentée à gauche sur la plupart des tableaux ou sculptures. De l’Annonciation au Golgotha stabat Marie.
La façade de la basilique du mont Thabor est répartie en trois tours que Barluzzi a voulues pour évoquer les trois tentes que Pierre eut l’idée de monter au jour de la Transfiguration : “Seigneur, il est heureux que nous soyons ici, si tu veux je vais faire ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie” -Mt 17, 4. Et sous les tours extérieures sont deux chapelles dédiées justement à Moïse et Élie “qui, apparus en gloire, parlaient avec Jésus de son départ qu’il allait accomplir à Jérusalem” -Lc 9, 31. Le premier représente la Loi, celle qu’il a tenue en ses mains donnée par Dieu au mont Sinaï et le second, actif au IXe siècle av. J.-C., marche en tête de tous les prophètes. Ces deux grandes figures sont “la Loi et les Prophètes”, c’est-à-dire l’Écriture dans son entier, annonçant celui qui va l’accomplir en personne.
Pèlerins en Terre Sainte, soyons attentifs à ce qui est élevé dans la pierre, livre ouvert matériel de ce que nous enseigne la Parole de Dieu.
Dernière mise à jour: 20/05/2024 10:58